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« L’un des composants qui a le plus d’influence sur la performance », pourquoi tout le peloton se bat pour les meilleurs pneus

Au cœur de la course à l’évolution technologique chère au cyclisme, le pneu est désormais considéré comme un élément central de la performance. Pour les équipes et les constructeurs, trouver le meilleur compromis entre performance, efficacité et sécurité est devenu clé.

C’est une chorégraphie bien huilée. Chaque midi, avant le départ de l’étape du jour, les vingt-deux équipes du Tour de France prennent place dans le paddock. Une zone technique où les bus sont installés pour une ou deux heures. A l’abri des regards et des oreilles indiscrets, derrière d’imposantes vitres teintées, coureurs et directeurs sportifs décortiquent les spécificités du parcours, peaufinent leur stratégie et soignent les derniers bobos avant de repartir au combat. Un étrange ballet s’organise au même moment dans les rangs des mécaniciens. Sous les yeux curieux du public et des chasseurs d’autographes, ils ont pour mission de bichonner jusque dans les moindres détails les précieux vélos qui s’apprêtent à endurer une série d’efforts intenses. Avec une attention particulière portée à un élément : le pneu.

« On vérifie aussi les roues, la fourche, le guidon, le pédalier, la tige de selle… Mais c’est vrai qu’on y attache beaucoup d’importance car son rôle est essentiel. C’est le lien entre la machine et le sol, on ne peut pas se permettre de le négliger. Il faut être précis et prendre en compte différentes variables, comme l’état de la route, le parcours, les conditions météo, le poids du coureur ou encore son style de course pour ajuster au mieux la pression des pneus », explique Gilles Martinet, mécanicien et responsable technique chez Decathlon-AG2R La Mondiale. « On cherche en permanence à optimiser tous les paramètres. Et comme la partie pneu est une composante majeure des forces de résistance au roulement, on ne peut pas l’ignorer. On regarde évidemment ce que font les autres pour ne pas prendre de retard et essayer d’avoir une longueur d’avance », complète Samuel Bellenoue, en charge de la performance chez Cofidis.

« Les pneus étaient autrefois considérés comme la dernière roue du chariot »

Engagés depuis longtemps dans une course vertigineuse à l’innovation technologique, avec des vélos réglés au millimètre pour gagner toujours plus en vitesse et en aérodynamisme, les équipes et leurs constructeurs ne lésinent plus sur les moyens financiers et humains alloués à la recherche et au développement autour du pneu. Beaucoup y voient la pièce maîtresse du puzzle. « Quand le Britannique Tom Pidcock dépasse les 100 km/h dans une descente sans chuter, il le fait bien sûr grâce à son immense talent, mais aussi parce qu’il a un excellent pneu. C’est l’un des composants qui a le plus d’influence sur la performance, qui permet d’aller vite ou pas. Au début de ma carrière, on n’y prêtait pas une attention particulière. Aujourd’hui, rien n’est laissé au hasard à ce niveau et avoir le meilleur pneu est devenu une priorité pour tout le monde », appuie Jérôme Coppel, ancien champion de France du contre-la-montre (2015) et actuel consultant pour RMC.

Pneus Continental montés sur les vélos Van Rysel de l’équipe Décathlon AG2R la Mondiale, sur le Tour de France 2024 – RMC Sport

Au sein du peloton mondial, ce marché ultra-concurrentiel est dominé d’une courte tête par les Allemands de Continental, qui équipent huit équipes sur ce Tour de France, notamment Ineos, donc, mais aussi les UAE Emirates du maillot jaune Tadej Pogacar, devant les Italiens de Vittoria, choisis par le Visma-Lease pour un vélo de Jonas Vingegaard et l’Astana du roi du sprint Mark Cavendish. Viennent ensuite les Américains de Specialized, les Allemands de Schwalbe, les Italiens de Pirelli et les Français de Michelin.

« Les pneus étaient autrefois considérés comme la dernière roue du chariot. Nous avons désormais compris qu’ils sont le seul point de contact entre la route et la machine et qu’ils sont très importants en termes de performances et de sécurité », confirme Monzon Traoré, responsable des ventes vélos en France chez Continental.

Mais quelles sont les caractéristiques d’un pneu de haute précision et dans quelle mesure sa technologie a-t-elle évolué ?

Un compromis à trouver entre grip et performance

« Pendant des années, on roulait avec un boyau et une chambre à air. Puis on est passé au pneu/chambre à air, et enfin au procédé « tubeless » issu du VTT. C’est un pneu sans chambre à air avec un liquide anti-crevaison à l’intérieur. L’objectif reste le même : avoir le bon compromis entre ce qu’on appelle le grip, c’est-à-dire l’adhérence du pneu à la route, et la performance. Quand j’ai commencé chez Cofidis en 2013, on avait un bon boyau mais sans aucun grip. C’était top quand il faisait sec mais c’était l’enfer dès qu’il pleuvait. On s’est alors retrouvé avec des boyaux qui tenaient la route mais n’avaient plus de performance. Il a fallu multiplier les tests et les retours d’expérience avec les ingénieurs pour trouver un équilibre », se souvient Coppel.

