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Malgré la guerre, l’Ukraine européanise son agriculture

« Aujourd’hui, l’agriculture fonctionne et avance. » C’est ainsi que Clément Coussens, un Français installé en Ukraine depuis 18 ans, a résumé la situation. situation agricole de l’Ukrainejeudi 14 novembre dernier à Rennes, devant des centaines de participants aux Assises de l’agriculture et de l’alimentation.

Alors que l’Ukraine subit l’agression militaire russe depuis plus de 1 000 jours, le secteur agricole du pays, hors zones de combat ou occupées par les Russes, se prépare résolument à l’après-guerre.

« Les quatre premiers mois ont été vraiment difficiles. Au début du conflit, nous avons rapidement fait le choix de rester. Nous n’allions pas abandonner nos employés et tout ce que nous avions créé au cours des 18 dernières années. » Avec d’autres producteurs français, Clément Coussens est à la tête d’Agro KMR, une exploitation céréalière de 21 000 ha basée à un peu moins de 100 km à l’est de Dnipro, dans l’est de l’Ukraine.

« Nous avons la chance d’avoir été aidés par l’Europe, qui a ouvert ses portes aux produits ukrainiens lorsque les choses allaient mal. Bien sûr, la manière dont cela a été fait et les conséquences pour l’agriculture européenne sont discutables, mais cela nous a beaucoup aidé lorsque tout a été fermé et bombardé. Il était très dangereux d’exporter vers les ports d’Odessa ou de Mykolaïv. » Ce dernier port est toujours fermé.

L’Ukraine se prépare à un après-guerre tourné vers l’UE

Non seulement la production ukrainienne se maintient malgré le conflit, mais elle se développe et se prépare à l’après-guerre. « Aujourd’hui, le secteur avance. A l’ouest du pays, loin des combats, des investissements se font grâce au soutien des organismes financiers européens et américains. Depuis six mois, nous voyons des banques refinancer des projets d’investissement», poursuit Clément Coussens. Des projets résolument tournés vers l’Union européenne.

« Les élevages porcins de l’Ouest du pays se préparent déjà aux normes européennes. Une ferme porcine a récemment embauché un ingénieur agronome polonais pour importer et mettre en œuvre toutes les bonnes pratiques applicables dans l’UE », illustre l’agriculteur.

Autre exemple dans la production avicole : Avangard, le plus grand producteur d’œufs ukrainien – et européen – investit dans de nouvelles unités d’élevage, non pas en cages, mais en volières, pour suivre l’évolution du marché européen. Fin 2023, le CNPO, l’interprofession française de l’œuf, s’inquiétait également de voir le dirigeant ukrainien ouvrir des bureaux de vente en France.

Les combats plus à l’est du pays, à seulement une centaine de kilomètres d’AgroKMR, n’arrêtent pas non plus les projets de la ferme. Les silos construits en 2021 ont été récemment connectés au réseau ferroviaire, permettant à Clément Coussens de charger des trains complets directement depuis ses silos, et d’expédier ses grains vers des terminaux d’exportation, comme Odessa.

« Dans l’ensemble, il existe une volonté d’entrer en Europe chez bon nombre d’Ukrainiens. Mais il n’y a aucune volonté d’inonder l’UE de ses produits, affirme l’agriculteur. Les Ukrainiens cherchent d’abord un parapluie de sécurité. »

Pour la France et de nombreux pays européens, l’entrée de l’Ukraine dans l’UE ébranlerait si fortement les équilibres du marché que cela semble impensable. « Mais regardez l’agressivité de la Russie sur les marchés, notamment envers l’Algérie ! Si l’Ukraine perdait la guerre et que sa production agricole tombait davantage sous l’influence russe, ce serait pire pour l’Europe », réagit-il.

« Le même tracteur coûte 20 % moins cher en Ukraine qu’en France »

Quant aux aides de la PAC, elles n’intéressent pas davantage l’agriculteur expatrié. « Si cela signifie payer 20 % de plus pour vos intrants et matériaux, cela ne m’intéresse pas. Il ne servirait à rien d’avoir des subventions. » L’agriculteur a récemment fait la comparaison. « Il a fallu réinvestir dans les tracteurs. J’ai comparé les prix du même modèle. C’est 20% moins cher en Ukraine qu’en France. »

Cela dit, il s’agit bien d’un alignement progressif de l’Ukraine sur les normes européennes observé par Clément Coussens. « Certains fournisseurs de produits phytochimiques ont déjà retiré de leur catalogue ukrainien des substances actives déjà interdites en Europe. »

