Malgré sa réputation de « bière de rue », comment la 8.6 a résisté à la pression

 » Dans mon village, sans prétention, j’ai mauvaise réputation. Dans ma canette, ou quand je me tais, on m’accuse de ruiner les foies. Pourtant, je ne faisais de mal à personne en siphonnant mon alcool, mais les gens honnêtes n’aiment pas ça… » »

Année après année, 8.6 prouve qu’on peut réussir dans la vie – ou dans la vente – malgré une mauvaise réputation. En 2024, dans un marché français de la bière en berne (- 3,6 %, selon le cabinet Nielsen), la 8.6 a connu une rare croissance à deux chiffres (+ 11 %). Tout cela malgré cette image de « bière de rue », utilisée dans le seul but de finir à l’envers.

Pour la bière néerlandaise, tout a commencé en France avec une image ratée dans l’ensemble. « Quand nous sommes arrivés en 1993, nous n’avions pas de budget pour la communication », concède Matthieu Ribeyron, directeur marketing France de Swinkels Family Brewers, qui gère cette bière aux œufs d’or. De ce manque d’argent originel, le 8.6 va lier son destin à deux piliers. Premièrement, ce seront uniquement les consommateurs qui construiront sa réputation initiale, « sans que personne ne puisse l’influencer ». Deuxièmement, le 8.6 cherchera d’emblée à se démarquer fortement de la concurrence..

Se démarquer, une mission un peu trop réussie

« Elle est arrivée avec un taux d’alcool très fort à une époque où la bière en France était cantonnée à des taux bien inférieurs », rappelle Johanna Volpert, professeure associée de marketing à Kedge Business School Bordeaux. Autre particularité à l’époque, sa fameuse canette de 50 cl, bien loin des modèles classiques en verre. Plus de volume et de degrés que la moyenne, il suffisait de donner au 8.6 cette réputation de boisson à se faire mal.

Toujours par manque de budget, le modèle n’était dans un premier temps pas vendu en grande surface. Et à cause de sa canette, il ne peut pas non plus être servi dans les bars et restaurants. Reste les grossistes, les dépanneurs et autres, qui vont définitivement forger cette image liée à la rue.

Des choix forts deviennent consensuels

Vingt ans plus tard, le 8.6 peine à se débarrasser totalement de ces clichés, même si Matthieu Ribeyron l’assure : « L’image a évolué ». Les préjugés des années 1990 se sont démocratisés et ne font plus sourciller la nouvelle génération de consommateurs. La 8.6 est désormais loin d’être la seule binouze en canette, puisque les longs cylindres métalliques représentent 21% de part de marché de la bière en France. La marque néerlandaise est désormais vendue dans certains bars (impensable à ses débuts), et cartonne dans les grandes surfaces. Toujours selon Nielsen, la canette 8,6 est le 12ème produit le plus acheté dans la grande distribution en 2024, tous rayons confondus. Une autre canette de 50 cl – cette fois de la marque Heineken – apparaît en 8ème position, preuve supplémentaire du nouveau consensus sur ce format.

Il en va de même pour son degré d’alcool, dépassé par d’autres mastodontes. Comptez par exemple 11,6 degrés pour le Maximator, voire 12 pour la Bière du Démon, que l’on trouve toutes deux en grande surface. Mais au-delà de ces Everest à l’éthanol, « les bières un peu fortes, à 7 ou 8 degrés, sont devenues plus populaires avec la montée en puissance des Triples ou IPA », poursuit Matthieu Ribeyron.

D’autres nouveautés cassent l’image d’une bière « pour les grands et les lourds », précise Matthieu Ribeyron. 8.6 ceriseà la cerise, lancée début 2024, est l’innovation alcoolique la plus vendue de l’année, « et nous permet d’attirer un public féminin et de casser encore davantage notre image », explique la directrice marketing. Sa teneur en alcool est légèrement inférieure, à « seulement » 7,2 %.

Street, rap, mainstream

Un budget enfin alloué au marketing permet aussi de reprendre progressivement le contrôle de l’image de la marque. « Aujourd’hui, le 8.6 est aussi associé au monde des tatouages, de la musique Metal… C’est toujours la rue, mais une rue plus artistique », poursuit Johanna Volpert, qui reconnaît une image nettement améliorée malgré les clichés de la peau dure.

« Nous avons investi dans la street culture, poursuit Matthieu Ribeyron, sans pour autant se renier. C’est ainsi qu’une marque devient « culte » : en restant fidèle à ses origines et à ses valeurs, quelle que soit la réputation initiale. Pour lui, ce n’est pas le 8.6 mais toute la rue qui a changé d’image au fil des années. Il fait une analogie avec le rap, autre phénomène « de rue » apparu dans les années 1990, « hyper divisif et méprisé à ses débuts et devenu mainstream ». »

Une mauvaise réputation, et alors ?

Au final, cette réputation était-elle un si gros fardeau ? 8.6 a toujours été un succès en France, porté par une croissance solide dès le départ. Pierre-Louis Desprez, expert en imagination de marque chez Kaos, aiguise les arguments : « Contrairement à ce que veulent faire croire tous les experts en publicité, une mauvaise image n’a jamais été un frein aux ventes. Aldi, Redbull, McDonald’s ont des images assez médiocres mais empochent des milliards. » Le prix reste l’argument numéro 1 pour 65% des Français, selon une enquête Havas Commerce et CSA Research de 2024, notamment en cette période de crise du pouvoir d’achat.

« Seuls quelques très rares géants comme Chanel, Rolex, Vitton ont une image très haut de gamme. La plupart des marques s’en passent, et s’en sortent très bien », poursuit Pierre-Louis Desprez. Et dans le cas précis du 8.6, « c’est pas mal d’avoir une réputation un peu sulfureuse dans l’alcool, le milieu s’y prête bien. »

Matthieu Ribeyron l’avoue : il s’accommode d’une réputation qui divise, loin des lisses Heineken ou Kronenbourg. « L’un des objectifs du marketing est de faire parler les gens sans que la marque n’ait à faire quoi que ce soit. Aujourd’hui, 8,6 se répartissent entre le consommateur qui ne l’aime pas et le méprise, et le consommateur qui le boit et l’aime. Le « haineux » et « l’amant ». Donc cela crée une discussion. Et enfin, de la publicité gratuite. Une morale que Brassens n’aurait pas reniée : une réputation, aussi mauvaise soit-elle, reste une réputation.

Jewel Beaujolie

I am a fashion designer in the past and I currently write in the fields of fashion, cosmetics, body care and women in general. I am interested in family matters and everything related to maternal, child and family health.

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