FIGAROVOX/ENTRETIEN – Avec des tarifs plus élevés et une offre éditoriale limitée, la plateforme DAZN va rendre le football encore plus inaccessible, déplore l’éditorialiste de RMC*, qui appelle à une prise de conscience de la Ligue de football professionnel.
*Daniel Riolo est journaliste et chroniqueur sur RMC et BFMTV. Il a co-écrit Club de football du chaos (Hugo Sport, 2023) et Cher Football Français (Hugo Sport, 2021).
FIGAROVOX. – La nouvelle plateforme de diffusion de la Ligue 1, DAZN, a récemment créé la polémique en proposant des tarifs d’abonnement élevés (jusqu’à 39,99 €). Le football devient-il inaccessible ?
Daniel RIOLO. – Le football français paye depuis plusieurs années, en dehors des compétitions de l’équipe de France. En réalité, ce secteur repose sur deux piliers : les droits TV et la vente des joueurs. Sans droits TV, il s’effondre. Son modèle est donc fragile, et les dirigeants ne semblent pas conscients de sa véritable valeur. Ils s’imaginent dix fois plus puissants, et croient sans cesse à l’augmentation des droits TV. Mais le temps passe, et l’argent ne vient pas.
Pour le consommateur, si le football devient peu à peu inaccessible, l’offre du nouveau diffuseur aggrave la situation. Non seulement le football reste inaccessible, le prix proposé par DAZN est plus élevé que celui proposé par Amazon la saison dernière, mais l’offre éditoriale est insuffisante. Une plateforme de diffusion ne peut pas diffuser uniquement du football : elle doit proposer un service varié. Dans un foyer, tout le monde ne regarde pas les mêmes programmes et les attentes sont fragmentées. Ainsi, pour convaincre un fan de football de souscrire un abonnement, il faut proposer un catalogue qui puisse convenir à l’ensemble du foyer. Amazon ou Canal+ sont de bons exemples à cet égard. Or, le catalogue de DAZN se limite au football français, à la boxe, au MMA et à la Ligue des champions féminine. L’offre est insuffisante, et les consommateurs ne peuvent pas se permettre de multiplier les abonnements.
La chaîne est également critiquée pour sa couverture des matchs. Selon le rapport, seuls les trois matchs en prime time seront retransmis. Le Parisien Et L’équipe Que cela nous apprend-il sur le journalisme sportif ?
C’est un problème secondaire. Les consommateurs veulent regarder du football à un prix décent. Si une plateforme leur proposait un abonnement low cost en supprimant les consultants et les journalistes pour commenter les matchs, ils paieraient. Mais il est vrai que la mauvaise couverture journalistique des matchs ne fait rien pour apaiser la colère des fans. L’offre de DAZN est inacceptable, et aucun manager n’ose la remettre en cause.
La Ligue 1 et le football en général ne représentent plus une priorité en termes de consommation.
Daniel Riolo
La Ligue de Football Professionnel a choisi DAZN (avec beIN Sports) pour diffuser les matchs de Ligue 1 jusqu’en 2029. Pourquoi ce choix ? Quel avantage la plateforme britannique avait-elle par rapport aux autres diffuseurs ?
La Ligue de football professionnel a choisi DAZN car c’était la seule plateforme encore en lice pour diffuser la Ligue 1. Canal+ et Amazon se sont retirés de la course, et beIN Sports s’est limité à diffuser un seul match par jour. En dehors de ces plateformes, aucun autre diffuseur n’est prêt à investir autant d’argent dans un projet qui n’est pas rentable. Seul Canal+ peut créer une économie viable, mais la Ligue est en porte-à-faux avec la chaîne. De son côté, le groupe de Vincent Bolloré a trouvé son modèle économique sans la Ligue 1, en diffusant la Ligue des champions, la Ligue de football anglaise ou encore le rugby. Ils vivent sans la Ligue 1, ils n’ont donc aucune raison de la diffuser. De plus, Canal+ propose un catalogue varié et suffisant pour convaincre tout un foyer de payer un abonnement.
Le football, et le sport en général, sont-ils en train de devenir des biens de consommation comme les autres ?
Bien sûr. Par exemple, entre un abonnement de dix euros à Spotify et un abonnement du même prix pour regarder la Ligue 1, je pense que mon fils, qui adore le foot, hésiterait. Les matchs peuvent aussi être regardés dans un bar ou un café, sans avoir à débourser d’argent tous les mois. Pour certains matchs, les supporters peuvent aussi se rendre au stade. Au-delà de la Ligue 1, c’est la Ligue des champions qui intéresse les supporters, et ils sont tous déjà abonnés à Canal+. La Ligue 1 et le foot en général ne sont plus une priorité en termes de consommation. Le nouveau diffuseur DAZN est en concurrence avec des plateformes qui proposent un vrai catalogue sportif, mais pas seulement.
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En réaction, certains supporters ont décidé de boycotter le nouveau diffuseur. Cette action peut-elle changer la situation ? La LFP peut-elle réagir ?
Il n’y a pas d’issue à la situation. Un boycott ne se résout pas de la même manière qu’une grève des salariés. Si DAZN cède aux supporters boycotteurs et baisse les prix, alors la plateforme s’effondre. Mais elle ne cédera pas car elle croit toujours pouvoir aller chercher 1,5 million d’abonnés en lançant une grande campagne de communication. Face au boycott, ils pourraient proposer une formule permettant aux fans de regarder uniquement les matchs de leur club préféré. Mais Canal+ avait déjà proposé une formule équivalente dans les années 2000, et elle n’avait pas vraiment convaincu. Pour trouver une issue, il faudrait changer le président de la Ligue de football professionnel, Vincent Labrune. Un nouveau président pourrait renouer les liens avec le groupe Canal+ et envisager de nouvelles formules. Il faudrait alors repenser complètement l’économie du football. Sans prise de conscience collective des dirigeants, la situation restera bloquée.