« Look Back est un concentré du meilleur de l’animation japonaise moderne »
Look Back, le moyen métrage d’animation, adaptation du célèbre manga du même nom, bénéficie d’une sortie temporaire en salles en France les 20 et 21 septembre 2024. Amel Lacombe, la distributrice du film en France, explique les contraintes liées à une sortie événement.
Si vous suivez l’actualité manga de près ou de loin, vous n’avez pas pu manquer le phénomène Regarder en arrièreCe one-shot de 143 pages, signé par Tatsuki Fujimoto (L’homme à la tronçonneuse, Coup de feu) a été publié sur la plateforme en ligne Jump+ en juillet 2021, et a rassemblé plus de 4 millions de lecteurs en moins de 48 heures. Lorsque la version cartonnée (tankobon) a été publiée au Japon, plus de 150 000 exemplaires ont été vendus en deux semaines.
Les critiques et les lecteurs ont salué la qualité de cette œuvre, déjà un classique du genre.
Tatsuki Fujimoto, avec Regarder en arrièreS’éloignant des mangas d’action et d’aventure qui ont fait sa réputation, il livre une fable intimiste flirtant avec la réalité.
Look Back est l’histoire de la rencontre de deux personnalités opposées, de la naissance et de l’épanouissement d’une amitié, et de la poursuite d’une passion dévorante, le tout ponctué d’un drame humain.
Fujino est passionnée de manga. Ses bandes dessinées sont publiées chaque semaine dans le journal du lycée. Extravertie et sûre d’elle, Fujino est persuadée qu’elle deviendra une mangaka célèbre. Ses certitudes vacillent lorsqu’un jour, elle voit dans le journal du lycée une histoire dessinée par Kyomoto. Le dessin est bien plus beau que le sien…
Kyomoto est ce qu’on appelle une hikikomori, elle ne sort jamais de chez elle. Mais un jour, Fujino sera sollicitée par son professeur pour lui apporter son diplôme de fin d’année. C’est le début d’une grande amitié entre ces deux passionnés de manga…
Adapté en moyen métrage (58 minutes), salué au festival d’Annecy, Look Back sera projeté dans les salles françaises pendant deux jours seulement.
Amel Lacombe, la fondatrice d’Eurozoom, le distributeur pour la France de ce bijou, explique à Linternaute.com pourquoi une telle sortie événement est nécessaire malgré le risque financier.
Regardez en arrière est l’adaptation cinématographique d’un manga one-shot qui a connu un succès mondial. Était-ce un « achat » évident ? Ou avez-vous attendu de voir le film pour vous y intéresser ?
Amel Lacombe : Je n’avais pas lu le manga. Je suis occupé avec mon travail de distributeur de films, notamment de films d’animation. Bien sûr, j’avais entendu parler de l’œuvre, mais je ne m’y suis intéressé que lorsqu’une adaptation animée a été annoncée. Je parle tous les jours à des producteurs japonais, l’annonce de cette adaptation a généré un buzz dans l’industrie, et même au-delà.
J’ai ensuite approfondi l’histoire, pris connaissance du contexte autour de cette œuvre et des liens forts avec la tragédie qui a frappé le studio Kyoani. J’ai ensuite contacté les responsables des licences internationales du film. Je n’avais jamais travaillé avec eux auparavant, j’ai pu les rassurer en leur présentant Eurozoom et les convaincre de l’intérêt d’une sortie en France, mais…
Mais… ?
Mais il y avait plusieurs obstacles. Tout d’abord, c’est un film produit par un jeune studio indépendant. Pour se financer, ils ont vendu le film à une plateforme AVOD. Ces plateformes n’ont pas du tout la même logique d’exploitation d’un film qu’un distributeur de cinéma comme nous. Mais j’ai été captivé par la narration du film, la dramaturgie grandiose de cet ovni cinématographique. Regarder en arrière est un concentré du meilleur de l’animation japonaise moderne en seulement 58 minutes.
J’ai réussi à négocier pour le présenter aux équipes du festival d’Annecy, qui ont accepté car au fil des années nous avons construit avec elles une relation de confiance. C’était à la dernière minute, donc en séance spéciale. Ils ont été dépassés par l’engouement autour de cette séance, car elle a été sold out en moins d’une heure. Ils ont dû en reprogrammer plusieurs.
Avec l’explosion des plateformes AVOD et SVOD, il semble difficile de faire cohabiter exploitation traditionnelle et chronologie des médias en France. Est-ce pour cela que le film sort en période événement ?
Absolument. J’ai tout essayé pour faire comprendre à la plateforme que l’exception culturelle française était un atout pour eux. Même si cela a repoussé de 17 mois l’exploitation du film en France. Mais je me suis heurtée à un mur. Et pourtant, c’est dommageable pour le film, et même, au-delà, pour le réalisateur.
Quelles sont les contraintes d’une sortie événementielle ?
Les gens ignorent ces contraintes, ils pensent qu’il suffit de sortir quelques jours. Mais la réglementation est drastique en France. On n’a droit qu’à 500 séances en 48 heures. Pas une séance de plus, sinon on s’expose à une amende de 45 000 €. D’ailleurs, en ce moment, avec la sortie du documentaire Kaizendu YouTubeur Inoxtag, le producteur MK2 Alternatif a pris un très gros risque en le programmant pendant plus de 1 000 séances, faisant fi du règlement.
Peut-on rentabiliser une sortie avec 500 séances en deux jours ?
