Emmanuel Macron a promis d’ici quelques jours une loi spéciale pour assurer la continuité des services publics et la vie du pays. Avant un nouveau texte, début 2025.
Une « loi spéciale » sera présentée à l’Assemblée nationale et au Sénat « avant la mi-décembre ». Dans son discours du jeudi 5 décembre vers 20 heures, Emmanuel Macron a tranché et fixé le cap en matière de budget de la France. Une manœuvre qui permettra au futur gouvernement de maintenir les recettes fiscales de l’Etat et d’assurer son fonctionnement jusqu’au vote d’un prochain budget, en 2025.
Une décision qui fait suite à la motion de censure qui a été votée à la majorité absolue des députés, et plus, mercredi 4 décembre, à l’encontre du gouvernement Barnier. Au total, 331 élus ont voté le limogeage du gouvernement, dont tous ceux du RN, de leurs alliés et du NFP à une seule exception. Il a fallu au minimum 288 voix pour censurer le Premier ministre et son exécutif.
La chute du gouvernement a plongé le pays dans des inconnues politiques et économiques, notamment en ce qui concerne le budget 2025, que ce soit pour le projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS), examiné au Parlement avant le vote de la censure, ou pour le projet de loi de finances (PLF). . Pour rappel, le PLFSS et le PLF sont deux choses différentes. Si les deux projets sont présentés en même temps, leur nature diffère. Tandis que le PLF fixe le budget de l’État pour l’année à venir (dépenses et recettes), le PLFSS vise à maîtriser les dépenses sociales et de santé ainsi que les recettes de la Sécurité sociale.
Une loi spéciale « pour permettre au pays d’investir comme prévu »
L’option retenue par le Président de la République est donc le recours à l’article 45 de la loi organique relative aux lois de finances (LOLF). Il permet au pays de fonctionner sans budget voté. Ce « joker » s’appuie sur un « projet de loi spécial l’autorisant à collecter les impôts existants », jusqu’au vote d’un prochain projet de loi de finances au début de l’année prochaine. Autrement dit, en continuant à appliquer le budget 2024.
Même si le gouvernement démissionnaire n’est pas parvenu à faire adopter un budget, il peut déposer un projet de loi spécial avant le 19 décembre 2024, c’est la date limite qui est désormais fixée. Par cette démarche, Emmanuel Macron entend « assurer la continuité des services publics et de la vie du pays », a-t-il déclaré jeudi soir. Deuxième échéance : le 1er janvier 2025. En effet, pour que ce projet de loi spécial entre en vigueur, il faudra qu’il soit promulgué avant début 2025 par le chef de l’Etat.
Le texte proposé devrait être relativement sommaire, avec un article de loi autorisant « l’Etat à percevoir les impôts existants ». Emmanuel Macron l’a rappelé jeudi, « il est nécessaire d’avoir ce budget en tout début d’année prochaine pour permettre au pays d’investir comme prévu. Pour nos armées, notre justice, nos forces de l’ordre, pour aider nos agriculteurs en difficulté. Chaque chambre ( Assemblée Nationale et Sénat) voteront une seule fois cette loi spéciale, il n’y aura pas de double lecture.
Une fois nommée, la nouvelle équipe gouvernementale prendra le relais avec la proposition d’un nouveau budget, débattue à partir de janvier 2025. Dans les colonnes du Monde, hier, le président LFI de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, Eric Coquerel, a décrit le la loi comme une « option raisonnable ».
Article 16 : dernier recours et « pleins pouvoirs » pour Macron
Attention, si la loi spéciale n’est pas adoptée, une option reste sur la table au-delà du 1er janvier, et non des moindres : l’article 16 de la Constitution conférant à Emmanuel Macron les « pleins pouvoirs », en théorie, pour imposer ses propres décisions budgétaires en décret. Ainsi, de fait, la France pourrait se retrouver totalement sans budget en 2025.
« Lorsque les institutions de la République, l’indépendance de la Nation, l’intégrité de son territoire ou l’exécution de ses engagements internationaux sont menacées de manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels est interrompu, le Président de la République prend les mesures qu’exigent ces circonstances », précise la Constitution.
Pour ce faire, le chef de l’Etat doit consulter son Premier ministre, les présidents des Assemblées ainsi que le Conseil constitutionnel. L’Assemblée nationale ne peut être dissoute pendant l’exercice de pouvoirs exceptionnels. La question est donc de savoir si l’absence de budget constitue, ou non, une raison suffisamment importante pour retirer l’article 16. « On pourrait considérer que les conditions sont réunies pour que l’article 16 de la Constitution soit déclenché », a jugé le constitutionnaliste Benjamin Morel le 5 décembre dans les colonnes de Ouest France.
Inversement, « si la réponse à la censure est l’article 16. Nous devons nous soucier de notre démocratie », s’inquiète Thibaud Mulier, maître de conférences en droit public à l’Université Paris Nanterre pour Public Sénat. « C’est une hypothèse qui est, à ce stade, complètement farfelue (…) Jusqu’à présent, les pouvoirs publics opèrent régulièrement. La France a un budget jusqu’au 31 décembre. Et d’ici là, beaucoup de choses peuvent arriver », abonde Jean-Philippe Derosier, constitutionnaliste et professeur de droit public à l’université de Lille, toujours pour Public Sénat.
« Il n’y a absolument aucun risque de shutdown » à l’américaine
« Si vous n’avez pas de budget pour l’année prochaine, ça veut dire que les fonctionnaires ne sont pas payés », a déclaré l’ancienne Premier ministre et désormais députée du Calvados, Elisabeth Borne, sur le plateau de C à You, le 24 octobre dernier lors de la promotion. de son livre. Une sortie notable, qui rappelle une pratique plutôt associée aux Etats-Unis. En effet, cette situation est possible de l’autre côté de l’Atlantique. Elle est appelée «shut down» et consiste à fermer des administrations si le Congrès américain ne s’accorde pas sur le vote d’un budget. Cependant, en France, le fonctionnement n’est pas le même.
Pour y arriver, il faudrait que le texte soit définitivement rejeté par les deux chambres du Parlement : l’Assemblée nationale et le Sénat, au même stade du processus, et lors de la même lecture, ce qui est très rare. Aussi, le Conseil constitutionnel devrait valider un projet de loi spécial qui permettrait à l’exécutif de percevoir des impôts et de verser un volume minimum de crédits. Des ordonnances pourraient alors permettre d’assurer le paiement des rémunérations des fonctionnaires. « Il n’y a absolument aucun risque d’arrêt. Il y aura des cartes vitales qui fonctionneront, les fonctionnaires seront payés. Il faut sortir des scénarios apocalyptiques », a indiqué Benjamin Morel, constitutionnaliste et maître de conférences en droit public, dans les colonnes d’Europe 1, lundi 2 décembre.
GrP1