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l’organiste Olivier Latry jouera à la réouverture de Notre-Dame

Dieu seul sait (pour ainsi dire bien sûr) dans quelle mesure Olivier Latry, 62 ans, co-titulaire du grand orgue de Notre-Dame de Paris depuis 1985, connaît l’instrument : un immense Cavaillé-Coll de 1868 (mais dont la première facture date de 1733), avec 8 000 canalisations, qui ont survécu, intactes, à l’incendie du 15 avril 2019. Démonté, il a néanmoins fallu le plomber propre poussière. Dans deux ouvrages récemment publiés (A l’orgue de Notre-Dame2021 et Carnets de voyage. De Notre-Dame au monde entierr, 2024), le musicien a notamment raconté sa relation très particulière avec l’orgue, son émotion de le savoir en danger et son rôle d’ambassadeur de cet instrument d’exception dans le monde.

Séparé de lui depuis cinq ans, l’organiste retrouve peu à peu la console de l’instrument avec lequel il a participé le 7 décembre aux festivités de réouverture de la cathédrale Notre-Dame. Nous l’avons rencontré il y a quelques jours pour parler de ces retrouvailles émouvantes.

Franceinfo Culture : Quand avez-vous trouvé l’orgue de la cathédrale ?
Olivier Latry : Je l’ai déjà vu l’année dernière alors qu’il était muet. Et j’y ai rejoué pour la première fois en juin dernier. J’ai été extrêmement surpris, car il y avait encore tous les échafaudages, notamment à la croisée du transept. Il y avait des tapis partout, des outils, donc l’acoustique était différente. Il n’y a eu que deux secondes de réverbération, contre sept habituellement ! Ce n’était plus le même instrument. Cela montre que l’instrument n’est pas seulement l’orgue lui-même, avec ses tuyaux, mais aussi la cathédrale. En fait, la cathédrale est l’instrument, et l’orgue n’est là que pour faire résonner les pierres.

L’orgue vous a-t-il manqué durant ces cinq années ?
Curieusement, pas tellement. Cela fera quarante ans l’an prochain que je suis en service à Notre-Dame, et j’ai souvent vécu sans l’orgue : quand il était en restauration – de 1990 à 1992, puis entre 2012 et 2014 – et quand j’avais une épaule opération, je ne suis pas venu pendant six mois. Il faut juste être patient, c’est tout. Cela aurait été différent si l’organe avait brûlé, s’il avait disparu.

Justement, revenons au jour de l’incendie de Notre-Dame. Dans ton livre A l’orgue de Notre-Dame (2021), vous dites avoir eu cette réflexion : « Depuis l’annonce de la catastrophe, il y a quelques minutes, je me rends compte que je n’ai pas pensé à lui. Pris en sandwich entre les deux tours, le grand orgue est impensable sans la cathédrale.  »
Absolument. Que serait l’orgue s’il n’y avait pas de cathédrale ? Il n’y aurait plus d’orgue. Et bien qu’il soit transcendant, l’un des plus beaux orgues, sinon le plus bel orgue du monde, il est abrité dans la cathédrale, et il est absolument transcendant.

Vous écrivez également que vous avez été « stupéfait » de découvrir que l’orgue était intact.
Oui, c’était une vraie surprise. Je pensais qu’il aurait disparu d’une manière ou d’une autre. Elle aurait pu être détruite par les flammes, par la chaleur : les canalisations auraient fondu sur elles-mêmes. Et l’âme de l’orgue aurait disparu puisque ce sont les tuyaux qui font l’âme. Nous aurions pu les reconstruire, mais nous n’aurions jamais retrouvé la même chose. Ou bien, il aurait pu être submergé par l’eau des pompiers et dans ce cas, on aurait pu sauver les canalisations, et tous les éléments en bois, mais on n’aurait pas vraiment retrouvé l’instrument tel qu’il était. Est.

