Les nouvelles les plus importantes de la journée

L’insoutenable histoire de deux coaccusés, entre « viol involontaire » et « vie qui reprend son cours » – Libération

L’insoutenable histoire de deux coaccusés, entre « viol involontaire » et « vie qui reprend son cours » – Libération

Attention : cet article contient des descriptions de violences sexuelles et peut être choquant.

Peut-être devrions-nous enfin nous rappeler ce que signifie violer une femme. « Dans l’imaginaire collectif, un viol se produit dans un garage, la nuit, avec une arme pointée sur la tête de la victime », L’avocat de Gisèle Pelicot avait justement souligné quelques jours après l’ouverture du procès pour viol de Mazan. Ce jeudi 19 septembre, deux hommes, recrutés sur Internet par son ex-mari, Dominique Pelicot, pour la violer alors qu’elle était en état de léthargie, sous l’emprise de médicaments qu’il lui administrait à son insu, ont été entendus pour la première fois devant le tribunal correctionnel départemental du Vaucluse. Tout en ne niant pas les faits pour lesquels ils sont renvoyés – en l’occurrence un viol aggravé – et en exprimant leurs regrets à plusieurs reprises, ils vont chacun à leur manière tenter de minimiser leurs actes.

Lionel R., 44 ans, voit les choses ainsi : « Je n’ai jamais eu l’intention (de la violer), mais n’ayant pas eu le consentement de Mme Pelicot, je peux seulement constater que je l’ai fait. » Jacques C., 72 ans, qui reconnaît « attouchements sexuels » aura passé une grande partie de son interrogatoire à argumenter sur ce cunnilingus infligé « sans la langue » à la victime, et ceux-ci « caresses » sur le pubis, « sans mettre les doigts dedans. » Rappelons-nous donc : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit, ou tout acte bucco-génital commis sur la personne d’autrui ou sur la personne de son auteur par violence, contrainte, menace ou surprise constitue un viol. »

« Je fais partie de ce cauchemar »

Gisèle Pelicot n’a aucun souvenir de ce que ces hommes lui ont fait. Elle ne peut rien dire de ce qu’elle a ressenti quand ils sont entrés dans sa chambre, de sa douleur quand ils l’ont pénétrée, rien démentir de leurs récits. Contrainte au silence, elle écoute, observe, et parfois soupire, appuyée contre le mur. « Je n’ai jamais voulu te blesser, mais je l’ai fait et je veux te demander pardon, Lionel R. lui a dit, en s’efforçant de lever les yeux vers elle. Je sais que mes excuses ne changeront rien, je ne peux pas imaginer le cauchemar que tu as vécu. C’est horrible de penser que je fais partie de ce cauchemar. »

Vendeur de supermarché, père de trois enfants, séparé de sa femme avec laquelle il est resté près de vingt-cinq ans, Lionel R. raconte une jeunesse heureuse, bouleversée par une agression sexuelle subie alors qu’il était mineur. Son frère dit de lui qu’il a « J’ai toujours aimé les femmes, le sexe et faire des blagues un peu salaces, dans la mesure du raisonnable. » Il dit avoir commencé à traîner sur le site libertin coco.fr pour « chercher ailleurs ce qu’il n’avait pas chez lui. » « J’étais très exigeant », reconnaît cet homme plutôt petit et mince, aux cheveux très courts et au regard légèrement tombant.

« Je fais ce qu’il me dit de faire »

Dominique Pelicot l’a contacté via ce forum de rencontre en décembre 2018. « Il me dit qu’il est en couple, il me demande si je serais ouvert à une proposition un peu originale de coucher avec sa femme. C’est tout. Il me dit qu’elle va dormir, il me parle de somnifères, de pilules. Une fois il les lui donne, l’autre elle les prend, ce n’est pas très clair mais je ne pose pas plus de questions que ça. Je suis persuadée que c’est un jeu. – A ce moment-là, vous vous posez déjà des questions sur le consentement de Mme Pelicot ? demande le président, Roger Arata. « Non, et je le reconnais. Ça a été ma plus grosse erreur de ne pas y avoir réfléchi, de ne pas avoir demandé à lui parler. (…) Je ne me suis pas du tout posée la question. C’est ma plus grosse erreur. Il m’a fait croire à tort que c’était un fantasme de couple. »

