« Ma famille me demande de « tourner la page » après les viols de mon grand-père »

« Je suis le troisième de cinq enfants. Tous les autres étaient aimés et désirés, moi pas. Ma mère n’arrêtait pas de me dire que j’étais un accident. La première fois qu’elle a eu des relations sexuelles après la naissance de ma sœur, elle n’a pas pris de précautions. Mon père était catholique pratiquant, et c’était dans les années 1970, on ne faisait pas d’avortement. Alors elle m’a gardée, à contrecœur.

Elle ne niait pas sa grossesse, mais ce que j’appellerais son mépris pour sa grossesse. Elle m’ignorait : elle continuait à fumer, à travailler beaucoup, elle ne prenait pas beaucoup de poids. Ma mère aimait raconter des histoires sur ses grossesses et ses accouchements, alors j’ai entendu ces histoires à maintes reprises. Elle était censée travailler jusqu’au dernier jour, mais elle avait une sciatique qui l’obligeait à rester au lit à la fin. Elle m’en a reproché la responsabilité plus de trente ans plus tard : « Tu as toujours été mon point sciatique. »

Je suis née un mois avant terme. J’étais une petite crevette à la peau foncée et aux cheveux noirs. L’opposé de mes frères et sœurs aînés et de ce que ma mère souhaitait : des enfants blonds à la peau claire.

Dès le début, ça n’allait pas bien. Comme si j’avais été un enfer pour elle, dès ma naissance. Je m’endormais au sein, la tétée durait plus d’une heure. Apparemment, le pédiatre n’avait jamais vu ça. En grandissant, ça ne s’est pas amélioré. J’étais toujours la cinquième roue du carrosse, le vilain petit canard. Mes yeux n’étaient pas bleus mais gris. J’avais des dents béantes, il fallait les resserrer ; j’avais « une bosse » à la place du nez, il faudrait que je me fasse opérer plus tard ; mes cheveux étaient « en baguettes », « Raide comme la justice ». En plus, j’étais gauchère. Je me souviens d’une anecdote, un été, quand j’avais 15 ans. Nous sommes toutes dehors dans le jardin, en maillot de bain. Ma mère nous regarde, et commente nos physiques. Ma grande sœur, au corps très féminin et épanoui, est une « Renoir ». Ma petite sœur, une « Tanagra ». Moi qui suis plutôt du genre androgyne, épaules carrées, grande et fine, je lui demande : « Et moi ? » « Toi ? Tu n’es pas faite ! », me répond-elle sèchement.

« Comme un ogre »

Quand j’avais 5 ans et demi, nous sommes allés vivre chez mes grands-parents pendant six mois, en banlieue parisienne. Après cela, nous allions chez eux tous les dimanches, pour les vacances et les jours fériés. Nous n’habitions pas loin. Mon grand-père était un homme charismatique, autoritaire et admiré, qui avait une emprise très forte sur ses quatre filles, dont ma mère. Il disait à qui voulait l’entendre que j’étais sa petite-fille préférée. Il m’appelait « la princesse ». C’est à ce moment-là qu’il a commencé à me violer.

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