D’aussi loin qu’il se souvienne, Maddly Guillaume, 36 ans, a toujours eu une « attraction magnétique » pour le cirque. En Auvergne où elle a grandi, au milieu des champs de bruyère de ses parents, la culture était « inaccessible ou, en tout cas, perçu comme tel »Le cirque était le seul art qui lui était proposé, par le biais de troupes itinérantes et de la télévision. Fascinée par les acrobates, Maddly passait son temps à se balancer sur les murs et à grimper aux arbres.
Il n’était cependant pas question d’envisager une carrière dans le cirque. « Cette maladie était présente dans ma famille, à cause d’une mutation génétique qui prédispose à certains cancers. C’était comme une épée de Damoclès au-dessus de ma tête et j’ai passé beaucoup de temps à l’hôpital », se souvient-elle. Animée par un immense respect pour les soignants et la recherche médicale considérée comme «rempart contre l’injustice», Elle s’est naturellement orientée vers la profession médicale en « besoin vital d’émancipation et de maîtrise » de son destin.
« Comme réapprendre à avancer dans ma vie »
La maladie la rattrape alors qu’elle est en quatrième année d’études. Épuisée par le soutien de sa mère malade, Maddly Guillaume voit sa santé vaciller et doute de sa capacité à terminer ses études. Elle découvre alors, par hasard, l’Académie Fratellini, une école de cirque, et décide de s’inscrire à des cours du soir. « Apprendre à marcher sur une corde raide, c’était comme apprendre à avancer à nouveau dans ma vie, sur la crête de l’incertitude, de la peur, de l’instabilité et de la douleur aussi. Cela m’a donné un horizon clair par rapport au sol où tout semblait bloqué. »
Cet espace de liberté lui a permis de « se lever » et obtient enfin son diplôme. De cette expérience personnelle est née l’intuition que le cirque peut aider les personnes en situation de fragilité. Avec ses amis de l’Académie Fratellini, Maddly Guillaume commence à organiser des activités dans les services hospitaliers où elle travaille en tant qu’interne, auprès des enfants mais aussi des adultes. En 2016, elle fonde, avec son compagnon Alejandro Escobedo, clown et jongleur, l’association « J’ai mal partout – Cirque médical ».
L’objectif est double : faire entrer les arts du cirque dans les milieux de soins, à travers des spectacles et ateliers adaptés, mais aussi accompagner vers les spectacles les patients soignés en médecine de ville, notamment ceux qui souffrent de maladies chroniques et qui ne sortent quasiment jamais de chez eux. Le programme Cirque pour tous, soutenu par la ville de Saint-Denis, accompagne ainsi près de 2 000 personnes chaque année dans les institutions culturelles partenaires (Théâtre Silvia Monfort, Théâtre du Rond-Point, Cirque Phénix, Théâtre Zingaro, La Villette, Le Moulin jaune…).
Réduire la perception de la douleur
Non seulement le médecin généraliste a constaté les effets bénéfiques d’une pratique culturelle régulière sur la qualité de vie de ses patients (certains sont « métamorphosé », (dit-elle) mais elle en a aussi mesuré scientifiquement l’impact émotionnel dans le cadre de sa thèse de médecine, soutenue en 2020 à l’Université Sorbonne-Paris Nord. « Au-delà du bénéfice physiologique du rire, la rupture avec le quotidien réduit les perceptions douloureuses et le spectacle vivant permet aux personnes isolées par leur handicap, leur maladie ou leurs difficultés sociales de se sentir connectées à un groupe », elle note.
Le cirque, art populaire par essence, a aussi une spécificité : sa narration, fondée sur le déséquilibre et l’entraide, est profondément optimiste et résiliente. « Voir un artiste réaliser un exercice qui semble impossible élargit les perceptions de l’individu et l’encourage à dépasser ses propres limites », assure-t-elle. La figure du clown, cette « échoué » qui, à force de persévérance, transforme ses échecs en force, exerce aussi un puissant écho émotionnel. Nourrie de ces enseignements, Maddly Guillaume a contribué à créer, en collaboration avec une équipe d’artistes professionnels, un spectacle sur mesure, une « spectacle de cirque qui fait du bien » titré Cercle infinivisible en septembre à la chapelle de l’hôpital de La Pitié-Salpêtrière.
Bien que peu prise au sérieux au début de ses recherches, sa démarche suscite de plus en plus l’intérêt de ses pairs. Invitée en septembre à intervenir lors d’une conférence médicale à Berlin, Maddly Guillaume vient également de publier un article dans une grande revue scientifique américaine qui lui a permis d’être indexée dans le système de référencement international PubMed. « grande victoire » pour celui qui n’avait jamais imaginé que « La poésie circassienne trouverait un jour sa place dans la plus grande bibliothèque médicale du monde ! »
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Sa boussole : « Apporter de la joie »
« Le grand neurologue américain Antonio Damasio a étudié les molécules cérébrales qui produisent la joie et la tristesse. Ses travaux ont montré que ces émotions nous permettent de réguler notre capacité à survivre face à la dégradation de nos environnements. L’une de ses conclusions est que la joie est associée à une transition de l’organisme vers une plus grande perfection. J’aime m’accrocher à ce résultat de recherche : les émotions joyeuses produites par un spectacle de cirque peuvent être une ressource de résilience face aux altérations et aux traumatismes de notre existence. Je ne sais pas si »« La beauté sauvera le monde »comme me l’a écrit un jour un patient, citant la célèbre formule de Dostoïevski, mais la performance en direct illumine la trame de notre vie et je crois qu’elle est indispensable à la survie de l’humanité.
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