« Après avoir travaillé aux côtés d’Hubert Nyssen, Françoise Nyssen et Jean-Paul Capitani à la création et au développement éditorial de la maison d’édition Actes Sud depuis 1980, Bertrand Py quitte ses fonctions à l’âge de 71 ans. » C’est en ces termes qu’est ouvert le communiqué adressé jeudi 1er août aux rédactions par le groupe Actes Sud, signé par son conseil d’administration.
Rapidement, après l’annonce de la nouvelle, Bertrand Py a contacté ActuaLitté, demandant un droit de réponse, dans lequel il déplore un texte « ambiguë« , écrit et distribué »sans consultation et(s) nous savons « .
Il souligne également que « de multiples désaccords avec de mauvaises décisions de gouvernance » du conseil d’administration d’Actes Sud, et le rectifie en précisant qu’il met lui-même fin à sa collaboration avec la société le 31 août prochain.
« j’ai claque la porte »
Contacté, Bertrand Py détaille quelques-uns des éléments qui ont motivé sa décision. Il cite ainsi, parmi les «désaccords multiples » mentionné, « le licenciement brutal, suite à un signalement, et le licenciement définitif, en pleine campagne de rentrée littéraire, d’Estelle Lemaitre, la directrice de la communication d’Actes Sud « .
« Estelle Lemaitre est une personnalité engagée, très compétente et indisciplinée : elle pose des questions, exige des explications et n’hésite pas à faire savoir quand elle trouve certaines initiatives absurdes.« , précise Bertrand Py. Il ajoute qu’il a accompagné la directrice de la communication à son entretien individuel, jugeant le dossier la concernant « trop léger« .
Selon lui, le rapport qui a déclenché la procédure était «une petite étincelle qui déclenche une dispute« . Nous avons tenté de contacter Estelle Lemaître, qui n’a pas souhaité nous répondre. En solidarité avec Estelle Lemaitre, la directrice éditoriale a donc choisi de « claquer la porte» du groupe Actes Sud. «J’étais en poste à temps plein, j’avais prévu de rester jusqu’en 2028 mais j’ai tout simplement démissionné.»
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Le communiqué du groupe ne reflète donc pas, à ses yeux, la réalité de sa décision : «C’est là une manœuvre indigne : on ne peut pas présenter les choses aussi simplement, comme si ce départ avait été fait par pure commodité.»
Contactée par ActuaLitté, Anne-Sylvie Bameule a refusé de faire d’autres commentaires, se référant au communiqué du groupe.
Un passage délicat
Le différend entre Py et le conseil d’administration d’Actes Sud, présidé par Anne-Sylvie Bameule depuis le 1er janvier 2023, s’inscrit dans le cadre d’un changement de direction du groupe, motivé par sa transmission familiale à la génération suivante.
Depuis 2020, la direction a été réorganisée, comme l’illustre la composition du conseil d’administration : en février de cette année, Bertrand Py et Alzira Martins (secrétaire générale d’Actes Sud) ont démissionné de cet organe de pilotage et de gestion. Ils conservent cependant « toutes leurs prérogatives » en termes de politique éditoriale, a rappelé Françoise Nyssen, lors de la réunion du conseil de surveillance et du directoire sur le sujet.
Pour les remplacer, Pauline Capitani et Anne-Sylvie Bameule, qui rejoignent Julie Gautier, arrivée en 2017. Toutes trois sont filles de Jean-Paul Capitani, et incarnent donc la volonté d’une transmission familiale de la structure éditoriale. Au 1er janvier 2023, Anne-Sylvie Bameule devient Présidente du Directoire, suite à la démission de Françoise Nyssen et à la décision du Conseil de Surveillance (alors présidé par Jean-Paul Capitani).
Le décès accidentel de Jean-Paul Capitani en avril 2023 va entraîner l’organisation du groupe en plaçant Françoise Nyssen à la présidence du conseil de surveillance. Cette année-là, un plan de sauvegarde de l’emploi est mis en place, alors que les ventes du groupe sont en baisse :Défismentionne même, dans un article publié il y a un an, un «passe difficile« .
Une vente contestée
Autre sujet qui a fait couler beaucoup d’encre au sein du groupe : le rachat, en 2021, par la maison d’édition Actes Sud de ses locaux d’Arles aux propriétaires. Ces derniers n’étaient autres que Jean-Paul Capitani et Françoise Nyssen eux-mêmes (ainsi que d’autres membres de la famille, réunis par la SAS Le Rosier, NDLR), une situation qui a conduit salariés et direction, engagés dans un dialogue au sein du Comité social et économique (CSE), à quelques échanges de mots.
L’Arlésiennea cité quelques extraits d’un compte rendu de réunion en février 2021 : «Le principe du prix du marché a-t-il été respecté ?« , s’interrogeaient les représentants du personnel. Leur crainte concernait le prix de vente de l’ensemble du Méjan, au cœur de l’opération, puisque les prix des locaux d’habitation avaient été retenus pour évaluer le coût, plutôt que ceux des locaux professionnels. Au final, la facture s’alourdissait, soulignait le rapport du CSE en 2021.
« Les biens achetés peuvent être revendus pour un usage résidentiel. Il n’est donc pas anormal d’acheter ces biens dans une gamme correspondante« , a assuré la direction, ajoutant : « Nous l’achetons à ce prix parce qu’il nous est vendu à ce prix.»
L’intérêt principal de cet achat est de libérer Actes Sud du paiement d’un loyer à la SAS Le Rosier.Il est plus intéressant pour une entreprise de rembourser des prêts afin de posséder des biens immobiliers.en fin de compteplutôt que de payer un loyer à un propriétairead vitam eternam. D’autre part, être propriétaire vous permet de décider des travaux à réaliser.« , a continué à plaider la direction.
Les comptes 2021 de la société Actes Sud Participations énonçaient simplement : «Actes Sud a acquis les locaux de son siège social d’Arles, une opération financée en partie par la mise en place d’un emprunt bancaire.« , sans plus de détails.
« En termes de trésorerie, avec le prêt garanti par l’État(PGE)nous avons un niveau confortable, nous pouvons nous permettre cet achat« , a encore annoncé la direction lors du CSE. Les comptes sociaux de la même année mentionnent la souscription de la maison d’édition »à PGE pour un montant de 3 millions d’euros« .
Entre 2020 et 2021, l’endettement d’Actes Sud a bondi de 11,5 millions d’euros à 15,3 millions d’euros, avant d’atteindre 17,5 millions d’euros en 2022. En 2022, le résultat net de l’entreprise est même passé dans le rouge, avec une légère perte d’environ 150 000 euros, quand il grimpait à 2,67 millions d’euros, dans le vert, un an plus tôt.
Photographie : illustration, ActuaLitté, CC BY SA 2.0