Marcus Thuram : quand le fils venge le père, visé par le père de la fille qui veut le pouvoir
Samedi 15 juin 2024, 22h09 : la Fédération française de football publie un communiqué sur l’équipe de France sur son site Internet. Alors que le pays entre dans une campagne électorale précipitée, de nombreux acteurs ont appelé leurs concitoyens, lors de conférences de presse successives, à voter, un souhait que la FFF dit soutenir.
Le communiqué ajoute que la Fédération « souhaite également que sa neutralité en tant qu’institution, ainsi que celle de la sélection nationale dont elle a la charge, soient comprises et respectées de tous. A ce titre, il convient d’éviter toute forme de pression et d’utilisation politique de l’Equipe de France. »
Ce rappel du principe de neutralité auquel sont soumises toutes les fédérations sportives chargées d’une mission de service public sonne à la fois comme une réaction à la lettre ouverte de Fabien Roussel aux joueurs de l’équipe de France, publiée deux heures auparavant, et comme une prise de contrôle des internationaux. , l’un d’eux ayant osé dire devant la presse qu’il fallait « Se battre au quotidien (…) pour que le RN ne passe pas ».
En prononçant ces mots, Marcus Thuram prononce une parole inédite et courageuse. Il est en effet très rare que des footballeurs en activité prennent de telles positions politiques. En 2002, lorsque Claude Makelele et Zinédine Zidane appelaient, au lendemain du choc du 21 avril, à faire barrage au Front National, ce n’était pas dans le cadre d’un rassemblement de l’équipe de France mais en tant que célébrités sportives de retour dans leur club, le Real Madrid. . L’acte est suffisamment exceptionnel pour ne pas s’y attarder un peu et le replacer dans une histoire plus longue des relations entre les Bleus et l’extrême droite lpéniste.
Il faut remonter à un autre Championnat d’Europe, en juin 1996, pour que le Front national utilise l’équipe de France dans son argumentaire. Nous sommes alors en plein Euro disputé en Angleterre et les Bleus, sans convaincre, accèdent à la demi-finale. Alors qu’ils se préparent à affronter la République tchèque, Jean-Marie Le Pen tient un meeting à Saint-Gilles du Gard, commune à la tête de laquelle un frontiste, Charles de Chambrun, a été élu en 1989, contraint de démissionner en 1992 en raison à des dissensions internes au conseil municipal. Là, mais aussi en conférence de presse, dans une interview radio et dans un entretien à France-Soir, il cible l’équipe nationale. Pour ce faire, il utilise de vieilles antiennes périmées des années 1930, car dans les idées d’extrême droite, rien ne s’invente, tout se recycle.
Jean-Marie Le Pen cible d’abord la composition de l’équipe de France, la faisant apparaître comme la partie étrangère. Il estime ainsi « artificiel qu’on fasse venir des joueurs de l’étranger en les appelant équipe de France ». Les débats sur la loi sur la nationalité de 1993 ne sont pas oubliés et, par ces mots, le président du FN affirme sa vision ethnique de la nation, à contre-courant de la loi du sol. En effet, sur les vingt-deux joueurs sélectionnés par Aimé Jacquet pour cette compétition, seul Marcel Desailly, né au Ghana, n’est pas né en France (à moins de considérer que la Nouvelle-Calédonie de Christian Karembeu est indépendante).
Le leader frontiste pose également la question de la représentativité de la sélection. Il estime à la fois que onze hommes ne peuvent pas représenter la France et que cette équipe de France n’est pas «représentant de la qualité sportive» du pays. Pourtant, Le Pen n’a jamais été un expert du football, mais c’est sur le terrain sportif que l’attaque a lieu. Il compte alors s’inscrire, sans le dire, dans le camp de ceux qui regrettent l’éviction de deux attaquants majeurs, David Ginola et Eric Cantona, qui ont un gros avantage à ses yeux (enfin, à ses yeux) : ce sont des Blancs. , alors qu’il cible « Journal français » quel serait le nombre de joueurs de l’équipe de France. Derrière ce manque de représentation, c’est la présence de joueurs noirs (Bernard Lama, Lilian Thuram, Jocelyn Angloma par exemple), ou issus d’une immigration qu’ils n’ont pas connue, venus d’Afrique du Nord (Mickaël Madar, Zinédine Zidane ou Sabri Lamouchi). ), d’Afrique subsaharienne (Patrice Loko) ou d’Asie (Youri Djorkaeff).
Le Pen accuse aussi, comme le faisait L’Action française à la fin des années 30, ces sportifs d’être des mercenaires, prêts à se vendre à n’importe qui pour gagner plus d’argent. Le soupçon d’infidélité se double de l’accusation de mépris de la nation, à la lumière de la chanson. C’est en effet là, en juin 1996, que Jean-Marie Le Pen soulignait que les joueurs de l’équipe de France, dans leur ensemble et à de très rares exceptions près, ne chantent pas La Marseillaise.
Il entend y voir la preuve du désenchantement de cette équipe envers la France éternelle. Il ne dit cependant pas que Roger Marche et ses partenaires dans les années 1950, Jacky Simon et son équipe dans les années 1960, Henri Michel et ses coéquipiers dans les années 1970 ou Joël Bats et les autres joueurs, se sont tout autant abstenus de chanter l’hymne national. . Bien sûr, c’est un moment de concentration, mais surtout, et cela est vrai dans n’importe quel village lors des commémorations du 8 mai ou du 11 novembre, chanter sur l’harmonie pourrait être perçu comme un sacrilège. Là Marseillaise, on le respecte et on l’écoute ensuite en silence. L’imposture est évidente et pourtant c’est une des marques majeures de la pénalisation des esprits que d’exiger des joueurs français qu’ils chantent le Marseillaise avant le match.
Parmi ces joueurs attaqués de plein fouet par Le Pen en 1996, il y avait Lilian Thuram. S’il n’a pas réagi à l’époque aux propos de l’homme politique, il a depuis fait de la lutte contre le racisme une cause centrale de ses combats. Mardi 11 juin dernier, il a rencontré l’une de ses « stars noires » au Musée national de l’histoire de l’immigration : Tommie Smith, l’athlète américain qui a levé son poing ganté lors de la remise de sa médaille. médaille d’or aux Jeux de Mexico en 1968. Son fils ne peut l’accompagner, alors que l’équipe de France s’apprête à rejoindre l’Allemagne le lendemain. A défaut d’avoir levé un poing vengeur envers son père et cette icône, Marcus Thuram a vengé l’insulte faite à son père et à ses compagnons vingt-huit ans plus tôt. Au péril de sa propre carrière !
Auteur deUne histoire de France en cramponséditions du Détour, 2022.
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