« Ma voix est un moi qui m’échappe »
La Croix : Quel rapport entretenez-vous avec votre voix, qui est votre instrument de travail ?
François Morel : J’ai l’impression de mieux le maîtriser qu’à mes débuts où, même devant huit personnes dans un petit café-théâtre, ma voix pouvait me trahir, trembler, se briser. Depuis, j’ai appris à le protéger, à nouer des foulards autour de mon cou. Mais je ne suis quand même pas à l’abri des accidents : la voix a le don de vous échapper dès que l’émotion ou le trac s’en mêlent. Il me semble qu’elle révèle notre intimité encore plus que les expressions faciales ou les attitudes corporelles qui peuvent plus facilement nous induire en erreur.
Le chant a-t-il changé ce rapport à votre voix ?
FM : Oui bien sûr. Prendre des cours de chant permet de contrôler sa respiration et d’identifier le travail du diaphragme. L’instrument est devenu plus concret, plus souple et plus familier grâce à ma merveilleuse professeure, Raymonde Viret qui a fêté ses 100 ans ! Cela ne veut pas dire que je pourrais devenir chanteur lyrique, même si j’adore les écouter et que j’ai un faible pour Offenbach.
Aimez-vous votre voix maintenant?
FM : Oui et non. Je n’aime pas du tout m’entendre « naturellement » : si par exemple j’entends une de mes interviews à la télé, je change immédiatement de chaîne ! En revanche, je suis plus à l’aise avec mes voix de composition, lorsque j’incarne un personnage loin de moi. Alors, les Deschiens (2) ou les personnages que j’ai pu doubler dans des films d’animation, comme le Chat de Rabin ou le chien Rantanplan, me plaisent… parce qu’ils ne sont pas moi. Mais je sais très bien que nous ne sommes jamais le meilleur juge de notre propre voix que nous entendons de manière déformée.
Vous jouez sur le décalage entre votre voix et ce qu’elle dit. Est-ce une des sources de l’humour ?
FM : Absolument. Dire des incongruités d’une voix grave, voire un peu inquiète, comme pourrait le faire Raymond Devos, à qui je rends actuellement hommage, est l’un des ressorts de la comédie. Voyez aussi comment Guy Bedos pouvait raconter des horreurs avec un charme incroyable ! J’aime laisser au spectateur le choix de choisir le chemin entre le contenu et la forme, le sens et le ton. A la radio, comme la voix est notre seule présence, l’imagination de l’auditeur est encore plus libre. C’est pour ça que je trouve dommage qu’on filme les émissions. Cela réduit la part du rêve.
En janvier 2023, vous avez participé à un projet impliquant l’intelligence artificielle…
FM : Il s’agissait de reconstituer l’appel du général de Gaulle du 18 juin. J’ai accepté car l’opération était co-gérée par le quotidien Le monde et l’Ircam, excluant toute idée de manipulation. Il était parfaitement clair qu’il ne s’agissait pas d’un faux mais d’une expérience scientifique. Et comme je suis de nature joueuse, cette nouvelle expérience m’a amusé. J’ai donc lu l’appel basé sur le discours et la formulation du De Gaulle des années 40 et non du leader de la Ve République devant les caméras de télévision. La technologie a fait le reste, en substituant à la mienne une voix synthétique.
Craignez-vous que l’IA remplace les acteurs, voire leur vole la voix ?
FM : C’est drôle car, très récemment, nous en avons discuté avec l’actrice Jeanne Balibar dont le ton est si caractéristique. Elle avait entendu sa voix reconstruite par l’IA lors d’une séance de post-synchronisation et cela l’avait rassurée. Elle m’a dit que nous n’avions rien à craindre, car cette voix synthétique manquait d’âme et de vibration. Je souhaite partager son optimisme, du moins lorsqu’il s’agit d’un travail soigné et de qualité. Pour le commun des mortels, il s’agit sans doute d’autre chose et l’IA peut créer une illusion.
(1) J’ai des doutes, à La Scala, jusqu’au 23 juin.
(2) Série télévisée française créée par Jérôme Deschamps et Macha Makeïeff d’après leur émission.