Le géant de la pharmacie veut céder le contrôle de sa branche médicaments sans ordonnance à un Américain. L’exécutif menace d’empêcher l’opération s’il n’obtient pas de garanties sur la production en France.
Baptême du feu industriel pour Antoine Armand et Marc Ferracci. Le ministre de l’Economie et son ministre de l’Industrie se sont rendus ce lundi matin à Lisieux (Calvados), à l’usine où Sanofi produit le fameux Doliprane. Vendredi dernier, le laboratoire français est entré en négociations exclusives avec le fonds d’investissement américain CD&R, pour lui céder 50% d’Opella, sa branche dédiée aux médicaments vendus sans ordonnance. Dans le portefeuille de cette entité au chiffre d’affaires de 5,2 milliards d’euros, figurent quatre médicaments jugés stratégiques par l’État (Doliprane, Aspégic, Ipraalox et Lanzor).
Vendredi et tout le week-end, des élus de tous bords politiques se sont prononcés contre un rachat de Doliprane, une marque française produite en France, par un Américain. Ce transfert « pose un problème très préoccupant pour notre sécurité nationaleestiment une soixantaine de députés de droite et du centre dans une lettre ouverte au ministre de l’Économie. Nous pensons que ni la représentation nationale ni le gouvernement ne peuvent permettre à Sanofi de mener à bien cette opération sans le contrôle de l’État. »
A Lisieux, les deux ministres se devaient donc de rassurer. Vénus « être à l’écoute des préoccupations des salariés »ils ont tracé leurs lignes rouges et détaillé les engagements qu’ils souhaitaient voir formalisés par l’acquéreur. « Le Doliprane continuera à être produit en France, a promis Antoine Armand. Non seulement parce que c’est un médicament plébiscité par tous les Français, non seulement parce qu’il s’agit d’une réussite industrielle mais parce que la souveraineté de notre pays mais aussi notre approvisionnement en médicaments sensibles et critiques sont en jeu. . »
Depuis la Porte de Versailles, où il a inauguré le Salon de l’Automobile, Emmanuel Macron s’est invité dans le débat. « Nous nous sommes battus pour que le Doliprane soit reproduit en France et que nous reproduisions des molécules et des médicaments qui sont essentiels, a déclaré le chef de l’Etat. Et puis il y a la propriété du capital. Et là, le gouvernement dispose des instruments pour garantir que la France soit protégée. »
Discussions en coulisses
Sécuriser la production du Doliprane en France n’est pas la seule exigence du pouvoir exécutif. Ce dernier demande également à Sanofi et CD&R de s’engager à maintenir le siège social d’Opella en France, à préserver les emplois et un volume minimum de production, afin d’assurer que les Français ne manqueront pas de Doliprane. .
Tous les médicaments actuellement produits et distribués en France (Dulcolax, Allervi…) doivent continuer à l’être. Sanofi a contribué ces dernières années à une relocalisation de la production du principe actif Doliprane, qui va se poursuivre. Sous-traitant de Sanofi, Seqens a investi dans le rapatriement de la fabrication du principe actif contenu dans cet antidouleur. Une toute nouvelle usine devrait voir le jour fin 2025. Pour que ce projet aboutisse, Sanofi a promis de lui offrir des opportunités. CD&R doit tenir cet engagement dans le temps.
Le fonds d’investissement avait engagé des discussions avec l’Élysée, Matignon et Bercy avant d’être choisi par Sanofi. Celles-ci se poursuivront de manière plus formelle. Avec la procédure de contrôle des investissements étrangers, l’Etat a les moyens d’imposer des conditions à un acheteur étranger. « Il existe une procédure d’autorisation préalablenous explique-t-on à Bercy. En l’absence d’autorisation, l’opération ne peut être réalisée. »
Sanctions potentielles
Le gouvernement souhaite mettre la ceinture et les bretelles en signant par ailleurs un accord tripartite avec Sanofi et le fonds repreneur, « qui aura son formalisme dédié ». « Nous utiliserons tous les outils législatifs et réglementaires à notre dispositionexpliquait Antoine Armand à Lisieux. Y compris l’imposition de pénalités et de sanctions. Y compris la possibilité d’un actionnariat public et d’une participation de l’État à la gouvernance d’entreprise. »
Dans ce dossier, le gouvernement avance sur un chemin très haut. Il doit obtenir des garanties du futur acquéreur, sans effrayer les investisseurs. « Ce qui compte c’est la nature des engagements prissouligne Bercy. La France n’est pas fermée aux investisseurs étrangers, bien au contraire. » Antoine Armand « prend en compte le financement dont nous avons besoin pour développer nos usines »il a expliqué.
« Un acteur sérieux »
Et parmi les fonds, le CD&R n’est pas celui qui suscite le plus d’opposition. Déjà présent en France au capital de Mobilux (But et Conforama), Spie ou Rexel, il est aux yeux de l’exécutif « UN (acteur) sérieux qui présente des perspectives positives pour le développement global d’Opella ainsi que pour les sites implantés en France ». Le fonds assure également être dans une démarche constructive, et prêt à discuter de ces différents engagements avec le gouvernement. » CD&R investit dans le monde entier. Ils sont habitués à ce type de processus »explique une source proche du fonds.
Président du conseil d’administration de Sanofi, Frédéric Oudéa a rappelé que l’objectif de cette vente partielle était de développer Opella plutôt que de réduire sa taille. « Sanofi reste associé à ce projet qui est un projet de croissancea expliqué l’ancien patron de la Société Générale. Nous avons choisi un partenaire afin d’être efficaces face à la concurrence des acteurs américains et britanniques. » Opella est désormais numéro trois mondial, mais loin derrière Kenvue et Haleon. Les poches profondes de CD&R seront précieuses pour réaliser des acquisitions et consolider le marché.
Quant à l’usine de Lisieux, où est produit le Doliprane en France, elle est, selon le patron d’Opella, « la plus compétitive au monde pour produire du Doliprane. Imaginer s’en séparer est complètement ridicule. »