« Plus le pneu est performant, moins le coureur se fatigue. Imaginons qu’un coureur développe 100 watts avec un certain type de pneu. Et 100 watts avec un type de pneu avec plus de grip. Au lieu de produire 30 km/h, il sera à 29,7 km/h. Cela ne paraît pas grand-chose, mais sur la durée d’un Tour de France, cela fait une énorme différence », ajoute l’ancien coureur de IAM. S’il est un point central de performance, au point de nécessiter des centaines d’heures de tests en atelier pour obtenir la meilleure combinaison, le pneu a aussi son rôle à jouer en termes de sécurité, alors que le peloton a été profondément marqué par la série de chutes qui ont émaillé le début de saison.

La question majeure de la pression

« Pousser toujours plus loin dans la quête d’amélioration du matériel et des résultats fait partie de notre métier. Mais il ne faut pas perdre de vue qu’un pneu doit pouvoir offrir une bonne résistance aux crevaisons. Il vaut mieux perdre une seconde ou dépenser quelques watts supplémentaires sur une étape, ce qui est anecdotique, que de finir par terre », insiste Samuel Bellenoue. Ces propos font écho à la belle frayeur vécue par Remco Evenepoel lors de la quatrième étape entre Pinerolo et Valloire. Lancé à la poursuite de Pogacar, le prodige belge de Soudal-Quick Step a pris tous les risques dans la descente du Galibier et a avoué s’être fait peur en abordant à pleine vitesse certains virages rendus glissants par la pluie.

« C’est là que la pression des pneus entre en jeu. On peut faire une erreur et perdre une course à cause d’une erreur de pression, surtout si la météo est mauvaise. Elle n’est pas toujours parfaitement contrôlée. Cela explique en partie pourquoi on voit de plus en plus d’accidents », estime Coppel.

Le gonflage précis adopté par les équipes du Tour reste un secret plutôt bien gardé. Pas question de donner trop d’indications aux adversaires sur un terrain où l’innovation semble sans limite. En 2023, Paris-Roubaix avait ainsi servi de laboratoire à l’équipe DSM, qui avait testé un système de pression des pneus réglable. En activant une simple commande située sur leur guidon, les coureurs de l’équipe néerlandaise avaient pu agir en temps réel sur le gonflage grâce à des réservoirs d’air placés dans les moyeux et aux valves mécaniques.

Une petite guerre entre fabricants

L’outil, visant à s’adapter au mieux aux imperfections des pavés du Nord, avait été validé par l’Union cycliste internationale (UCI), qui suit de près toutes ces évolutions. « Le gonflage varie vraiment en fonction du type de course et de la stratégie recherchée. Avec les boyaux, on était sur des pressions relativement élevées. Ce n’est plus le cas depuis que le « tubeless » a pris le dessus », explique Gilles Martinet, le responsable technique de Decathlon-AG2R La Mondiale. « On pouvait monter jusqu’à des pressions de 9 ou 10 bars dans les contre-la-montre, ce qui était énorme. Aujourd’hui, cela dépend toujours du poids du coureur mais on est plutôt entre 6 et 7 bars. Pour une étape qui se déroule sous le déluge, on peut descendre à 4,5 ou 5 bars pour des coureurs très légers. Si vous gonflez plus bas en pensant aller plus vite, votre gomme va exploser au moindre accroc », sourit Coppel.

La pression des pneus doit aussi être adaptée à la forme de la jante. Un pneu très large pour une jante très fine, ou un pneu très fin pour une jante très large, c’est un moyen sûr de perdre en aérodynamisme. C’est un point de réflexion pour les équipes et les constructeurs, qui sont sans cesse obligés de revoir leur copie de pneus pour trouver la perle rare en termes de taille, de composition, de niveaux de gonflage, d’étanchéité et de dimensions. « C’est un marché en pleine évolution, observe Monzon Traoré de Continental, partenaire majeur du Tour de France. Il se passe beaucoup de choses, notamment sur la largeur des pneus. Il y a une querelle entre l’ancien et le nouveau entre les pneus qui font parfois 30 mm de large et ceux d’il y a quelques années qui faisaient 25 mm ou moins. Notre rôle est d’apporter sécurité et performance. La concurrence est rude mais saine. Chaque constructeur essaie d’apporter des innovations. »

Un marché à réguler ?

Cela peut parfois tourner à la petite guerre, comme le confie une source proche de la compétition : « Certaines équipes professionnelles du Tour qui ont un contrat de fournisseur avec un concurrent choisissent tout de même de s’équiper de pneus d’un autre concurrent, en les achetant elles-mêmes chez des revendeurs. Les coureurs du Tour semblent effectivement faire passer le message de ses performances. » Ce qui pose question sur la nécessité d’imposer de nouvelles réglementations réclamées par certains acteurs du peloton.

« Je suis favorable à la poursuite des recherches, explique Coppel. Sinon, autant revenir aux vélos en acier et aux tubes chauffants. La seule façon de tout mettre en cohérence serait d’avoir le même pneu pour toutes les équipes, et la même marque. Mais ce serait trop compliqué à mettre en œuvre dans ce sport. Les marques de pneus rapportent de l’argent, il y a la question des sponsors… Le modèle économique du cyclisme n’est pas celui de la Formule 1. »

Rodolphe Ryo, à Mâcon (Saône-et-Loire)

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Jeoffro René

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