Jean-Christophe Spinosi, directeur musical, et Emmanuel Daumas, à la mise en scène, livrent leur vision de L’Olympiade, un opéra ancien et romantique de Vivaldi, qui sera joué du 20 au 29 juin au Théâtre des Champs-Élysées. Commentaires croisés entre deux artistes complices.
Le génie de Vivaldi
Jean-Christophe Spinosi :L’Olympiade, créé à Venise en 1734, est l’œuvre d’un compositeur au sommet de son art qui – c’est la marque des grands – s’ouvre aux influences pour fabriquer son propre miel, reconnaissable entre tous. Ici, Vivaldi se tourne vers l’opéra napolitain avec ses airs incroyablement virtuoses tout en préservant l’expression des sentiments des personnages. Sa musique est comme un bouquet sonore et dramatique qui exacerbe les conflits et les affects.
Emmanuel Daumas : Cette musique nous surprend tout le temps. Ecoutez par exemple le premier acte qui se déroule sur un tempo très dynamique et sportif. Et soudain, une pause avec un air sublime – le plus beau de la partition, sans doute – d’une douceur totalement inattendue, bouleversante. Si j’osais, je dirais que cela arrive presque trop tôt dans l’opéra, mais quelle beauté !
Un livret inspirant
Emmanuel Daumas : Ce n’est pas un hasard si le livret de L’Olympiade, de Métastase, a été adapté à l’opéra plus de 60 fois. Car, derrière l’intrigue apparemment compliquée, voici un résumé de l’histoire artistique de l’Italie : la référence au modèle antique ; la passion pour une nature arcadienne ; le crossover romantique comme « moteur » de fiction ; la sortie platonicienne de l’antre de la passion vers la lumière du bien et de la vérité… Sans oublier le culte de la compétition entre chanteurs, véritables stars au temps de Vivaldi.
Jean-Christophe Spinosi : Toutes ces qualités ressortent notamment dans les récitatifs d’une très grande qualité musicale qui font avancer l’action. La compétition entre « divos » et divas de l’époque évoquée par Emmanuel Daumas est sublimée dans le livret par celle entre amour et amitié, souci de soi et de celui des autres. Sur un spectacle comme celui-ci, c’est formidable de travailler avec un réalisateur qui connaît le texte et la musique par cœur. De même, je demande aux instrumentistes de l’orchestre de tout connaître sur l’intrigue et le livret : c’est ainsi qu’ils pourront travailler en étroite collaboration avec les chanteurs.
La vertu des mélanges
Jean-Christophe Spinosi : Un opéra du XVIIIe siècle dont l’action se déroule près d’Olympie au moment des Jeux et qui est donné à Paris un mois avant les JO de 2024 : comment résister à la tentation de mélanger tout cela sur scène ? En règle générale, je crois beaucoup au « mixage » dans la mesure où il ne répond pas à une mode ou à une injonction commerciale mais contribue à transmettre la force et la richesse d’une œuvre. C’est une manière de faire revivre la musique du passé, de retrouver sa sève et son élan. Ceux qui ont enthousiasmé le public vénitien lors de la création de L’Olympiade.
Emmanuel Daumas : Ce mélange d’époques était effectivement une évidence. De plus, nous avons la chance d’avoir un line-up de chanteurs vifs et audacieux et, en la personne du contre-ténor Jakub Jozef Orlinski et de la mezzo-soprano Marina Viotti, une championne de breakdance et une grande sportive capable de faire voler ses camarades dans les airs. ! Qui dit mieux à un mois des JO ?
Jouez avec les codes
Emmanuel Daumas : Au théâtre, naturel et codes dramatiques ne s’opposent pas. S’attaquer à ces derniers ne signifie pas assécher les personnages ni leur force de conviction. L’Olympiade précède la réforme de Goldoni, lui qui inventera ce que l’on appellera le quatrième mur… Je demande donc aux chanteurs-acteurs de s’adresser directement au public. Même les monologues et les apartés doivent être lancés au public, ce qui n’est pas toujours facile pour les artistes d’aujourd’hui. Ils sont modelés par les modes de jeu hérités du XIXe siècle, celui de la naissance du sentiment romantique et de la mise en scène du « moi »…
Jean-Christophe Spinosi : Je n’ai qu’une conviction : plus j’avance dans mon parcours, avec ses réussites et ses échecs, plus je suis convaincu que le défi ultime de la musique est d’être le vecteur d’émotions. Elle le fait avec son langage, les codes et techniques de son époque. La partition nous guide mais ne doit pas nous enfermer ni dévorer notre imaginaire. Quand les chanteurs expriment ce qu’ils ressentent, ils ont forcément raison. Mais il faut beaucoup de temps pour conquérir cette liberté…