Mario Draghi appelle à penser l’Union européenne comme une grande puissance
A la veille d’un sommet européen consacré aux questions économiques, Mario Draghi a apporté mardi une contribution audacieuse aux réflexions des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE – ils travaillent déjà sur l’agenda stratégique du prochain cycle législatif (2024-2029). .
Dans un discours prononcé lors d’une conférence sur les droits sociaux, non loin de Bruxelles, l’ancien président de la Banque centrale européenne a lancé un appel solennel à « un partenariat renouvelé entre les États membres, une redéfinition de notre Union qui ne soit pas moins ambitieuse que le l’enthousiasme des pères fondateurs qui ont conduit à la Communauté économique du charbon et de l’acier il y a soixante-dix ans.
C’est pour lui la condition pour que l’UE maintienne sa place dans un monde « où les autres blocs ne jouent plus selon les règles, (…) mettant en place des politiques qui, au mieux, visent à réorienter les investissements directs vers leurs propres l’économie (…), au pire, visent à nous rendre durablement dépendants d’eux. » Il pense bien sûr aux États-Unis et à la Chine.
Coopération renforcée
Selon l’ancien banquier central, les réponses adoptées jusqu’à présent par l’Europe sont malheureusement « conçues pour le monde d’hier, le monde d’avant le Covid, l’Ukraine, l’embrasement du Moyen-Orient, le retour des rivalités entre grandes puissances. Pour lui, l’UE doit rapidement se doter d’instruments adaptés « au monde d’aujourd’hui et de demain ».
S’il est impossible d’avancer dans certains domaines à 27, il faut pouvoir créer des coopérations renforcées, selon l’ancien Premier ministre italien. Par exemple, pour réaliser l’Union des marchés des capitaux (UMC), un ensemble de réformes qui canaliseraient l’épargne européenne vers l’innovation du continent. L’UMC s’est jusqu’ici heurtée à des réflexes nationaux.
Biens communs
Mario Draghi a détaillé mardi trois actions prioritaires parmi les dix qu’il listera dans un grand rapport sur la compétitivité de l’UE (commandé par la Commission européenne) qui sera publié avant l’été.
Il a ainsi affirmé la nécessité de créer des effets d’échelle. Les secteurs de la défense et des télécommunications de l’UE souffrent particulièrement de la fragmentation des commandes et des différences réglementaires au sein du marché intérieur. Mario Draghi souligne également l’importance des biens communs, par exemple les réseaux énergétiques, sans lesquels il ne peut y avoir de véritable union énergétique. Enfin, il appelle les États membres à intervenir ensemble pour sécuriser les chaînes d’approvisionnement en matières premières critiques.
Selon Eric Maurice, du European Policy Centre, « ce discours programmatique appelle à dépasser le cadre mental et politique actuel. Il systématise des approches à l’échelle des 27 qui dépassent les intérêts nationaux. »
Logique de retour de puissance
Guillaume Klossa, président du groupe de réflexion EuropaNova, va plus loin : « Ce discours radical appelle enfin l’Europe à se penser comme une grande puissance démocratique, géopolitique et technologique. Rompre avec le logiciel européen développé depuis la Seconde Guerre mondiale, dans lequel on refusait la logique de puissance qui avait quasiment détruit le continent. Mario Draghi ne cherche pas à revenir à la forme de pouvoir d’hier, ni à imiter celui des États-Unis ou de la Chine, mais à créer une puissance nouvelle génération qui garde son ADN et ses valeurs.
D’ailleurs, la profondeur du discours de Mario Draghi relance les spéculations sur un éventuel intérêt de sa part pour l’un des « meilleurs postes européens » qui seront attribués en juin, après les élections.