malgré les limites de la politique de fermeté, l’Europe durcit un peu plus le ton

Les annonces faites dimanche par la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, à Lampedusa, ont souligné la fermeté de l’Europe face à la question migratoire. Même discours, avec quelques nuances, de la part de la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, ou du ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Cette politique ferme est cependant jugée inefficace par plusieurs spécialistes, qui estiment même qu’elle aggrave le problème.
Un maître mot : fermeté. Avant de s’envoler lundi 18 septembre pour l’Italie, où il rencontrera dans la soirée à Rome son homologue italien, Matteo Piantedosi, le ministre français de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a affirmé qu’il entendait délivrer un message de « fermeté ». face au débarquement de milliers d’immigrés clandestins sur l’île de Lampedusa, en mer Méditerranée.
« Il ne peut y avoir de message adressé aux gens qui viennent sur notre sol [européen] qu’ils seront les bienvenus quoi qu’il arrive », a souligné Gérald Darmanin lundi matin sur Europe 1 et CNews, dans un discours qui s’inscrit dans la lignée de celui de Bruxelles.
La veille, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, s’était rendue à Lampedusa pour rassurer la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, sur la volonté de l’Union européenne (UE) de lutter contre l’afflux de migrants.
« L’immigration irrégulière est un défi européen qui nécessite une réponse européenne », a insisté dimanche Ursula von der Leyen, en présentant un plan en dix points destiné à gérer l’urgence des flux migratoires vers l’Italie et qui, comme le discours de Gérald Darmanin, met l’accent sur le contrôle des frontières.
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Près de 130 000 migrants sont arrivés en Italie cette année, soit deux fois plus que l’année dernière à la même époque. La petite île de Lampedusa est particulièrement touchée : environ 8 500 migrants sont arrivés sur ses côtes par bateau la semaine dernière. C’est plus que la population permanente de l’île, qui est d’environ 6 000 habitants. De quoi susciter l’inquiétude des habitants, amplifiée par des déclarations comme celle de Marine Le Pen et Matteo Salvini faisant état d’une « submersion migratoire ».
« Effet de point chaud »
« On retrouve à peu près les mêmes chiffres d’arrivées qu’en 2015 et 2016 et déjà, à l’époque, on disait que ce n’était en rien comparable aux 850.000 personnes arrivées en Grèce en 2015 », nuance cependant dans Le Monde Flavio Di Giacomo, porte-parole de l’Organisation internationale pour les migrations (OIM) pour la Méditerranée. Ce dernier rappelle également que l’Italie a accueilli sans difficulté « 120 000 réfugiés ukrainiens en trois mois ».
Les problèmes rencontrés à Lampedusa relèvent davantage d’une crise d’accueil que d’une crise migratoire, selon les chercheuses Marie Bassi et Camille Schmoll, spécialistes de la migration, auteurs d’un article publié le 17 septembre dans Libération. Ils soulignent particulièrement « l’effet de point chaud » de la situation à Lampedusa, semblable à ce que d’autres petites îles du sud de l’Europe ont connu dans le passé. « Ces îles frontalières concentrent à elles seules, parce qu’exiguës, toutes les caractéristiques d’une gestion migratoire inhumaine et inefficace », écrivent-ils, soulignant que le confinement des migrants dans un si petit espace « renforce la visibilité du phénomène ».
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En fait, c’est l’effet d’urgence qui a poussé Ursula von der Leyen à se rendre à Lampedusa et qui pousse aujourd’hui la Première ministre italienne, Giorgia Meloni, à durcir sa législation contre les migrants illégaux. Son gouvernement a annoncé, lundi après-midi, la création de davantage de centres de détention et l’augmentation de la durée de détention des migrants illégaux, de cent trente-cinq jours à dix-huit mois, afin de dissuader les départs d’Afrique du Nord.
« Cela signifie – et j’envoie ce message très clair à toute l’Afrique – que si vous comptez sur les trafiquants pour violer la législation italienne, lorsque vous arrivez en Italie, vous devez savoir que vous serez arrêté puis rapatrié », a-t-elle déclaré dimanche soir lors d’une conférence de presse. une interview télévisée.
Décourager les migrants de traverser la mer Méditerranée figure également dans le plan en dix points annoncé par le président de la Commission européenne. Tout comme le renforcement des partenariats avec les pays d’origine et de transit, notamment la Tunisie, visant à conditionner l’aide financière européenne à la lutte contre l’immigration.
« La politique migratoire restrictive ne fonctionne pas »
« Le modèle de l’accord UE-Turquie que nous avons vu en 2016 et de l’accord Italie-Libye que nous avons vu en 2017 a été développé par Giorgia Meloni et le président Kaïs Saïed avec le soutien de l’Union européenne. Elle a abouti à un protocole d’accord, l’idée étant de demander au président tunisien d’empêcher les migrants présents sur son territoire de se diriger vers l’Union européenne. Or, on voit bien que ce type de politique migratoire restrictive ne marche pas », a analysé sur France 24, vendredi 15 septembre, Marie-Laure Basilien-Gainche, professeur de droit public, spécialiste de l’immigration.
Marie-Laure Basilien-Gainche, professeur de droit public, spécialiste de l’immigration
Cela aurait même tendance à accroître les départs, selon les chercheuses Marie Bassi et Camille Schmoll. « En renforçant la criminalisation de la migration, l’externalisation renforce le désir de fuir [des migrants]. Depuis de nombreuses années, les migrants fuient les prisons libyennes et la torture ; ou ces derniers mois, la violence d’un pouvoir tunisien en plein tournant autoritaire qui en fait des boucs émissaires », rappellent-ils dans leur tribune.
Le projet d’Ursula von der Leyen entend également s’appuyer sur le transfert des personnes arrivant à Lampedusa – qui sont généralement emmenées par bateau vers la Sicile ou le continent – y compris vers d’autres pays européens. « Nous exhortons les autres États membres à utiliser le mécanisme de solidarité volontaire », a-t-elle déclaré.
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Mais là encore, le principe de solidarité entre États membres a montré ses limites, Berlin ayant notamment décidé, mercredi 13 septembre, de ne plus accueillir de migrants arrivant en Italie, tandis que les contrôles à la frontière franco-italienne ont été renforcés à l’automne 2022. » On assiste à un retrait de la France et de l’Allemagne par rapport à la politique de relocalisation et à leur réelle volonté de solidarité avec les Etats de première entrée », estime Marie-Laure Basilien-Gainche sur France 24.
La perspective des élections européennes de juin 2024 risque d’aggraver la situation : la thématique de l’immigration, déjà très présente dans les débats politiques des pays membres, devrait continuer d’occuper l’espace médiatique dans les prochains mois. Et avec la crainte d’une poussée de l’extrême droite au Parlement européen, la quasi-totalité de la classe politique entend désormais faire preuve de fermeté envers les migrants.