Marine Le Pen en faiseuse de rois ?
Si Emmanuel Macron décide de nommer Bernard Cazeneuve à Matignon, il le fera avec l’assurance que Marine Le Pen ne censurera pas son gouvernement.
La solution à l’impasse politique pourrait-elle s’appeler Bernard Cazeneuve ? L’ancien Premier ministre de François Hollande a déclaré le 5 août, sur LCIqu’il accepterait d’être Premier ministre si le poste lui était proposé. « Je n’ai jamais refusé de mettre de la sagesse là où il y a de la déraison. S’il faut le faire collectivement, je serai toujours prêt », a-t-il affirmé. Lundi 2 septembre, Emmanuel Macron a en effet évoqué avec lui la possibilité de sa nomination.
Peu d’éléments de leurs conversations ont fuité dans la presse, mais les deux hommes ont affiché leur proximité aux journalistes, s’embrassant sur la joue au moment de se quitter sur les marches de l’Elysée. Mais Bernard Cazeneuve, malgré cette complicité, entend poser ses conditions au président de la République, un homme qu’il connaît bien pour avoir été ministre dans le même gouvernement, sous François Hollande, mais qu’il tient en assez faible estime politiquement. S’il est nommé, il entend mettre en œuvre « une vraie politique de gauche crédible » ainsi qu’une « vraie cohabitation avec Emmanuel Macron », a-t-il confié au Parisien via un proche. C’est à prendre ou à laisser.
S’il s’y résigne, le chef de l’Etat sait que Bernard Cazeneuve cocherait beaucoup de cases. D’abord parce qu’il connaît très bien Matignon pour avoir occupé la place sous François Hollande (décembre 2016 à mai 2017), succédant à Manuel Valls. Un atout considérable pour être immédiatement opérationnel. Bernard Cazeneuve avait auparavant occupé plusieurs postes au sein du gouvernement : Affaires européennes, Budget puis Intérieur. Il a notamment fait face aux attentats de 2015 à Paris. Une expérience qui compte.
L’Elysée, les députés centristes et une partie de la droite sont également sensibles à son opposition farouche à LFI. Il n’a jamais caché son aversion pour Jean-Luc Mélenchon et avait déploré la présence de La France Insoumise au sein du Nouveau Front populaire. Il a d’ailleurs quitté le PS après l’accord entre le PS et LFI pour les législatives de 2022.
Selon les informations du Parisien, le problème réside, pour Emmanuel Macron, dans la volonté politique de Bernard Cazeneuve de remettre en cause la réforme des retraites. Un véritable casus belli, un sacrifice que le président n’est pas prêt à faire tant qu’il a d’autres options. Par ailleurs, Bernard Cazeneuve voudrait avoir carte blanche dans le choix de ses ministres, notamment pour Bercy et pour les Affaires étrangères. Selon Le Monde, ces exigences ne conviendraient pas à Emmanuel Macron.
Le Pen, arbitre du choix de Macron ?
Un autre obstacle de taille se dresse devant Bernard Cazeneuve dans la perspective d’une nomination : le Nouveau Front populaire est pour l’instant resté uni et est toujours sur la ligne d’une motion de censure ou d’un rejet de tout Premier ministre qui ne mènerait pas une politique de gauche. Le chef de l’Etat avait sans doute laissé filtrer l’hypothèse de sa nomination pour prendre le pouls et observer si les partis du NFP se fractureraient face au scénario d’un homme de centre-gauche nommé à Matignon.
Résultat : les 4 partis du NFP résistent pour l’instant à la désunion. LFI promet la censure, les écologistes ont fait savoir que la ligne du NFP sera tenue et qu’ils en feront de même. Il est aussi probable que les communistes voteront la censure. Les pontes du Parti socialiste attendent de voir et d’entendre ce que proposerait Bernard Cazeneuve. Mais même si les députés PS les plus enclins à accepter une coalition avec un social-démocrate à sa tête étaient une quarantaine à ne pas voter de motion de censure (sur 66 députés), le soutien de l’Assemblée à Bernard Cazeneuve serait extrêmement fragile, même si l’ensemble du centre et de la droite le soutiennent.
Si l’on fait les calculs précis, c’est même très clair : Bernard Cazeneuve ne résisterait pas à une motion de censure, sauf si les groupes RN et ciottiste décident de ne pas la voter. Autrement dit, le sort de Bernard Cazeneuve serait entre les mains de la présidente du groupe RN, qui tient la ligne de son parti et de ses alliés à l’Assemblée : Marine Le Pen.
Ce mardi 3 septembre, Emmanuel Macron comptait évoquer avec Marine Le Pen « le critère de non-censure » de l’option Cazeneuve. Le président veut sonder la présidente du groupe d’extrême droite, lui présenter les options et discuter de ce pour quoi ses parlementaires voteraient en cas de nomination de Bernard Cazeneuve. Cela placerait donc Marine Le Pen en position de faiseur de roi. Un rôle qu’elle n’attendait sans doute pas au soir du second tour des législatives, après la douche froide des résultats la plaçant derrière la gauche et le bloc central.
GrP1