L’industrie automobile « en danger » ? L’écologie, faussement responsable
Ambiance électrique au Mondial de l’Automobile de Paris ! La grand-messe du secteur automobile s’ouvre lundi 14 octobre à Paris et les constructeurs ne font pas la fête, loin de là. Depuis plusieurs semaines, voire mois, ils n’ont pas de mots assez durs pour décrire la crise qui les attend. « L’industrie automobile en France est en danger »Le Csiam, qui regroupe les marques étrangères commercialisées en France, s’est alarmé le 7 octobre.
Il faut dire que leurs derniers chiffres de ventes sont mauvais (-11 % en septembre) et que le gouvernement vient d’annoncer un renforcement du malus taxant les véhicules lourds et polluants, ainsi qu’une baisse de la prime à l’achat pour les voitures électriques. C’est aussi et surtout l’interdiction de vente des voitures thermiques en 2035 qui leur fait faire des cauchemars.
Cette mesure se fera sentir à partir de 2025, car ils devront justifier d’une réduction de 15 % des émissions moyennes CO2 voitures vendues, sous peine de lourdes amendes. Pour Renault, la facture pourrait atteindre 2 milliards d’euros l’année prochaine. Volkswagen se heurterait à un mur de 8 milliards d’euros d’amende, selon un rapport d’expert cité le 11 octobre par Défis.
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Mauvais signal supplémentaire : après plusieurs années de croissance exponentielle, les ventes de voitures électriques semblent avoir atteint un plancher (à 17 %). Une légère baisse a même été constatée au cours des quatre derniers mois. Pour éviter des amendes, les constructeurs menacent donc de réduire volontairement leur production de véhicules thermiques. En fin de compte, c’est toute l’industrie française qui risque « ramasser »préviennent-ils. 175 000 emplois directs et plus d’un million d’emplois indirects sont menacés. Alors que de nombreux plans sociaux ont déjà été mis en place ces derniers mois en Europe, notamment chez les sous-traitants.
L’heure, en effet, est sérieuse, réponds d’une seule voix ONG le changement climatique et les syndicats de travailleurs. Mais les difficultés du secteur automobile français ne sont pas nouvelles. « Ce n’est pas l’électrification qui a fait baisser l’emploi, ce sont les délocalisations »rebondit Jean-Philippe Juin, du CGT métallurgie, lors d’une conférence de presse commune avec six organisations écologistes et syndicales, le 9 octobre à Paris. La production de véhicules a chuté de 60 % % en vingt ans et 100 000 emplois ont été détruits dans le secteur en dix ans, selon les chiffres du syndicat, qui travaille depuis deux ans avec Greenpeace à déconstruire le discours des patrons de l’industrie. La branche métallurgique de CFDT a, de son côté, initié un travail avec la Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) lorsque le Dieselgateen 2015.
Le choix de gonfler leurs marges
Appuyées par des contre-expertises, ces organisations affirment que les difficultés du secteur sont le résultat d’une stratégie volontariste des constructeurs pour opérer leur transition énergétique en ciblant le marché de l’automobile haut de gamme. « Le prix d’un véhicule neuf n’a jamais été aussi élevé »regrette Anne Bringault, directrice des programmes du Réseau Action Climat (CAR). Il a augmenté de 30 % au cours des deux dernières années, selonONG Transport & Environnement (T&E), atteignant aujourd’hui 34 000 euros.
Cette stratégie s’est avérée lucrative à court terme. Stellantis (Peugeot-Citroën-Fiat-Chrysler) a réalisé 19 milliards d’euros de bénéfice en 2023, en hausse de 11 % sur un an. Croissance identique à celle de Renault, qui a affiché 2,3 milliards d’euros de bénéfice. De quoi relativiser l’alarmisme des constructeurs.
Les progrès techniques, notamment dans le domaine des batteries, n’ont pas été utilisés pour faire baisser le prix des véhicules, mais pour augmenter leur taille. Plus gros, ils sont vendus plus chers et la marge du fabricant est plus élevée. « La part de VUS (gros véhicules) a décuplé en quinze ansregrette Jérôme Frignet, directeur des programmes chez Greenpeace. Il représente aujourd’hui près d’un véhicule sur deux. Mais il y en a 20 % plus massif et émet 20 % de plus que CO2 »comme le WWF dans un rapport sur le sujet.
