« Maman a eu un cancer » Olivier : « C’est comme une bombe qui explose très lentement »
A l’occasion d’Octobre Rose, nous vous présentons une série en trois parties. Intitulée « Maman a eu un cancer », elle donne la parole aux enfants qui ont vécu, ou vivent encore, les difficultés liées à la maladie au premier plan. Dans ce deuxième épisode, Olivier, 50 ans, raconte le combat de sa mère Gisèle, décédée alors qu’il n’avait que 16 ans.
« J’ai toujours su que ma mère était malade » indique d’emblée Olivier Rosnel. Je suis née en septembre en France et mes parents, Gisèle et Rodolphe, sont venus me présenter la famille en Guyane en décembre. À leur retour, comme elle ne se sentait pas bien, ma mère a dû passer des examens et c’est là que nous avons découvert qu’elle avait un cancer du sein. »
Dès le début, Gisèle subit une mastectomie. « Peut-être que j’ai dû poser des questions quand j’étais enfant : Je voyais qu’elle n’avait qu’un seul sein. Mais en même temps, je ne voyais toujours ça que comme ça et je n’avais aucune idée de ce que c’était » normale » ou non. Je ne me souviens pas de beaucoup de discussions à ce sujet. Je pense avoir compris petit à petit. »
De cette période, Olivier se souvient de la ténacité de sa mère. « Elle était secrétaire et n’a jamais voulu arrêter de travailler. Elle voulait vivre sa vie normalement. Mon père faisait tout avec elle : courses, ménage, devoirs avec moi. » Il se souvient aussi de sa douleur. « Elle avait ses séances de chimiothérapie le vendredi. Ce qui lui a donné le week-end pour récupérer avant de retourner au travail. Elle criait de douleur… Elle a demandé à mon père de fermer la porte pour que je ne l’entende pas mais j’ai tout entendu… »
La famille habite à Villejuif, en région parisienne, non loin de l’hôpital Gustave-Roussy où est soignée Gisèle. Olivier se souvient de la courte phase de rémission de 1989 et des contrôles mensuels. Jusqu’à ce jour de mai 1990 où le trio revient de la Foire de Paris. « Elle ne se sentait pas bien et a immédiatement consulté son oncologue. Alors que le mois précédent elle n’avait rien, il lui a fait part d’une récidive agressive. Elle ne lui a pas laissé une chance. »
Sa mère a subi l’ablation d’un de ses reins, puis une transfusion sanguine qui l’a effrayée. La France subit en effet de plein fouet le scandale du sang contaminé. Rien n’y fait. « Son état se dégrade très rapidement et elle est admise au service de soins palliatifs de l’hôpital Paul-Brousse. » Olivier n’avait alors que 16 ans et sa tante Flore, la sœur de son père, qui est aussi la meilleure amie de sa mère, est venue vivre avec eux pour les soutenir dans cette période difficile. « Je pense que ma famille voulait me protéger de ce qui allait arriver. La veille de sa mort, même si le psychologue m’avait dit qu’elle allait mourir, j’étais sûr qu’elle serait encore parmi nous à Noël. »
Gisèle est décédée le 19 décembre 1990. Lorsqu’il entra dans la pièce où se trouvait le corps de son épouse, le premier geste de Rodolphe fut d’embrasser son fils. « Jusqu’à ce moment-là, je n’avais aucun souvenir de mon père me serrant dans ses bras. Les parents sont souvent un mystère pour leurs enfants. Et mon père était silencieux… Il exprimait rarement ses sentiments. Mais j’ai vu ce que la mort de ma mère lui a fait. Il était bouleversé et incapable de faire face à la vie quotidienne. »
J’ai compris que pour tout ce qui allait m’arriver, bon ou mauvais, elle ne serait pas là