En termes de normes et de contrôles environnementaux également, l’Ukraine s’européanise. « Lorsque la guerre a éclaté en 2022, il n’y avait aucun contrôle. Personne ne bougeait. Nous étions plutôt paisibles. Mais ils ont rattrapé leur retard en 2023 et 2024», raconte l’agriculteur qui a fait l’objet d’un contrôle fiscal et de trois contrôles écologiques en 2023. «J’ai eu une amende parce que je n’ai pas de système d’aspiration des poussières lorsque nous récupérons les céréales dans nos silos plats. »

Clément Coussens détaille volontiers les pratiques ukrainiennes, pour aussi briser certaines idées reçues. « Sur notre exploitation, nous avons 55 m de haies par hectare. C’est beaucoup. Cela fait 1 200 km au total. Croyez-moi, je le sens lorsqu’il s’agit de les entretenir ! »

Les Ukrainiens se sont adaptés à la guerre. Ils s’adapteront parfaitement aux normes européennes.

Et les services environnementaux ukrainiens veillent de plus en plus au maintien de ces haies. « Lors des travaux de jonction ferroviaire de nos silos, nous avons commis une légère erreur dans nos plans et arraché à peine un mètre de haie supplémentaire. Cela m’a valu une convocation au tribunal, et une menace de 7 ans de prison. Ils aiment être un peu zélés, surtout quand c’est un Français devant eux. »

Quant à la corruption qui gangrène encore tous les secteurs économiques à tous les niveaux, elle est traquée depuis un bon moment déjà. Il y a des progrès, mais la tâche est titanesque», poursuit l’agriculteur, qui précise que cela ne touche pas son exploitation.

Terres fertiles disponibles, facilité de faire des affaires : des avantages ukrainiens imbattables

Même si les normes ukrainiennes sont harmonisées avec celles de leurs voisins européens, le grenier de l’Europe continentale bénéficie et conservera des avantages comparatifs majeurs par rapport à la France. Des atouts qui, en 2006, convainquent Clément Coussens de s’y installer.

« Nous avons Tchernozim. Terre noire très fertile. » Un avantage d’autant plus important que les surfaces et parcelles sont très grandes. « Nos parcelles font en moyenne 100 ha », explique-t-il. Cela permet de limiter considérablement les coûts de mécanisation. « Nous sommes à 100 €/ha en moyenne. » Avec des terres cultivées en TCS, « hormis quelques parcelles labourées cette année en raison d’une pression d’herbe devenue trop forte », Clément Coussens ne consomme pas plus de 25 litres de gasoil par hectare.

L’agriculteur met également en avant une « facilité de faire des affaires » qu’il ne retrouve pas en France. « Avec des contrats moraux et en l’absence de prud’hommes, il est beaucoup plus rapide et plus facile d’embaucher ou de licencier des salariés. » Les délais de montage d’un projet feraient également rêver tout producteur français. « Pour implanter nos silos, nous avons déposé notre dossier fin 2020. Nous avions toutes les autorisations nécessaires en mars 2021. Et six mois plus tard, ils étaient terminés et opérationnels. Même s’ils sont compliqués, les projets aboutissent rapidement. »

Un coût de production de 125 € par tonne de blé

Malgré l’européanisation des pratiques, les agriculteurs peuvent toujours utiliser quatre principes actifs interdits dans l’UE. « Si je devais m’en passer, cela me coûterait 25 euros de plus par hectare », calcule-t-il. Parmi les produits phytochimiques interdits en Europe, le glyphosate est utilisé à raison de 1,2 l/ha, à raison de 480 g par litre. « Lorsqu’il s’agit de l’utiliser sur 5 000 ha, autant vous dire que nous faisons attention aux quantités à acheter. »

Ultime avantage par rapport à la France notamment : la fiscalité. « L’impôt sur les revenus agricoles représente 2 €/ha. » Et la somme des avantages ukrainiens lui permet d’atteindre des coûts de production impossibles en France. « Nous sommes à 125 € la tonne de blé, à la sortie de nos silos, chargés dans des wagons. » D’ailleurs, seul le profit compte. « Peu importe que nous produisions 2 ou 5 tonnes par hectare. L’important est de gagner de l’argent pour vivre de son métier et soutenir toutes les personnes qui travaillent sur la structure.

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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