Pas d’ondes lundi matin sur la chaîne de Vincent Bolloré : dans « L’Heure des pros », le présentateur s’est contenté d’un bilan amer des résultats des urnes, tout en entrevoyant des lendemains plus glorieux pour les idées portées par le Rassemblement national.
Finie la ferveur quasi révolutionnaire, fini l’enthousiasme à peine dissimulé pour le Rassemblement national : ce lundi matin, il n’y avait pas de meilleur poste d’observation que la chaîne 16 et le« Temps pro » sur CNews, pour voir la gueule de bois de la France, qui vote RN, face aux résultats du second tour des législatives. Vu la fureur des médias Bolloré dans cette campagne, on pouvait légitimement craindre un appel à l’insurrection contre une élection volée, ambiance Fox News : finalement, c’est en républicain responsable, respectant le verdict des urnes, que Pascal Praud s’est présenté. Il faut dire que les vacances approchent, tout comme les auditions de l’Arcom sur le renouvellement des fréquences de la TNT – le grand oral des directeurs de CNews aura lieu dans exactement une semaine, pour une décision à la fin de l’été. L’heure n’est pas au scandale. « Il est possible que le vote de dimanche soit la meilleure nouvelle pour la France depuis longtemps, Praud s’est ensuite lancé dans son éditorial traditionnel, avec le plaisir du contrepoint. D’abord parce que cela a une vertu apaisante, à deux semaines des Jeux Olympiques : personne n’a gagné. »
Et pour énumérer une série d’observations sur cette élection « qui annonce peut-être une restructuration politique prenant en compte ces trois élections, sans en oublier une seule ». Même celui où à peine la moitié de la population s’exprimait ? Première leçon : « Les Français ne veulent pas du Rassemblement national. » Deuxième leçon : « La France est ingouvernable. » Troisième leçon : « La France penche fortement à droite, même si le Nouveau Front Populaire est sorti vainqueur avec une alliance » – attention, mauvaise métaphore – « qui aura la même valeur qu’un mariage lorsque les mariés n’ont pas grand-chose en commun. » Quatrième leçon : « L’immigration et la sécurité sont des sujets essentiels pour les Français, même s’ils ne souhaitent pas les voir incarnés aujourd’hui par le RN à Matignon ou à l’Elysée. » De l’art de voir ses opinions validées en toutes circonstances. La conclusion va dans le même sens : « Un bloc central, qui reste à définir, peut-il incarner cette exigence d’économie libérale et de régalisme sans faiblesse ? Si oui, un candidat de ce camp entrera à l’Elysée en 2027. Sinon, Marine Le Pen aura toutes ses chances. »
Un retournement de situation inattendu
Bref : du côté de CNews, on semble en avoir assez de l’incapacité du Rassemblement national à accéder au pouvoir, aussi à cause du cordon sanitaire qui subsiste autour du parti, et on ne serait pas contre un autre prétendant qui porterait les mêmes idées, sans le fameux sceau de la famille Le Pen. Il fallait alors trouver les coupables. Sur le plateau, Elisabeth Lévy se porte volontaire pour incriminer sa cible favorite depuis trente ans : les médias, même si la gauche estime elle aussi avoir été particulièrement malmenée à cet égard. Pascal Praud, grand seigneur, n’y croit pas. Le monde d’Elisabeth Lévy s’effondre : « Pourquoi vous plaignez-vous toujours du système médiatique, s’il n’a aucune influence ? » Coup de théâtre inattendu : contrairement à ce qu’il répétait jusqu’alors dans ses éditoriaux, Praud n’a jamais réellement considéré que France Inter et consorts avaient un quelconque pouvoir sur l’opinion publique. « J’ai longtemps pensé qu’il n’avait aucune influence, ou du moins pas l’influence qu’on lui attribue. »
Cela n’empêche pas Elisabeth Lévy de penser que la couverture médiatique de l’entre-deux tours a été trop dure avec le RN, qui aurait subi une « matraquage » : « Le débat n’était pas équitable car nous n’avons pas parlé du RN tel qu’il est. Ce n’est pas un parti nazi ! » Praud concède tout de même « amateurisme » du parti de Marine Le Pen : « Proposer des candidats incluant une jeune femme qui apparaît sur une photo avec une casquette de la Luftwaffe sur la tête n’est pas sérieux. » Le parti n’est peut-être pas nazi, mais certains de ses candidats aiment quand même se déguiser en soldats de la Wehrmacht. Gilles-William Goldnadel n’est pas là – déjà en vacances ? – et Praud lit une série particulièrement abominable de ses tweets de la veille, fustigeant un « Des élections dégoûtantes à vomir »résultat d’un « arnaque » fait de « propagande d’abus public » et de « Les votes islamistes » : « Le parti antisémite n’a pas été vaincu. » Zéro euphémisme de ses propos sur le plateau, sauf sur le terme « arnaque » que Praud refuse de reprendre. « Les Français, ce sont eux qui décident, enfin c’est comme ça qu’ils sont.note le présentateur avec une pointe d’amertume. « Je ne traite pas les gens comme des enfants. »
Des lendemains plus radieux
C’est comme « M. Akhetanon (sic), euh Akhenaton, il a dit « Je préfère la main tendue aux bras tendus » en s’adressant à moi (sur la scène du festival Pause Guitare à Albi, ndlr). Il ne peut rien y faire, ces gens sont sincères. Elisabeth Lévy réitère sa critique du système : « Vous ne pensez pas qu’ils ont été influencés par un bombardement, des historiens aux juges ? » Peine perdue, alors on cherche toujours les coupables. Les candidats républicains qui ont refusé l’union de la droite, par exemple ? Praud semble particulièrement attristé par l’échec de Nicolas Dupont-Aignan, battu par un candidat du Nouveau Front populaire après vingt-sept ans de mandat dans la 8e circonscription de l’Essonne, à cause d’une course à trois avec un candidat LR. S’adressant à son chroniqueur Georges Fenech, ancien député LR : « Si vous préférez un candidat CGT cheminot à Dupont-Aignan, c’est votre problème ! »
L’émission touche à sa fin, les chroniqueurs sont partis. « Elisabeth, s’il te plaît, ne te sers pas de ton téléphone portable ! » Praud lance au directeur de Parleur jouer avec son téléphone. « Mais je voulais t’envoyer une photo des Indigènes de la République ! » Les bonnes vieilles méthodes ne semblent plus fonctionner. Nous nous rassurons en espérant des lendemains meilleurs. « Nous sommes en 1978, commence un Pascal Praud soudain solennel. Et c’est Michel Rocard qui disait qu’il n’y avait pas de fatalité à l’échec de la gauche. (ce dernier avait alors été battu aux élections législatives). J’y ai pensé. Nous sommes exactement dans ce cas. Trois ans plus tard, Mitterrand était élu. Comprenez : soyons patients, l’extrême droite sera bientôt à l’Elysée.