A la mort de sa mère, l’adolescent est pris entre deux sentiments. « D’un côté, j’étais soulagé car elle ne souffrait plus. Mais j’ai aussi ressenti à quel point il est difficile de perdre quelqu’un qui représente tout pour soi. Olivier se concentre ensuite sur les questions administratives avec sa tante : gérer les pompes funèbres, préparer les funérailles tout en laissant le temps à la famille de venir de Guadeloupe et de Guyane. « Je me suis réfugié dans ces tâches. J’avais l’impression d’être face à une bombe qui explosait très lentement. »
La réalité de l’absence permanente de sa mère le rattrape plus tard. « Je pense que ce n’est que trois ans plus tard que j’ai vraiment réalisé ce que signifiait perdre ma mère. Quand j’ai eu mon bac, j’ai compris que pour tout ce qui allait m’arriver, bon ou mauvais, elle ne serait pas là. J’ai vraiment compris que dans la vie, un jour on a tout et le lendemain on peut tout perdre. »
De cette période seul avec son père, Olivier se souvient surtout de l’amour qu’il recevait. « Mon père a été élevé dans la dure et il était très strict avec moi. Avant, nous n’avions pas de très bonnes relations. Donc pour la tendresse et l’affection j’étais plutôt du côté maternel… Après sa mort, mon père a complètement changé, par amour pour moi. Il s’est transformé en Maman, essayant toujours de faire de son mieux pour que je ne manque de rien, tant matériellement qu’émotionnellement. Il était aussi plus patient avec moi. Puis il a appris à cuisiner pour pouvoir réaliser tous les plats que j’adorais. Au début, il manquait beaucoup de choses, mais il s’est amélioré et après, je mangeais comme un prince. Depuis le jour de la mort de ma mère et jusqu’à sa propre mort, nous sommes devenus très proches, voire inséparables… Cela reste à ce jour la plus belle preuve d’amour que j’ai jamais reçue.
Si les choses se passent mieux entre père et fils, côté cœur, Rodolphe ne remplacera jamais Gisèle. « Il avait 57 ans, il aurait pu recommencer sa vie. Mais il ne l’a jamais fait. Parfois je l’entendais, alors qu’il se croyait seul, parler encore à ma mère… »
Onze ans après le décès de sa mère, Olivier a perdu son père, lui aussi emporté par un cancer. « Je pense que j’ai toujours ressenti chez ma mère, jusqu’au dernier moment, cette frustration de ne pas pouvoir être là alors que j’allais commencer ma vie d’adulte. Pour mon père, c’était différent. J’avais déjà obtenu mes premiers diplômes, il savait que ça marcherait pour moi. » Une autre différence : temps passé ensemble. « J’étais frustré de ne pas avoir parlé à ma mère. Nous avons passé une semaine à discuter avec mon père avant sa mort, y compris de choses dont il n’avait jamais parlé… Il m’a dit que sa seule frustration était de ne jamais pouvoir connaître ses petits-enfants… »
Alors, lorsqu’il devient papa, Olivier ne manque pas de mots pour raconter à sa fille Mathilde l’histoire familiale. Avoir perdu ses parents si tôt a sans doute eu des conséquences sur sa paternité. « C’est quelque chose qui m’a torturé dans ma vie de père : l’idée que je pourrais mourir et laisser Mathilde seule. » Sa peur est d’autant plus tenace qu’il élève seul sa fille.
Malgré l’omniprésence de la maladie dans la cellule familiale, Olivier se souvient d’une enfance heureuse. « Je garde de très bons souvenirs de mes parents ensemble. Quand j’étais petite, je pensais que ce que j’avais à la maison était normal. : des parents ensemble qui s’aimaient vraiment, même s’ils n’étaient pas démonstratifs. Un jour, ma mère m’a dit que les femmes atteintes d’un cancer sont souvent abandonnées par leur mari. Ce n’était pas son cas. Nous étions une famille très unie qui faisait tout ensemble. Malgré le peu de temps que j’ai passé avec mes parents, j’étais beaucoup aimé. L’éducation que j’ai reçue m’a ouvert l’esprit et je crois que si je suis un bon père, si je suis l’homme que je suis aujourd’hui, c’est grâce à cela. »