magasin bio et producteurs obligés d’arrêter le bio ?
Depuis trois ans, la filière bio subit une baisse de la consommation qui a provoqué la fermeture de centaines de magasins spécialisés et contraint de nombreux producteurs à revenir aux méthodes conventionnelles. Mais le bout du tunnel semble proche, car la consommation a repris ces dernières semaines et la France maintient des objectifs de production élevés.
Les camionnettes blanches des artisans sont garées sur le parking devant l’un des grands immeubles anonymes qui encombrent les zones commerciales. Certains ouvriers s’affairent à effacer les traces de l’enseigne précédente pour préparer son remplacement par une autre marque grand public. La silhouette sale du logo « Bio » est encore lisible sur la façade, mais les grosses lettres vertes en plastique sont déjà au sol.
La scène s’est répétée ces dernières années dans des centaines de villes. Selon le site d’information Biolinéaires, 254 magasins bio ont fermé leurs portes en 2022 et pour 2023, ce chiffre s’élève à 298 (sur un total qui s’élevait à plus de 3 000 début 2022).
Parmi eux, Xavier Mercier qui, de 2017 à 2024, a dirigé le magasin bio et vrac Eco Bocal à Orléans : « J’avais choisi d’être indépendant et de ne pas m’attacher à une grande marque. Jusqu’au Covid, tout allait bien, mais après,
Depuis mi-2022, la fréquentation a baissé de 40 % et mon chiffre d’affaires aussi.
Mes prix n’avaient pas augmenté, mais les gens ont commencé à changer de comportement à notre égard. J’ai commencé par me séparer de mes salariés, parce que je n’avais pas le choix, et puis j’ai dû fermer« .
A Blois, les deux magasins Biocoop ont senti le vent, mais ont évité la fermeture. Leur gérant, Claude Gruffat, fait campagne dans le secteur depuis de nombreuses années. En 2019, il est élu député européen sur la liste Europe Écologie Les Verts tout en conservant la gestion de ses deux magasins. « J’avais prévu de les vendre pour débuter mon quinquennat l’esprit libre, mais dans ce contexte, ils étaient invendables. Je venais également de déménager dans un bâtiment plus grand et les frais devaient être pris en charge. Mais c’est là que la fréquentation a chuté de 20 %. Nous avons dû procéder à des ajustements d’effectifs et ne pas remplacer certains départs à la retraite. Heureusement mon 2ème magasin a permis de compenser un peu sinon nous ne serions pas là aujourd’hui. »
Durant son mandat européen, Claude Gruffat a entrepris un tour de France organique au cours duquel il a analysé les raisons de la crise et les moyens d’en sortir. « La crise est due à la combinaison de deux facteurs. D’abord la fin du Covid qui a conduit les consommateurs à réduire le budget alloué à l’alimentation, au profit des loisirs, parce qu’ils avaient besoin de se faire plaisir. Et puis, le conflit russo-ukrainien qui a fait grimper les prix. Le même phénomène s’est produit partout en Europe, mais d’autres pays s’en sont sortis avant nous. »
Selon lui, le secteur n’est pas assez soutenu par le gouvernement français.
Je n’hésite pas à dire que nous avons une politique agricole qui est antibio. Nous avons apposé de fausses étiquettes comme « haute valeur environnementale » ou « zéro résidu de pesticide », ce qui a brouillé le message destiné aux consommateurs.
La grande distribution en a également profité et nous en souffrons plus qu’ailleurs en Europe. »
Selon l’Agence Bio, plus de 6 000 exploitations ont quitté le label ces deux dernières années. Dans un tiers des cas, l’arrêt s’explique par la retraite, mais pour le reste, il s’agit souvent de choix économiques. Heureusement, ce mouvement est compensé par des conversions en cours. Il faut donc également observer la superficie totale cultivée en bio, 54 184 hectares, soit une légère baisse de 0,6% l’an dernier. Le bio représente aujourd’hui 10,6% des surfaces cultivées alors que la France s’est fixé un objectif de 21% d’ici 2030.
Les secteurs qui ont le plus souffert sont ceux du lait et de la viande porcine. C’est ce qui a conduit la ferme Marzan (à Reboursin dans l’Indre) à quitter la filière bio après vingt ans de service. « La consommation s’étant effondrée, nous avons dû vendre nos porcs bio au prix des porcs conventionnels, soit la moitié du prix, alors que les coûts de production restent plus élevés, explique Baptiste Van Remoortere. C’était une décision difficile à prendre, mais nous n’avions pas le choix. Aujourd’hui, on constate que cette déconversion présente encore quelques avantages. Comme nous ne produisions pas assez de céréales bio à la ferme pour nourrir les porcs, nous avons dû en apporter d’ailleurs. Désormais, ma production conventionnelle suffit à leurs besoins et je peux rester en circuit court« .
Les exploitations qui s’en sortent le mieux sont celles qui sont très diversifiées, comme la ferme de La Pharmacie à Férolles dans le Loiret. Elle produit des poulets et des légumes (oignons, pois, haricots) qui sont commercialisés dans des circuits très divers : vente à la ferme, agro-industrie et coopérative garantissant les prix. Pour limiter les coûts, une partie du matériel est partagée avec les fermes voisines. C’est ainsi que la famille Aribaud a réussi à maintenir son chiffre d’affaires ces dernières années, même si d’autres saisons très pluvieuses ne devraient pas survenir comme en 2024, car le bio est plus fragile face à cela. type de danger sans utilisation de pesticides artificiels. L’utilisation massive de ces produits est aussi à l’origine de la conversion entamée en 2012 et achevée en 2018 par Hervé Aribaud. « Quand j’étais jeune, je travaillais dans une coopérative agricole qui utilisait beaucoup de produits.
Mon père y travaillait aussi et il était exposé à tout cela. Il est décédé à 55 ans d’un cancer du diaphragme très rare.
Je suis convaincu qu’il y a un lien. J’ai aussi le cas de mon beau-père, ancien agriculteur, qui souffre de la maladie de Parkinson depuis plus de 10 ans.« .
Son fils Clément, qui travaille avec lui à la ferme, estime que les effets positifs sur la santé et l’environnement de l’agriculture biologique doivent être rémunérés. « Nous appelons cela des externalités positives. Nous rendons beaucoup de services à la société. Nous pourrions être payés pour cela et pas seulement par les prix du marché. »
Comme l’explique Claude Gruffat, qui a visité la ferme de la Pharmacie lors de son tour de France bio, ces agriculteurs s’en sortiraient bien mieux si le consommateur payait le coût réel du produit. « Tout ce qui pollue n’est pas pris en compte dans le prix de vente du produit. Si tel était le cas, le conventionnel coûterait trois fois plus cher et serait donc nettement plus cher que le bio. Ce que le consommateur ne paie pas en achetant le produit, il le paie avec ses impôts, car il faut alors réparer l’environnement.« .
En attendant le jour lointain où la France décidera de changer de modèle agricole, les prémices d’une sortie de crise semblent encore se dessiner. Selon l’agence Bio, la consommation de produits a encore augmenté à +6% sur les premiers mois de 2024.