malgré la pluie, « c’était fou »
Certains préparaient cette couverture depuis un an, scrutant chaque détail pour déterminer le meilleur positionnement. La pluie a perturbé les plans des journalistes de l’AFP pour la cérémonie d’ouverture des JO.
Dans les airs, sur les toits des monuments, sur le pont des bateaux ou sur les quais de la Seine, une soixantaine de journalistes texte et photo. Leurs collègues vidéo, sur divers points en hauteur, hors de la zone réservée aux ayants droit TV. Et la pluie, dont l’arrivée inexorable s’est invitée dans toutes les conversations au cours de la matinée.
« Jusqu’à hier, les prévisions annonçaient qu’il pleuvrait vendredi matin et que la soirée serait sèche »explique Martin Bureau, rédacteur photo de France, qui a mené pendant un an toutes les reconnaissances pour déterminer les meilleures positions.
La symphonie de couleurs rêvée, sur fond de monuments historiques, laisse place à la grisaille avec sa tonalité hivernale. Il faut revoir les plans, exposés la veille aux 48 photographes de l’agence, qui s’inscrivent dans un système de « piscine » avec d’autres agences internationales (IOPP).
« Ma position aurait pu donner des choses très différentes avec d’autres conditions climatiques »raconte Julien De Rosa, qui a passé sa journée sur la tour nord de Notre-Dame. Comme les autres positions surélevées (Châtelet, musée d’Orsay, Louvre, Chaillot, tour Eiffel), celle-ci avait été ardemment négociée.
Il était nécessaire de respecter les conditions d’accès imposées par la « protocole principal ». Laissez toutes vos affaires en bas, jusqu’à vos sous-vêtements, et enfilez une combinaison blanche jetable, des bottes et un casque. Et hissez, par un étroit escalier, 15 kg de matériel (boîtiers d’appareils photo, objectifs dont un très long 600 mm) jusqu’au sommet de la tour, avec vue sur les deux bras de la Seine. Vue bouchée… « J’avais imaginé faire l’enfilade des ponts avec La Défense en arrière-plan. Pas possible. »regrette Julien De Rosa, qui a retrouvé ses vêtements après la douche obligatoire.
Et au niveau suivant ? Même problème pour le photographe Lionel Bonaventure, embarqué dans un hélicoptère avec un monteur, chargé de transmettre les photos au service de validation.
« C’était l’enfer, mais quelle ferveur »
L’hélicoptère était stationné sur la rive droite de la Seine, à 1 800 pieds (600 m). « En dessous de nous, il n’y en avait que deux autres : celui de NBC qui suivait le navire américain, et celui d’OBS. » (Olympic Broadcasting Services, l’agence du CIO qui diffuse les Jeux olympiques), précise Lionel Bonaventure.
L’avion, parti de Melun dans la banlieue sud-est de Paris, a effectué plusieurs passages entre 20h15 et 22h00. « Je n’ai pas pu ouvrir la porte, j’ai juste pris des photos à travers la fenêtre. Mais j’ai dû rentrer rapidement à l’intérieur, car l’objectif a été rapidement trempé. ».
L’hélicoptère termine sa rotation prématurément à 22h00. Atterri à Issy-les-Moulineaux pour faire le plein, il n’obtient pas l’autorisation de redécoller. Fin de mission. « C’était quand même exceptionnel d’être là. J’étais émerveillée. »dit-il, des étoiles dans les yeux.
Sur le terrain, les photographes doivent porter un uniforme noir, seul moyen d’être le plus transparent possible pour les images de télévision. Si le noir rend invisible, il n’arrête pas la pluie.
« C’était l’enfer, mais quel grand moment, quelle ferveur ! »raconte Frank Fife, qui a descendu la Seine sur le bateau français.
« Les Français montèrent à bord du bateau la tête un peu baissée »il dit. « Mais l’ambiance est vite montée. Parce qu’il y a vraiment une émotion particulière dans ce genre de moment. C’est vraiment leur truc, les athlètes. Ils ont été impressionnés par le nombre de personnes qui sont restées sous la pluie pour les regarder passer. C’était énorme. Et puis j’ai vraiment pu travailler comme je le voulais. En fait, cette pluie m’a rappelé la finale de la Coupe du monde en 2018 en Russie. ».
Bilan de la soirée : des images de joie, de bonheur partagé. Et deux caméras en panne. La pluie…
« Nous ne nous plaignons pas »
Une fois descendu du bateau, direction le site du Trocadéro, face à la Tour Eiffel. Dans la tribune officielle, couverte, les chaussures cirées et les escarpins restent au sec.
