(BFM Bourse) – Le projet de loi de Finances pour 2025 prévoit l’instauration d’une fiscalité sur ce type d’opérations. Or, l’exécutif n’entend retirer que 200 millions d’euros de recettes de cette contribution.
Si l’ancien ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, avait refusé la mesure, l’exécutif actuel va franchir le pas.
Le gouvernement Barnier a décidé d’introduire une fiscalité sur les rachats d’actions, une forme de retour aux actionnaires pratiquée par les grands groupes cotés en bourse.
Les rachats d’actions consistent, pour une entreprise cotée en bourse, à acquérir sur le marché un certain montant de ses propres titres. La société concernée annule alors ces actions, ce qui augmente automatiquement le bénéfice par action, toutes choses égales par ailleurs. Pour donner une image simple, cela revient à prendre le même gâteau mais à le couper en moins de morceaux.
Comme les dividendes, en pure théorie financière, les rachats d’actions n’enrichissent pas les actionnaires puisque l’entreprise ne fait en réalité que redistribuer le cash dont elle dispose déjà. Cependant, comme le soulignait une étude McKinsey de 2005, les rachats d’actions sont souvent bien accueillis par le marché car ils envoient un signal de confiance de la part des entreprises.
Entreprises de plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires concernées
Dans le projet de loi de Finances 2025, l’exécutif conserve une certaine marge de manœuvre. Seules les entreprises ayant leur siège social en France et générant plus d’un milliard d’euros de chiffre d’affaires annuel hors taxes seraient concernées par la mesure. Le prélèvement concernerait les opérations « réalisées à compter de la date de présentation » du projet de loi en Conseil des ministres, ce jeudi.
Par ailleurs, le dispositif ne concerne pas les rachats d’actions à proprement parler mais les réductions de capital consécutives à ces opérations de rachat d’actions. Une entreprise qui conserverait ses titres sans les annuler après les avoir rachetés ne paierait donc théoriquement pas l’impôt.
Des exonérations sont également prévues, notamment dans le cas où des rachats d’actions faciliteraient une fusion ou si ces opérations permettraient de rémunérer certaines augmentations de capital, notamment celles réalisées dans le cadre d’un plan d’actionnariat salarié.
Un calcul complexe
Quant à l’impôt lui-même, il constituerait, selon le dossier de presse du projet de loi de Finances, 8% « du montant de la réduction de capital résultant de l’annulation des actions achetées ».
Une source gouvernementale a précisé que cette taxe serait assise sur la somme « du nominal et des primes d’émission ».
Le « nominal » de la réduction de capital serait fonction de ce qu’on appelle la valeur nominale d’une action. Il s’agit de la valeur comptable enregistrée dans les comptes de la société et qui peut différer sensiblement de la valeur marchande de l’action (le cours de bourse).
Exemple : Totalenergies a un cours de bourse d’environ 62 euros mais la valeur nominale de son action est de 2,5 euros, selon son document d’enregistrement universel.
Passons à la prime d’émission. Une « prime d’émission » correspond à la différence entre le prix d’une action lors d’une opération en capital et la valeur nominale. Par exemple, dans le cadre d’une augmentation de capital, si une société émet des actions nouvelles au prix de 5 euros mais que la valeur nominale de son action dans ses comptes est de 1 euro, cette prime d’émission s’élève à 4 euros par action.
Pour le calcul final de la taxe, nous vous avons fourni un exemple volontairement simplifié en fin de document. Ce qu’il faut retenir, c’est que ce calcul est complexe et que les 8 % peuvent aboutir à un montant nettement inférieur que s’ils étaient appliqués directement au montant du programme de rachat d’actions.
Totalenergies, la société du CAC 40 qui recourt le plus aux rachats d’actions
Cette fiscalité complexe ne serait pas comparable à la taxe sur les rachats d’actions aux Etats-Unis mise en place par le président américain Joe Biden. Introduite en janvier 2023, cette taxe a été fixée à 1% du montant total des rachats d’actions et le exécutif américain envisageait de quadrupler ce taux.
Au final, le gouvernement ne compte que sur des revenus limités, voire symboliques, issus de cette nouvelle contribution. L’exécutif anticipe un montant de 200 millions d’euros.
Les stratèges actions de Barclays avaient en tout cas estimé que le dirigeant introduirait cette contribution sur les rachats d’actions. La banque a répertorié, dans une note publiée la semaine dernière, une trentaine de groupes cotés à Paris qui avaient lancé des programmes de rachat d’actions avec encore des opérations à mener pour les finaliser.
Plus largement, selon une étude de Janus Henderson, les rachats d’actions représentaient 33,1 milliards de dollars (30 milliards d’euros) en France en 2023 contre 28,9 milliards de dollars en 2022.
Selon la lettre de Vernimmen, le plus gros contributeur à ces rachats d’actions a été, en 2023, Totalenergies pour un montant de 9,2 milliards d’euros, devant BNP Paribas (5 milliards d’euros) et LVMH (1,5 milliard). Et 26 groupes avaient procédé à des rachats d’actions pour au moins 100 millions d’euros.
Exemple simplifié
Imaginons une société dont le cours de bourse est de 20 euros avec 1 milliard d’actions en circulation mais avec une valeur nominale de son action de 1 euro. Supposons alors que l’entreprise souhaite racheter pour 500 millions d’euros d’actions au prix de 20 euros par action.
Elle a ainsi acheté 25 millions d’actions. La « réduction de capital » nominale sur laquelle serait assise la taxe correspondrait ainsi à 25 millions d’euros (25 millions d’actions multipliés par un euro nominal) et non 500 millions d’euros.
Passons à l’autre composante, la prime d’émission. La prime par action est de 19 euros (20 euros de prix de rachat d’actions moins un euro de valeur nominale. La prime totale s’élève donc à 475 millions d’euros (20 euros – 1 euro multiplié ensuite par 25 millions d’actions).
Le dirigeant entend alors appliquer une fraction de cette prime qui correspond à la proportion existante entre le montant de la réduction de capital et le montant du capital avant cette réduction. Dans notre cas, cela correspond à 25 millions (la réduction) divisés par un milliard (le capital total). Soit 2,5%.
Au final, la fraction de prime d’émission liée au capital correspond à : 2,5% multiplié par 475 millions d’euros soit 11,875 millions d’euros. On ajoute ensuite ce montant à la réduction de capital (25 millions d’euros) puis on applique la taxe de 8%. Ce qui donne 8% multiplié par 36,875 millions d’euros soit 2,95 millions d’euros. A terme, ce montant de 2,95 millions d’euros représente 0,6% du montant du programme de rachat d’actions.
Par Julien Marion
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