Loïc Prigent nous livre sa vision de l’histoire de la mode française, « la vraie »
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Loïc Prigent, ici en juin 2023, à Paris.
LIVRE – Mis à part les « gazouillis » et autres petites phrases entendues sur les bancs de la Fashion Week. Après deux précédents livres sur les coulisses de la mode salués pour leur caractère hilarant, Loïc Prigent revient en librairie jeudi 9 octobre avec un nouvel essai, cette fois à caractère historique, sur ce milieu clinquant qu’il adore autant qu’il déteste.
Baptisé Mille milliards de rubansson histoire de la mode (la « vrai », selon le sous-titre de l’ouvrage) publié aux éditions Grasset revient sur un siècle fondateur, le XIXème, avec une question pour point de départ. Pourquoi Yves Saint Laurent est-il crédité de l’invention du prêt-à-porter et plus particulièrement du pantalon pour femme ?
Naissance des grands magasins, création de la machine à coudre Singer et émergence de tendances… Sans perdre le sarcasme de ses vidéos YouTube, le journaliste pose chapitre après chapitre les fondements de cette industrie, symbole du luxe à la française. Mordant dans ses descriptions, le livre manque parfois d’un peu de contexte. Nous avons souhaité explorer plusieurs des points clés discutés avec son auteur.
HuffPost : Le sous-titre du livre pose question. Y aurait-il une fausse histoire de la mode ?
Loïc Prigent : (rires) Non, l’idée était plutôt vraie, dans le sens de coller à une mode relative du quotidien. J’ai préféré fouiller dans les archives des journaux, comme La Gaule, Le Figaro et d’autres titres aujourd’hui disparus, uniquement dans certains livres d’histoire pour voir ce que l’on portait réellement le 12 février 1863 par exemple. Et j’y ai découvert plein de choses.
Comme la crinoline ? Vous avez décidé de consacrer le premier chapitre du livre à ce tissu qui permettait autrefois de donner de l’ampleur à un jupon. Pour quoi ?
L’objet n’est pas seulement fou, il revient sur les défilés, notamment chez Balenciaga, en 2020. Son directeur artistique, Demna Gvaslia, a repris cette notion de grand volume et de puissance, suggérant qu’un vêtement de pouvoir serait un vêtement qui prennent le plus de place. Je ne sais pas si c’est un vêtement ou un style de vie. C’est finalement un état d’esprit.
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Défilé Balenciaga printemps-été 2020.
Aussi, c’est l’un des premiers vêtements à avoir été produit à grande échelle, c’est-à-dire à plusieurs dizaines de millions d’exemplaires. Nous avons bien des traces industrielles de cette structure et de l’impact qu’elle a eu sur des couches de la société.
Pourtant, ça avait l’air d’être un enfer à porter. Personne ne s’est jamais révolté ?
Il n’y a pas eu de rébellion féminine, mais plutôt une rébellion masculine, selon les caricatures misogynes de la presse. Chez les femmes, j’ai plutôt trouvé des histoires qui racontaient que certaines, au départ malheureuses, s’y étaient vite habituées. Au départ, la crinoline était un vêtement pratique, car elle était moins lourde que le style vestimentaire précédent et parce qu’elle causait moins de dommages aux jambes par frottement. C’est ce qui est drôle avec la mode. Quand cela apparaît, on se dit toujours que cela a du sens.
Il y a des paradoxes dans l’histoire de la mode. Comment se fait-il que la mode masculine soit si austère au XIXème siècle alors qu’un siècle plus tôt, c’était les perruques et les talons hauts à la cour du roi ?
Il y a des théoriciens qui disent que c’était pour laisser les femmes briller. Le soir, c’était l’idée en tout cas. Après, les hommes n’auraient-ils pas été pris d’un soudain sens pratique ? Au moment de la révolution industrielle, nous avons commencé à travailler. Et les rentiers, ceux qui portaient des rubans et des talons, disparaissent peu à peu.
Vous évoquez aussi l’impact du tourisme émergent dans l’apparition de nouvelles tendances en France, mais peu celui du colonialisme. Quel a été l’effet de l’impérialisme français sur la mode ?
On a vu l’arrivée de certains motifs dans les vêtements français à l’époque des campagnes napoléoniennes, notamment après les expéditions menées en Egypte. Il y avait clairement un pillage esthétique qui était valorisé, dans le sens d’un enrichissement et d’un langage décoratif.
L’appropriation culturelle n’est pas nouvelle. La course aux tendances non plus. N’est-ce pas ?
On raconte que chaque dimanche aux courses, il fallait briller de 200 000 lumières. Un millier ne suffisait pas. Il fallait se surpasser, s’améliorer, aller plus loin sur les tenues qui avaient eu du succès la semaine précédente. Le privilège ultime était de faire confectionner sa robe le samedi pour le dimanche. De cette façon, nous étions sûrs d’avoir la dernière robe. On dit toujours que c’est la mode actuelle qui a ces défauts, mais non. Nous sommes victimes de comportements ancestraux.
Quels vestiges du passé observez-vous encore aujourd’hui ?
La programmation des collections, consistant à les présenter six mois à l’avance telle qu’établie par Worth au XIXe siècle, est similaire. La présence de l’aristocratie russe et américaine, qui vient aussi à Paris pour écouter l’Évangile. On le voit avec la Fashion Week aujourd’hui : la frivolité est la même.
Et les maux du monde sont encore visibles dans la mode. Ce que fait la Fast Fashion aujourd’hui, c’est ce que nous faisions à l’époque lorsque nous importions du coton des plantations d’esclaves américaines de l’époque. Nous consommons en sachant qu’il existe peut-être une forme d’esclavage dans la fabrication de ce que nous allons porter. On le sait et cela nous attriste, mais on s’y habitue très vite.
La mode suit-elle le mouvement général de la société, comme vous l’écrivez ?
Ma naïveté le croit. Quoi qu’il en soit, la France a un intérêt économique à ce que la mode soit considérée comme la plus redoutable aux yeux du monde entier.
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