Plus bas, sur la scène des discours, un bénévole s’échine à dégager les flaques, raclette à la main. Les journalistes, eux aussi, affrontent les éléments. Tout l’après-midi. Pour se protéger, les classiques : parapluies, capes, imperméables. Mais l’eau ruisselle, s’infiltre, inexorablement. Une bâche de fortune protège les ordinateurs.
« Ce n’était pas facile, mais nous ne nous plaignons pas. Nous n’étions pas sur un théâtre de guerre, en Ukraine, en plein hiver. »relativise Karine Perret, l’une des 15 journalistes de texte (sports, culture, enquêtes régionales) réparties dans les différents espaces réservés à la presse écrite. Responsable de la rubrique spectacle vivant, elle terminait ses papiers au sec, en salle de presse.
Dans la tribune officielle, la présence d’Emmanuel Macron, de Thomas Bach et de 85 chefs d’État et de gouvernement a rendu le site particulièrement scruté. La tour Eiffel, de l’autre côté de la Seine, suscite la curiosité, alimentée par une promesse des organisateurs : « Il y aura une surprise ».
Depuis mai, deux photographes spécialisés dans le domaine ont installé des robots sur un portique dédié. L’une des machines est braquée sur la tour Eiffel, prête à photographier. Jusqu’à ce qu’une bâche vienne bloquer une partie du cliché il y a quelques semaines.
Impossible de dégager l’objectif. Le site est trop sensible. Un poteau de sept mètres permettra de dégager la bâche quelques heures avant la cérémonie. Et de faire quelques gros titres dans le monde entier avec le show laser sur la Tour Eiffel et… Céline Dion.
Ah… Céline Dion… La voilà, surprise des organisateurs. La star québécoise a surmonté une maladie neurologique rare, sans remède connu, qui l’a forcée à abandonner tournées et concerts ces dernières années. Mais ce sera sans les photographes, prévenus le matin même que l’accès à la tour serait impossible. D’où l’importance des robots du Trocadéro. Et l’adaptation du système.
« Des heures d’attente pour dix secondes de photo »
Grâce aux droits TV, la séquence Trocadéro/Tour Eiffel est captée en plan large par des journalistes vidéo. Les images à distance, parmi les sept retransmissions en direct de la soirée, offrent un point de vue incroyable.
Arnaud Richard, photojournaliste, raconte son histoire « expérience amusante »posté au Mont-Valérien, dans la banlieue parisienne. « Un endroit repéré depuis des semaines par beau temps ». Appareil photo protégé du mieux qu’il pouvait par un parapluie, il a enfin pu capter le jeu de lumière sur la Dame de Fer. Et repartir avec la « la satisfaction d’avoir participé à quelque chose d’infiniment plus grand que » lui. Du Sacré-Cœur de la butte Montmartre, des hautes terrasses ou du « zones de fans » Dans toute la France, une vingtaine de journalistes de l’AFPTV sont mobilisés.
Il nous faut désormais suivre la flamme jusqu’à son lieu de résidence pour la quinzaine olympique, dans le jardin des Tuileries.
Là, attend le photographe Olivier Morin, arrivé au poste assigné au Carrousel du Louvre vers 14 heures. Avec un seul objectif : Amélie Mauresmo et Tony Parker, relayeurs devant la pyramide à… 22h45 ! Près de neuf heures d’attente pour une minute de travail effectif. Mais des heures de stress cumulées.
« Huit minutes avant l’arrivée des relais de la flamme, les forces de l’ordre nous ont bloqués et ont voulu nous évacuer de la place… J’ai dû appeler en urgence le responsable photo de Paris-2024, avec l’officier de gendarmerie pour qu’on passe, et on a fini par arriver à notre position en courant sous la pluie, après avoir attendu à 50 m de celle-ci pendant des heures. Des heures d’attente pour 10 secondes de photo. C’est un peu l’histoire de notre métier dans ce genre d’événement. ».
La vasque s’enflamme. Et s’envole dans le ciel parisien. Sous l’objectif de Ben Stansall, qui vivait là sa cinquième cérémonie d’ouverture olympique : « C’était bizarre parce que je n’ai rien vu de la cérémonie. Juste cette partie. ».
La cérémonie touche à sa fin.
Résumé ? En texte 1 flash, 10 alertes, une dizaine de mises à jour du journal général, des angles à foison. Et 3 500 photos transmises. « Nous n’aurons peut-être pas les images que nous espérions »reconnaît Martin Bureau. « Mais c’était quand même fou ».