Au cœur de l’affaire, la question du droit d’auteur sur l’un des morceaux de musique les plus célèbres au monde, créé pour un ballet en 1928.
Le « Boléro » du compositeur français Maurice Ravel (1875-1937) est-il l’œuvre d’un seul auteur ou de plusieurs coauteurs ? C’est la question que devra trancher vendredi un tribunal français, dans le cadre du procès pour atteinte aux droits d’auteur lié à l’une des œuvres de musique classique les plus diffusées au monde.
L’enjeu est de taille : si la Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique (Sacem), l’organisme qui gère et perçoit les droits d’auteur en France, reconnaît Le peintre et décorateur russe Alexandre Benois comme co-auteurle « Boléro », tombé dans le domaine public en 2016, serait protégé jusqu’au 1er mai 2039, M. Benois étant décédé en 1960.
En France, le droit d’auteur sur une composition musicale dure toute la vie de son auteur puis pendant les 70 années suivantes : elle tombe alors dans le domaine public et peut être utilisée librement.
Le « Boléro » était protégé pendant 78 ans et quatre mois, la loi prévoyant des prolongations pour compenser le manque à gagner des artistes français pendant les deux guerres mondiales, ce qui a prolongé la protection jusqu’au 1er mai 2016.
Lors de l’audience du 14 février, les ayants droit de l’artiste ont fait valoir que refuser de reconnaître leur ancêtre comme co-auteur de ce succès planétaire n’est pas un droit auquel la Sacem peut prétendre.
« La musique du Boléro a été créée spécialement pour le ballet »a affirmé Me Edouard Mille, avocat de la succession Benois.
Du côté du domaine Ravel, nous pensons aussi que le « Boléro » est un « travail collaboratif » avec le décorateur russe, arguments historiques à l’appui.
Parmi ces arguments figurent notamment la présence du nom de Benois sur l’argumentaire de deux ballets représentés le soir de la première de l’œuvre de Ravel en 1928, les déclarations de Louis Laloy, secrétaire général de l’Opéra de Paris, qui écrivait dans Le Figaro qu’Alexandre Benois était « l’auteur » des trois spectacles, ou encore une lettre d’un directeur juridique de la Sacem dans les années 1980 évoquant la collaboration avec la chorégraphe de ballet, Bronislava Nijinska…
Pour l’avocate de la Sacem, Me Josée-Andrée Bénazéraf, les prétentions des plaignants relèvent de la « fiction historique ».
Reconnaître la co-auteur impliquerait « devoir déchirer le bulletin de déclaration de 1929 signé par Ravel qui s’identifie comme l’unique auteur du Boléro pour le remplacer, (ce qui) porte atteinte aux droits moraux (du compositeur) qui s’est toujours considéré comme l’unique auteur »elle a plaidé à l’audience.
Si les droits générés représentaient « pour un temps des millions et des millions d’euros » annuels, selon les informations fournies à l’AFP par l’avocate de la Sacem, Me Josée-Anne Bénazéraf, les montants ont atteint en moyenne 135 507 euros par an entre 2011 et 2016.