Que s’est-il passé une fois arrivé chez les Pelicot, en plein jour, pour découvrir Gisèle allongée inerte sur un matelas ? « De mémoire, il me fait m’allonger sur le lit à côté d’elle. Au début je me masturbe, je crois même la caresser, je fais ce qu’il me dit de faire. Je tiens vraiment à préciser que je ne me donne aucune excuse mais à ce moment-là, j’ai une personne en face de moi, (Dominique Pelicot), qui devient très directive, qui n’a pas le même regard. Je perds complètement pied, je fais ce qu’il me dit de faire. »

« J’aurais dû partir bien avant »

« Quel est l’intérêt de faire l’amour avec une femme endormie ? Elle ne ressentira rien du tout. » demande Me Stéphane Babonneau, l’avocat de Gisèle Pelicot, qui explique que sa cliente doit comprendre « la mécanique » entourant les faits. « Il y a deux choses. Dans ma tête, quand j’y vais, je ne sais pas à quel point elle va dormir, répond l’accusé. Je me dis qu’à un moment donné, elle va se réveiller et que nous allons tous les trois participer à cet acte. Et la deuxième, je pensais qu’ils prenaient des photos ou des vidéos (des faits) pour eux, pour regarder plus tard. Mais c’est vrai que si c’est le cas, elle ne peut pas avoir de plaisir à ce moment-là. – Pour toi, est-ce qu’on peut commettre un viol sans le vouloir ? Le même avocat répond plus tard. La réponse prend quelques longues secondes à émerger : « C’est un viol, en tout cas c’est ma faute. Ce n’était pas intentionnel. Mais j’aurais dû partir bien avant. »

Interrogé tout au long de l’après-midi, Jacques C. a nié les accusations de viol qui pesaient sur lui, reconnaissant seulement des attouchements. Les scènes en question, soigneusement filmées et répertoriées par Dominique Pelicot, devaient être montrées pour la première fois dans la salle d’audience. Certains accusés regardaient les images, dont Dominique Pelicot, toujours aussi enfoncé dans son fauteuil. D’autres gardaient la tête baissée, les yeux clos. Les prises de vue étaient insoutenables : les actes infligés étaient saisis en gros plan, la tête de l’accusé comme collée au pubis de la victime, allongée sur le dos, inconsciente. Dans la salle d’audience, on n’entendait que le son enregistré de ses ronflements. Jacques C. regardait les films, la bouche grande ouverte, l’air hagard. Comme ses avocats, il estimait que les images ne démontraient pas de pénétration.

« La vie continue »

Ce père de deux filles, ancien chauffeur de camion, jure à plusieurs reprises « ayant toujours respecté les femmes », « les aimant dans toute leur complexité, dans toute leur diversité ». Il explique également avoir cru à un jeu libertin, et assure avoir été trompé par Dominique Pelicot. « Quand j’arrive dans la chambre, je sens que les choses ne vont pas se passer comme je le pensais. (Dominique Pelicot) m’encourage à me rapprocher d’elle. Elle est nue, bien nue, non, en culotte, soutien-gorge, bas, porte-jarretelles, lingerie ordinaire. Il m’encourage à la caresser. (…) Je l’écoute et je me rends compte qu’il n’y a pas de réaction. Je commence à faire un cunnilingus mais sans la langue. Il n’y a toujours pas de réaction. Et je me sens de plus en plus mal. Je me rends compte que je n’ai rien à faire là. Et là, je fais une fellation à Monsieur Pelicot car je ne peux plus toucher cette dame dans l’état où elle est. » Avec ses lunettes noires perchées sur le bout du nez, il avoue : « Je sors de cette maison, je traverse le jardin… Oui, j’ai pensé à faire un reportage. Et puis la vie continue… »

Quitter la version mobile