Absolument pas. En fait, nous avons fixé le nombre de séances à 450 pour le moment. Car il arrive que certaines salles programment des séances supplémentaires à la dernière minute et nous préviennent ensuite. Une sortie événement de Regarder en arrière Sortir ce film en salle est une aberration économique. Et pourtant, je le fais et le referai sans hésiter. On va perdre de l’argent avec l’exploitation de ce film, mais artistiquement, c’est une obligation morale de le sortir en salle. Notre métier de distributeur est de permettre à un public de rencontrer des films. De dénicher les réalisateurs de demain, de les accompagner.
Est-ce dans cet esprit de « découverte » que vous avez prévu une sortie nationale ?
Absolument, la logique économique nous aurait poussé à concentrer les 500 projections sur Paris et son agglomération. Là où il y a une plus grande densité de population et donc une meilleure garantie d’avoir des salles pleines. Mais il est important pour nous d’offrir la meilleure couverture possible à ce film et à ce jeune réalisateur. Aujourd’hui, nos principaux concurrents n’ont pas cette logique éditoriale. Ils se contentent de regarder des chiffres déjà établis et de sortir le chéquier.
Voici les salles où vous pourrez découvrir LOOK BACK, en exclusivité les 21 et 22 septembre !
D’autres salles rejoindront l’événement prochainement. Restez connectés pour ne rien manquer.
Pour plus d’informations sur le film https://t.co/zV4jGF3Qid
Après le manga culte, une expérience à ne pas manquer pic.twitter.com/RIkBRY875X
— Eurozoom (@infosEurozoom) 30 août 2024
Vous avez une logique presque artisanale ?
On peut dire que nous avons conservé une taille humaine, et c’est très important dans ce milieu. Bien sûr, l’argent reste un élément fort, voire le principal, mais l’humain permet tout de même de compenser certains excès. C’est grâce aux liens que nous avons noués avec Makoto Shinkai, en le soutenant dès le début, que nous avons pu récupérer la distribution en France de Suzume. Alors que Sony avait récupéré l’exploitation mondiale en dehors du Japon.
De plus, nous avons eu le meilleur score d’Europe avec 575 000 entrées, et au final un meilleur résultat par copie qu’aux USA. Si je reviens à la visite de Kiyotaka Oshiyama, le réalisateur de Look Back à Annecy cet été, j’ai fait une rencontre incroyable. C’est une personne exceptionnelle. Il dégage un humanisme chatoyant. Il travaille en famille, sa femme fait partie de son studio. C’est le genre de rencontre qui vaut des dizaines de milliers d’entrées en salle. Et j’espère pouvoir retravailler avec lui à l’avenir.
En parlant de Makoto Shinkai, la sortie d’un événement ne nuit-elle pas aux prix potentiels ?
Tout à fait, et pour plusieurs raisons. La première, technique, un film qui n’a pas de visa d’exploitation « normal » ne peut pas concourir aux Césars par exemple. Les films de plateformes sont très bons pour le financement en amont de la production, mais ils nuisent à la vie de l’œuvre après sa sortie. La France est un territoire majeur pour la valeur ajoutée autour d’un réalisateur. En France, le réalisateur a quand même une aura incroyable, il personnifie un film. Je peux dire sans hésiter que si Mamoru Hosoda s’est retrouvé à Cannes et aux Oscars, c’est en partie grâce à son passage en France lors de la sortie du film. Le voyage à travers le temps. On a eu beaucoup de presse quand il est venu. Et les responsables des comités de sélection, mais aussi les membres des jurys, regardent beaucoup la presse.
Si vous recherchez « Mamoru Hosoda » dans l’onglet Actualités sur Google, vous tomberez principalement sur des articles de la presse francophone. Récemment, pour Ongakuun film de niche, Marius Chapuis a consacré un article à ce film dans Libération. Ce type d’article est un événement majeur dans la carrière d’un réalisateur. SuzumeCrunchyroll a été très malin et a fait pression pour que le film soit distribué dans les salles de cinéma du monde entier. Et l’histoire leur a donné raison quand on regarde le nombre de sélections et de récompenses que le film a reçues.
Doit-on s’attendre à ce que ce type de sortie événement devienne une nouvelle norme dans le monde du cinéma d’animation ?
Je ne pense pas. Les réalisateurs et studios de renom sont bien conscients des impacts d’une sortie limitée aux plateformes AVOD et SVOD. Aujourd’hui, les petits producteurs n’ont pas forcément les moyens de refuser ce type de contrat et de contraintes. Mais j’espère qu’ils apprendront à s’unir, à négocier quelques exceptions, et que la France fera partie – comme le Japon – des pays où une sortie en salles sera maintenue, malgré la chronologie des médias.
En quoi une sortie de ce type diffère-t-elle d’une sortie « classique » ?
Cela n’a rien à voir. Nous ne faisons pas le centième de notre travail pour ce type de sortie. Pas de presse, pas d’achat d’espace, pas de communication, pas de travail d’influence. Nous fonctionnons déjà à perte, nous ne pouvons pas augmenter le déficit. C’est aussi pour cela que nous ne pouvons pas proposer une version avec doublage.
Vous avez quand même ouvert un pop-up store pendant trois jours ?
Habituellement, ce pop-up store, qui jouxte nos bureaux, sert avant tout de support promotionnel. Mais faire venir du Japon du matériel promotionnel, goodies ou autres, coûte cher et prend du temps. Pour Look Back, nous avons décidé d’utiliser le pop-up store comme une activité annexe, pour marquer l’importance de cette sortie, soutenir au maximum ce jeune réalisateur et communiquer auprès de nos spectateurs.
Look Back, un film de Kiyotaka Oshiyama, en salles en exclusivité les 21 et 22 septembre 2024.
GrP1