L'orgue de la cathédrale, le 29 novembre 2024, quelques jours avant la réouverture de Notre-Dame de Paris. (STÉPHANE DE SAKUTIN / PISCINE / AFP)

Pendant cinq ans, l’orgue dut être démonté, puis nettoyé pour le décontaminer de la poussière de plomb, et enfin remonté. Comment avez-vous vécu cette période ?
Vous savez, ce feu nous a appris l’humilité à différents niveaux. Je me souviens très bien, le lendemain de l’incendie, d’avoir dit : je veux venir à Notre-Dame, je veux voir l’orgue. On m’a dit qu’il y avait d’autres priorités : tu peux venir pleurer autant que tu veux, mais pour l’instant, ce n’est pas le moment. Voilà, c’était clair. Après, des experts ont été désignés pour faire le travail, nous étions en retrait, nous étions informés – ou pas – de ce qui se passait. Nous étions la cinquième roue et c’était normal, c’était légitime.

Enregistrement de disque Bach à Notre-Dame en 2019, c’est la dernière réalisée à la cathédrale avant l’incendie. Nous sommes venus vous voir lors de sa préparation. Ce disque qui s’appelait Bach vers le futur sort aujourd’hui remasterisé et avec un nouveau titre, Bach à Notre-Dame. Son point de vue change : avant, le musicien baroque allemand était propulsé au XIXe siècle (avec l’orgue de Notre-Dame), aujourd’hui, le regard est différent. Est-il tourné vers un passé révolu – un son qui ne sera plus reproduit – ou plutôt vers un son immuable, celui de la cathédrale ?
C’est bien, comme tu le dis, je ne vais pas choisir entre les deux options.

Vous jouerez de nouveau à Notre-Dame le 7 décembre à l’occasion du « réveil de l’orgue ». De quoi s’agit-il ?
C’est comme quand on réveille quelqu’un : l’archevêque le bénira avec de l’encens et de l’eau bénite. Il y aura une prière et après cela il s’adressera à l’orgue avec huit phrases, chacune commençant par « Ô orgue, instrument sacré ». Et ces phrases décrivent un aspect de la foi catholique. Le premier est « Ô orgue instrument sacré, réveille-toi. Chantez les louanges de Dieu, le père ». Et là, l’orgue va jouer, il faut donc décrire musicalement cette phrase. La seconde, «Célébrez le Christ mort et ressuscité pour nous». Et pareil. Bien évidemment, le ton sera forcément différent, tout comme chaque intercession. A chaque fois, nous répondrons par une improvisation, et comme il y a quatre organistes, nous en jouons deux chacun.

Rien n’est prévu à l’avance ?
Nous ne pouvons pas jouer de musique écrite. En général, je peux avoir un projet, mais il viendra sur le moment, sinon ce n’est plus une improvisation, il n’y a plus de spontanéité, et c’est ça qui est important. Nous nous inspirons du moment que nous vivons en fonction de différents paramètres : quelle sera la ferveur des gens en bas, dans la cathédrale ? Et quelle sera la ferveur de 160 chefs d’État ? C’est quelque chose que nous percevons très clairement, même lorsque nous sommes à 16 mètres de hauteur et à 80 mètres d’eux. En fait, être organiste, c’est être télépathique, il faut essayer d’être le plus réceptif possible à tout ce qui nous entoure : un éclairage précis, peut-être une odeur, l’odeur de l’encens, un silence plus calme. ou moins discret, je ne sais pas. Et tout ça va dicter mes premiers accords et me faire jouer d’une certaine manière.

Dans quel état êtes-vous, êtes-vous inquiet ?
C’est tout ce que j’ai, l’appréhension, car c’est l’inconnu. L’acoustique est différente, la sonorisation, l’éclairage. C’est une « nouvelle » cathédrale, des murs qu’on connaît, mais qu’on n’a jamais vus dans cette couleur.

« Aux orgues de Notre-Dame » d’Olivier Latry avec Stéphane Friédérich, éditions Salvator, 2021
« Carnets de voyage. De Notre-Dame au monde entier » d’Olivier Latry, éditions Salvator, 2024
« Bach à Notre-Dame », La Dolce Volta, 2024

Cammile Bussière

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