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Marché de la poésie : la sélection Humanité (2/2)

La poésie comme construction d’un igloo

Construire un igloo, ça s’apprend, évidemment. Il existe des tutoriels pour cela. Pascale Petit propose sa méthode, bien différente des sérieux conseils de survie (on l’espère) trouvés sur Internet. Pas tellement, si vous regardez bien. Les « tutoriels poétiques » que donne Pascale Petit semblent répondre à d’étranges besoins : « que faire de votre steak d’amour », « comment arrêter le chewing-gum », « devenir un oiseau bleu fou » ? Même si cela peut encore être utile, on ne sait jamais.

Ce qui compte c’est de savoir utiliser le langage politique ou commercial de la compétence, de la maîtrise, de l’autorité, et son mode favori, l’impératif. « Trouvez le bon moment », « continuez à lire », « montez dedans », « imaginez un bateau », « allez sur les toits », « ralentissez votre chapeau ».

Et si ces injonctions étaient, camouflées, une série de conseils pour écrire un poème ? Suggestion pas si baroque si l’on retrouve les textes dédiés aux poètes et à la poésie, comme « méfiez-vous des poèmes qui viennent du Japon quand il y a un éléphant » Ou « le poète d’avant-garde ».

Et alternativement, ces notations qui semblent n’obéir à aucun programme, comme : « Quelque part/quelqu’un/sort/de son costume/et regarde le poisson du poète/emporté par la poésie/ému par la pluie. »

A moins que le programme reste léger : «/Alors retourne ton igloo/entre et dis/que maintenant/tu ne veux plus voir personne. ».

Construire un igloode Pascale Petit, Lanskine, 112 pages, 16 euros

A l’écoute des vivants

De l’Écossaise Kathleen Jamie, on savait Aperçu Et Couches, textes de non-fiction publiés en français par la maison suisse Baconnière. On découvre aujourd’hui ses poèmes, dans une édition bilingue traduite par Christian Garcin, où l’on retrouve son approche subtile des émotions, sa proximité avec la nature et le monde animal.

Qu’elle prenne la forme du couplet, du tercet, du quatrain ou du vers libre, sa poésie est assez narrative, descriptive, ancrée dans les paysages rudes et somptueux de l’Écosse, parfois pollués par les plastiques. Dans Cinq Sonnets du Tay, elle observe les changements du plus long fleuve du pays, depuis la migration des balbuzards pêcheurs du Sénégal jusqu’à la marée basse qui dévoile l’estuaire, « comme un pays d’elfes ».

Souvent abordés, ses poèmes tissent des liens avec les oiseaux, la lune qui entre dans son bureau « comme dans une boutique de curiosités », une araignée ou le cerf qu’elle observe avec un homme qui l’a dressée « à travers la bruyère balayée par le vent ». Dans la révision, qui donne son titre à la collection, un bateau ancien, le Vivant, transporté sur une remorque pour être réparé, traverse la campagne et les années. Passionnée d’archéologie, Kathleen Jamie écrit sur les couches du temps, réunissant le présent et les souvenirs, avec une conscience de la nature éphémère de la vie.

La révision, Poèmes, de Kathleen Jamie, recueil de poésie bilingue traduit de l’anglais et de l’écossais par Christian Garcin, la Baconnière, 104 pages, 12 euros

Rage et joie

C’est l’un des recueils de poésie les plus intéressants qui soient. Avec « Écrits pour la parole »Claire Stavaux, qui dirige les Editions de l’Arche, vous fait lire et entendre des voix contemporaines, héritières de la parole, souvent très politique.

Après Kae Tempest, Leonora Miano ou Sonia Chiambretto, pour ne citer que les vivantes, c’est au tour de la belgo-congolaise Joëlle Sambi de rejoindre la collection. Né à Kinshasa, le poète, slameur et militant LGBTQIA+ est auteur associé au Théâtre National Wallonie-Bruxelles.

Préfacé par Rokhaya Diallo, Et vos corps seront de pierre est un uppercut. « Nous sommes des éclairs/Des petits gens couleur de suie/Nous sommes de la colère »écrit Joëlle Sambi dans Coffres rugissantsun texte sur les migrants expulsés « de Charybde à Scylla », « coupable / D’avoir pris la tangente et ignoré la tempête qui gronde en silence ».

En écho, Des pierres s’adresse aux immigrés sans papiers visés par les jets de pierres : « Des pierres pour oser espérer, des pierres ! Pour avoir franchi la frontière, poussière ! » Dans Sonates de minuitbloc de mots séparés par des points, le corps exulte, souffre, aime.

