Le ministère des Armées s’est rapidement intéressé au potentiel de l’intelligence artificielle (IA) pour la conduite de ses opérations. D’où les programmes Artemis IA (Multi-Source Information Processing and Mass Exploitation Architecture) et TORNADE (Optical and Radar Processing by Artificial Neurons via Detector) ou encore le MMT (Man-Machine-Teaming) et HYPERION (pour le combat au sol). De plus, il a défini un cadre éthique pour l’utilisation de cette technologie
Mais il s’agit désormais d’aller plus loin, la loi de programmation militaire (LPM) 2024-30 précisant que les armées doivent être capables de « traiter de manière autonome les flux de données fournis par les capteurs dont elles disposent » et de consolider leur « capacité à évaluer les situations stratégiques et tactiques ». D’autres applications sont envisagées, notamment dans le domaine de la robotique et dans celui du Maintien en condition opérationnelle (MCO).
A cet effet, en mars dernier, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a annoncé la création de l’Agence ministérielle chargée de l’intelligence artificielle de défense (AMIAD), censée être le pendant de la Direction des applications militaires (DAM) de l’énergie atomique. et la Commission des énergies renouvelables (CEA), dédiée à la dissuasion nucléaire.
La mission de l’AMIAD sera de « conceptualiser, voire fabriquer, l’intelligence artificielle dans les grands programmes militaires, actuels et futurs ». Et, pour cela, comme le DAM/CEA, il disposera de son propre supercalculateur « classifié » qui permettra de tester l’IA embarquée dans les systèmes d’armes. De plus, il peut être utilisé par les industriels de la défense, sans « crainte d’espionnage ». En clair, il ne sera évidemment pas question de le « connecter » à un réseau.
Attendu pour être le plus puissant d’Europe en matière d’IA de défense, ce supercalculateur doit être mis en service en 2025. Aussi, sans attendre, il a fait l’objet d’un appel d’offres dont le montant est compris entre 200 et 300 millions. euros. Deux constructeurs se sont manifestés : Hewlett Packard (associé à Orange) et Atos.
A noter que, dans une très large mesure, ce contrat bénéficiera au constructeur qui fournira les processeurs de type NPU (Neural Processing Unit). Et comme l’américain Nvidia occupe une position dominante sur le marché (88%), tout porte à croire qu’il en sera le grand bénéficiaire.
En tout cas, ces derniers jours, plusieurs sources ont indiqué que l’offre du tandem Hewlett Packard/Orange avait été privilégiée par la Direction commune des infrastructures, réseaux et systèmes d’information, chargée d’examiner ce dossier. . Et pendant ce temps, bien que très affaibli, Atos semblait avoir les meilleures cartes en main pour s’imposer.
Mais le jeu est loin d’être terminé. C’est ce qu’a expliqué M. Lecornu lors d’une audition à l’Assemblée nationale le 14 octobre. « Le marché est toujours en cours. Et comme tous les marchés publics encore en cours, il faut faire preuve de prudence», a-t-il déclaré, avant de dénoncer certaines manœuvres autour de cette procédure.
« Pour être direct, j’invite les parlementaires à faire preuve de la plus grande prudence, notamment à l’égard de toutes démarches émanant de lobbys divers et variés puisque j’ai été frappé de constater une agitation parisienne importante à ce sujet. Et en général, cette agitation n’est pas gratuite », a déclaré le ministre.
« Les entreprises font ce qu’elles veulent avec leur argent pour influencer les différents décideurs, mais quand on parle de concurrence pour de grosses sommes d’argent, sur des marchés publics en cours, je pense que, collectivement, nous devons être prudents. Pour être transparent, il y a des démarches du ministère qui, pour moi, posent question », a poursuivi M. Lecornu.
Quoi qu’il en soit, si le contrat pour ce supercalculateur n’a pas été attribué, c’est parce que les deux offres reçues suscitent des interrogations. Selon le ministre, on est « anormalement faible » (l’impératif de « souveraineté » n’est pas une excuse, a-t-il suggéré). Quant au second, il « pose la question » de savoir s’il « n’est pas anormalement fort » par rapport au premier.
Et « quand je dis que les deux réponses sont très différentes, elles portent sur les délais, le prix, les performances et le ‘personnel’ employé. Quiconque a fait une CAO (commission d’appel d’offres, ndlr) dans une mairie, un département, voit ce que cela peut signifier », a déclaré le ministre.
Aussi, pour clarifier les choses, M. Lecornu a indiqué avoir contacté le Contrôle général des forces armées (CGA) afin qu’il « reprenne toute la procédure de marché », tant sur la forme que sur le fond. Il doit rendre ses conclusions dans dix ou quinze jours.
Photo : Groupe Naval