La croix : Comment votre compagnie est-elle née avec ce texte par Marguerite Duras?
Anne consigny: Je savais Un barrage contre le Pacifique (Publié en 1950), mais c’est lors d’une lecture publique que le clic s’est produit en moi. Écouter la pièce était tel que je me suis dit que je ne pouvais pas m’arrêter là. Surtout depuis mon grand ami, la romancière Florence Seyvos, m’a explicitement conseillé de« Faites quelque chose ». Pendant six ans, j’ai gardé le texte avec moi, en le lisant et en le reliant … et puis on m’a proposé celui-ci sur scène dont je rêvais depuis longtemps et j’ai manifestement proposé UNbarrageque j’ai donné au festival Avignon, puis lors d’une tournée et, aujourd’hui, ce sont ces performances au Hébertot Studio.
Pourquoi vivez-vous un tel attachement à cette histoire?
AC: Pour la beauté de la langue, si évidente, et pour le message d’une immense sensibilité, elle contient. Une tendresse que Marguerite Duras déverrouille, comme un archéologue des âmes, derrière la violence, la vulgarité et la folie des personnages. Ce sont des gens qui vivent en Indochine, loin de chez eux, dans une atmosphère délétère de corruption, de vénalité et de misère. Ils sont poursuivis par le « Deveine », Un mot que je trouve terrible et beau.
Il y a aussi beaucoup d’humour chez Marguerite Duras. Une fois, j’avais même prévu de donner un ton de Commedia dell’arte à ma mise en scène. Mais je me suis dit que cela pourrait être exagéré par cette dimension ironique. Cependant, je pense qu’il reste quelque chose de cette légèreté, à ma façon de dire, de se déplacer sur le plateau.
Précisément, vos gestes participent pleinement au spectacle. Comment vous êtes-vous chorégraphié?
AC: J’ai dessiné deux sources d’inspiration très spécifiques. Le premier est l’interprétation de Denis Podalydès Ce que j’appelle oublier deLaurent Mauvignier, dans l’immobilité totale, sur un seul pied. Comme s’il s’agissait d’une image, un arrêt sur un homme interrompu dans sa marche. La seconde est Edith Piaf et la façon dont elle a choisi un geste pour chacune de ses chansons. J’ai fait mon miel de ces modèles pour imaginer des voyages limités à mon tour mais qui, j’espère, signifient quelque chose.
Vous faites également une œuvre vocale très raffinée. Pouvez-vous nous en dire plus?
AC: J’incarne en fait le narrateur de l’histoire et de ses personnages: une mère, son fils Joseph et sa fille Suzanne, ainsi que M. Jo, le « prétendant » de Suzanne. Il était donc nécessaire de les différencier, mais sans forcer la ligne. Je me suis souvenu de mon enfance, quand j’ai discuté de ne pas terminer avec mes amis imaginaires … ici, c’est la même chose, une petite troupe d’acteurs à qui je prête ma voix.
Pour Suzanne, j’ai pensé à cette jeune fille en mini-jupe, consciente et inconsciente de sa séduction, comme l’interprète Isabelle Adjani dans le film L’été meurtrier par Jean Becker. Quant à M. Jo, j’essaie de lui donner une voix ordinaire « normale », même dans la scène où il demande à Suzanne de pouvoir la regarder nue dans la douche. Alors que, à mon avis, c’est une scène de viol.
Quels sont les défis et les cadeaux offerts par le texte à l’actrice que vous êtes?
AC: Le cadeau est la langue, un vrai joyau. J’en ai vraiment pris conscience en apprenant le texte et, par conséquent, en faisant des erreurs. Chacun m’a donné la justesse des mots utilisés par Duras: tout est parfait dans son écriture. Quant au défi, son nom est l’énergie. Je dois, pendant une heure et demie, être à 100% tout le temps. Une petite seconde de relaxation et c’est la terre qui s’affaisse et un gouffre qui s’ouvre sous vos pieds. Un tel spectacle est terriblement physique.
Pourquoi, avant de commencer, entrez-vous dans la pièce pour saluer individuellement chaque spectateur?
AC: J’ai pris cette habitude des premières performances, même dans les grandes pièces. J’en ai besoin, cela fait partie du spectacle en créant immédiatement un lien avec chaque visage, chaque look, que j’aurai vu de près, même quelques secondes. Comme souvent, j’ai décidé de cela par instinct, comme un besoin difficile de définir. C’était après le fait que j’ai réalisé à quel point c’était important.
Un barrage contre le Pacifiqueau Hébertot Studio les jeudis, vendredis et samedis à 21 h et dimanche de 14 h 30 jusqu’au 9 mars. Informations et réservations sur le site Web du studio Hebertot.