Avec Poème capillaire, c’est la fierté noire et les cheveux crépus qui sont portés en étendard. Nourris de références aux grandes inspirations d’Audre Lorde et de Zora Neale Hurston, les textes de Joëlle Sambi sont traversés de révolte et de joie, de justice sociale et de renversement de toutes les normes. Quel souffle !

Et vos corps seront de pierrede Joëlle Sambi, l’Arche, « Écrits pour la parole », 112 pages, 15 euros

La poésie comme ligne d’horizon

Jean-Pierre Siméon, Grand Prix de poésie de l’Académie française pour l’ensemble de son œuvre, ne baisse pas les bras. Ni au poème, ni à l’avenir qu’il écrit, dans ce recueil, au pluriel. Contrats à termesuivi de Peintre de coquelicotsconcentre les questions, les rêves et les désirs du poète avec ce «l’impatience pour l’impossible».

Une impatience qui flirte avec l’inquiétude. Siméon affronte la prise de conscience des malheurs et des ténèbres du monde, sans sourciller, sans faux-semblant. Sa poésie tourne délibérément le dos aux pensées mortifères, aux injonctions morbides, pour tenter de recréer l’humanité avec ses semblables, nos semblables. Le pouls du poème « porte la vie sur ton épaule », il écrit. Face à ce monde « si jeune et déjà vieux », Siméon nous invite à danser, « dansez sur les toits, dansez rire défiez le vide ».

L’écriture de Siméon, dépouillée de tout maniérisme, vous saisit et vous embarque. Les mots et les couleurs s’entrelacent, tissant une œuvre qui redonne du courage. Le lecteur n’est pas tenu à distance, il est invité à cette célébration de la parole et de l’esprit où la poésie est « un acte politique ». Inventer le futur en réinventant le monde, explorer librement le poème, en tirer du courage ; « Il y a un monde qui attend », et si les poètes s’aiment « aux branches cassées et aux sentiers inutiles », Siméon nous exhorte : « Soyez poète, choisissez la fuite. ».

les contrats à terme, suivi de Peintre de coquelicotsde Jean-Pierre Siméon, Gallimard, 162 pages, 18 euros

Les veilleurs de nuit

Cécile A. Holdban a souhaité rassembler quinze poètes dans un recueil qui les rassemblerait tous, telles des sœurs ou des mères qui leur auraient transmis un idéal de survie. Pour monter cet ambitieux projet littéraire, l’auteur s’est penché sur les journaux intimes, la correspondance, les biographies et les essais les concernant.

Elle leur a donné la parole, chaque chapitre commence par « Je », et ainsi des mini-romans se forment jusqu’à la fin fatale. Avec Edith Södergran « la vie, c’est être un étranger pour soi », « J’ai toujours aimé les chats », annonce-t-elle en préambule. Il faut comprendre que Cécile A. Holdman joue le rôle de réalisatrice, elle prend la place de chacun d’eux et, par ce processus, la lecture avance en profondeur.

Que savons-nous de Gertrud Kolmar, « Je viens des ténèbres, une femme » ? Elle quitte son père, juif que l’Allemagne condamne, pour rejoindre la France. Ces femmes ont en commun l’envie contrariée d’écrire, le besoin d’exister devant les autres et la tentation irrépressible du suicide. Ils se suicideront à un moment donné : la terreur nazie, la perte d’un enfant, les amours impossibles, le rejet de leur famille, l’incompréhension du monde.

L’un d’eux a été réduit au silence pendant dix-sept ans, incarcéré pendant quinze ans ; une autre donne des droits d’auteur aux orphelins de la guerre d’Espagne, même si elle se heurte à l’hostilité des autorités religieuses ; un autre encore sera interné pendant huit ans pour « se reposer ». Elles s’appelaient Ingrid, Janet, Marina, Nelly, Sylvia, Gabriela, Antonia, Anne… et elles nous ont éclairés par leur douleur.

D’abord pour éclairer la nuit, de Cécile A. Holdban, Arléa, 207 pages, 21 euros

Aux côtés de ceux qui luttent !

L’urgence sociale est chaque jour la priorité de l’humanité.

  • En dénonçant la violence des employeurs.
  • En montrant ce que vivent ceux qui travaillent et ceux qui aspirent à faire.
  • En donnant des clés de compréhension et des outils aux salariés pour se défendre contre les politiques ultralibérales qui dégradent leur qualité de vie.

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William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.

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