Menacé d’interdiction aux Etats-Unis, TikTok contre-attaque
Promulguée le 24 avril par le président Joe Biden, la Loi sur la protection des Américains contre les applications contrôlées par des adversaires étrangers a lancé un ultimatum à la société chinoise ByteDance. Editeur du célèbre réseau social TikTok, utilisé par plus de 170 millions de personnes aux Etats-Unis, ce dernier a désormais jusqu’au 19 janvier 2025 pour se séparer de son application phare au profit d’une entreprise non chinoise.
Le texte, voté à une large majorité, vise à répondre à un risque pour la sécurité nationale : soupçonnée d’être proche du régime communiste et d’utiliser les données de citoyens des Etats-Unis, la société ByteDance avait déjà été visée par plusieurs lois votées. dans les Etats fédéraux souhaitant sortir le réseau social des appareils des agents publics.
Le litige entre TikTok et le gouvernement fédéral s’apprête néanmoins à être tranché par les tribunaux. La chaîne a déposé un recours devant la Cour d’appel du circuit du district de Columbia, arguant que le gouvernement fédéral viole le premier amendement de la Constitution, qui protège la liberté d’expression.
Avantage TikTok
Dans cette bataille judiciaire qui s’ouvre, force est de constater que TikTok semble disposer d’arguments solides, à commencer par l’absence notable de conclusions du Congrès (le « conclusions du Congrès »), qui n’avance que des hypothèses pour justifier son action contre le réseau social.
Le dossier, à première vue, laisse donc entrevoir un manque de cohérence : arguant d’une violation de ses « discrétion éditoriale » et l’exercice de « restriction préalable » (« restriction préalable »), le réseau social rappelle que la loi pourrait être soumise à un contrôle judiciaire strict, ce qui conduirait le gouvernement à devoir démontrer que la loi utilise les moyens les moins restrictifs possibles dans la poursuite de son objectif.
Ces arguments sont jugés solides par Pauline Trouillard, enseignante-chercheuse contractuelle à l’université de Rennes et membre associée du Information Society Project à la faculté de droit de l’université de Yale. « Juridiquement, les arguments les plus forts selon moi sont ceux qui considèrent que bannir TikTok reviendrait à exercer une « retenue préalable » sur l’expression des millions d’Américains qui l’utilisent, ce qui est évidemment contraire au premier amendement. Le Premier Amendement protège également le droit de recevoir des informations (Stanley c. Géorgie, 1969) et l’interdiction d’un média contrevient évidemment à ce droit.dit l’universitaire.
Anupam Chander, professeur de droit à l’université de Georgetown, penche également en faveur du réseau social : sur X, ça abonde dans le sens de ByteDance, qui affirme qu’il n’est tout simplement pas possible de procéder à la vente du réseau social dans un délai aussi court, ce qui revient à condamner TikTok à une interdiction pure et simple.
Par ailleurs, le réseau a souligné les investissements considérables qu’il a réalisés dans le cadre du « Project Texas », un plan destiné à assurer la sécurité des données des utilisateurs dont les comptes sont situés aux Etats-Unis. A cet effet, et suite à des négociations avec le Comité des investissements étrangers aux États-Unis (CFIUS), TikTok a fait héberger les données américaines par la société Oracle, qui possède également le code source de l’application.
Cette précaution est accompagnée d’un « antidémarreur », un mécanisme permettant au gouvernement des États-Unis de suspendre les activités de TikTok en cas de non-respect des obligations stipulées dans l’accord de sécurité nationale conçu conjointement avec le CFIUS. Enfin, le réseau social pointe un double discours pour le moins singulier : le président Biden et les membres du Congrès continuent d’utiliser l’application pour leurs actions de communication.
@bidenhq
Trump ne se soucie que de conserver le pouvoir.
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Un précédent et deux poids, deux mesures, deux mesures qui posent question
Pour le professeur Chander, il est probable que la justice exerce un contrôle judiciaire strict en raison d’une discrimination fondée sur le locuteur (discrimination basée sur le locuteur). Une distinction que l’universitaire a soulignésoulignant que l’animadversion dont elle fait l’objet ne s’étend pas à d’autres sociétés détenues en tout ou en partie par des adversaires étrangers, comme l’application de messagerie Telegram ou l’éditeur de logiciels Kaspersky (toutes deux détenues en partie par des personnes de nationalité russe).
Les doutes exprimés par l’enseignant sont partagés par Knight First Amendment, une association de défense des droits protégés par le Premier Amendement. Dans un article consacré au différend entre TikTok et le gouvernement fédéral, le directeur exécutif de l’organisation, Jameel Jaffer, déclare : « Il ne fait donc aucun doute qu’une action gouvernementale ayant pour effet d’empêcher les Américains d’utiliser une plateforme de communication étrangère violerait le premier amendement. C’est exactement ce qu’a décidé il y a deux ans un tribunal fédéral qui a bloqué la tentative du président Donald Trump d’interdire WeChat, l’application de messagerie chinoise.»
Le directeur exécutif de Knight First Amendment fait ici référence à l’affaire WeChat c. États-Unis, relative à l’interdiction de l’application de messagerie chinoise. Le tribunal a statué que « l’interdiction effective de l’utilisation de WeChat n’est pas étroitement adaptée aux intérêts importants du gouvernement en matière de sécurité nationale » et a émis une injonction préliminaire contre le gouvernement fédéral.
Cette nécessité d’utiliser des moyens « étroitement adapté » évoquée dans l’affaire WeChat amène à s’interroger sur la stratégie pour le moins radicale mise en œuvre par le Congrès. Dans son recours, TikTok invoque ainsi l’exemple européen : le Digital Services Act, modèle de régulation à l’échelle de l’industrie, aurait pu servir de référence au législateur américain afin de concevoir un texte abordant les questions de sécurité des données et d’intégrité des contenus qui se posent. dans l’ensemble de l’industrie. « Parce que le Congrès n’a tenté aucune de ces mesures moins restrictives ou, à tout le moins, n’a pas réussi à expliquer pourquoi ces alternatives ne répondraient pas aux préoccupations apparentes du gouvernement, la loi n’est pas adaptée de manière étroite. »concluent les avocats du réseau social.
Une question de sécurité nationale
Si le réseau chinois semble avoir de nombreuses cartes en main pour gagner en justice, les questions de sécurité nationale soulevées par le pouvoir législatif fédéral pourraient néanmoins exercer une influence considérable sur l’issue du recours.
Pauline Trouillard rappelle ainsi que « Les tribunaux ont une politique de déférence envers la politique lorsqu’il s’agit de sécurité intérieure. Même si la loi n’est pas proportionnée parce qu’il existe d’autres moyens moins restrictifs que l’interdiction pour protéger la sécurité, il est tout à fait possible que les tribunaux n’entrent pas dans cette analyse en raison du principe de déférence. »
Le chercheur, qui attend déjà un recours devant la plus haute juridiction du pays, constate avec un certain pessimisme : « C’est donc assez incertain, mais vu la composition de la Cour suprême, c’est un assez mauvais début pour TikTok. »