Les acteurs de la société civile convergent sur l’idée que l’industrie automobile doit opérer un virage stratégique, en privilégiant la construction de véhicules petits et plus légers vendus à moins de 15 000 euros. « Les industriels ont la capacité d’atteindre les objectifs fixés par la Commission européenne, à condition de répondre à la demande des consommateurs, en augmentant le volume plutôt que la marge. »résume Jean-Philippe Juin.
Compétitivité, un faux débat ?
L’autre sujet de préoccupation du secteur est le poids de la concurrence internationale. La Chine, qui donne le « là » sur le marché émergent des véhicules électriques, risque d’inonder le monde de modèles low-cost, ce qui obligerait les constructeurs français à se délocaliser.
« Nous sommes confrontés à une offensive extrêmement puissante des constructeurs chinoisavait alerté Carlos Tavares, directeur général de Stellantis, en juillet 2023. Il est très difficile de maintenir une production industrielle dans des pays aux structures de coûts très élevées, conséquence du modèle social choisi par la France et l’Europe. » La production en Chine serait, selon ses chiffres, de 25 % moins cher qu’en France.
Cet argument a permis aux constructeurs français d’obtenir 5,8 milliards d’euros d’aides de l’État entre 2020 et 2022, selon les calculs du CGT. Pour répondre, la Commission européenne vient également d’augmenter les droits de douane sur les véhicules importés de Chine, une mesure que de nombreux constructeurs pourront contourner en important des pièces détachées assemblées en Europe de l’Est. C’est ce que compte faire Renault en Roumanie pour la Legend, un modèle électrique d’entrée de gamme (20 000 à 22 000 euros) attendu pour 2026.
« Nous sommes en transition, pas en crise »
La Fondation pour la Nature et l’Homme (FNH) et l’Institut Mobilités en transition ont réalisé leurs propres calculs pour mesurer la différence de coûts de production entre la France et la Chine. « Nous n’avons pas atteint le 25 % de différence dont parlent les constructeurs, mais plutôt 6 % »résume Thomas Uthayakumar, directeur des programmes au FNH. L’Etat devrait donc exiger des industriels qu’ils relocalisent leur production, en conditionnant par exemple les aides qu’il leur verse, estime-t-il.
Ce double virage, pour produire localement des véhicules plus légers, permettrait de créer 7 000 emplois, si l’objectif fixé par Emmanuel Macron en octobre 2021 de 2 millions de véhicules produits en France en 2030 était atteint (contre 1,4 million en 2022). ). Et l’intérêt écologique serait de taille, car la fabrication d’une citadine en France émet 42 % de moins que CO2 que son équivalent produit en Chine, selon FNH et l’Institut. « Nous sommes en transition, pas en criseinsiste Marie Chéron, pour T&E. Il n’y a pas d’opposition entre transition écologique et enjeux sociaux. »
Alors que débutent d’intenses débats budgétaires à l’Assemblée nationale, ONG et les syndicats réclament un renforcement du bonus-malus et sa réorientation vers des budgets plus réduits. Le succès du leasing social, qui permet d’acquérir une voiture électrique neuve pour 100 euros par mois, pris d’assaut début 2024 par 90 000 demandes et rapidement arrêté faute de budget, prouve qu’il y a une demande des consommateurs tant que l’électrique devient électrique. accessible. Mauvais signal en revanche, l’enveloppe allouée au bonus et au leasing doit être réduite en 2025 de 1,5 à 1 milliard d’euros, selon le projet de loi de finances présenté le 10 octobre en Conseil des ministres. La prime à la conversion serait notamment menacée, selon les informations de Échos.
Sur le plan européen, le risque que l’interdiction des véhicules thermiques en 2035 soit levée semble faible. D’autant que les industriels ont déjà investi dans leur transformation et attendent des retours sur investissement. 150 milliards d’euros ont été injectés en Europe en 2023 pour les batteries et les véhicules électriques, soit six fois plus qu’en 2021, selon T&E. UN « clause de révision » prévu par la Commission européenne en 2026 sera néanmoins un moment de lobbying intense auprès des constructeurs, toujours soucieux d’alléger leurs contraintes.
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