L’incroyable histoire d’une chanson écrite par Jean-Jacques Goldman pour une classe de CM1
Le chanteur, qui n’a plus sorti d’album depuis 2001, a écrit les paroles et chanté l’introduction d’une chanson sur la Résistance pour une classe de l’école primaire Louis-Pergaud de Vénissieux. Une rencontre rendue possible grâce à Nadia Bachmar, l’enseignante de ces élèves de CM1.
Le Figaro Lyon
« C’était un enseignant, un simple enseignant, qui croyait que la connaissance était un grand trésor.« . L’histoire de Nadia et de sa classe de CM1 colle parfaitement aux paroles de Jean-Jacques Goldman écrites en 1987. En 2019, Nadia Bachmar, enseignante à l’école Louis-Pergaud de Vénissieux, décide de monter un projet de spectacle sur la Résistance. avec sa classe de CM1. Grande admiratrice du favori de la chanteuse française, avec qui elle échange des lettres depuis plusieurs années, l’enseignant lui a proposé de participer à leur projet pédagogique.Je savais que son père avait été résistant à Vénissieux et qu’il avait participé à sa libération dans la résistance avec les FTP-MOI (Francs-tireurs et partisans), le 26 août 1944, cela avait donc du sens de demande lui», confie-t-elle à Figaro après avoir raconté cette histoire à Progrès .
Mais le premier confinement lié au Covid arrive et le projet est mis entre parenthèses. Cependant, le chanteur a répondu qu’il acceptait d’écrire quelque chose. Nadia veille alors à conserver sa classe l’année suivante. « Je suis dans une super école et mon collègue a accepté de passer le CM1 pour que je puisse continuer avec ce cours en CM2« , elle explique. Passionnée, mais un peu aérienne, elle a répondu à Jean-Jacques Goldman durant l’été, oubliant «probablement pour mettre un cachet» sur sa lettre qu’il ne recevra jamais.
« Bonjour, c’est Jean-Jacques »
Le temps passe et le spectacle se construit. Michael Jones, guitariste de Jean-Jacques Goldman, qui vit à Lyon et dont le père a participé au débarquement allié le 6 juin 1944, participe à son élaboration et vient discuter avec ses élèves. « Lors de notre première représentation de « Vénissieux la belle, la rebelle » en 2021 au théâtre de la ville, il est venu chanter « Je te donne » avec nous», se souvient Nadia. La performance est filmée et le professeur décide d’envoyer le DVD à Jean-Jacques Goldman en joignant son adresse email et un numéro de téléphone.
Près d’un an plus tard, sa classe a quitté l’école primaire pour le collège. Tous ensemble, ils décident quand même de poursuivre l’aventure de ce spectacle. Se retrouver pendant les vacances scolaires, parfois un week-end dans le mois pour travailler le théâtre et le chant. Sont invités aux commémorations. Début 2022, un mail du directeur artistique de Jean-Jacques Goldman arrive dans la boîte mail du professeur. « Il m’a dit qu’il avait vu notre show, qu’il était bluffé et que c’était quand même oui pour la chanson« .
Le mercredi suivant, son téléphone sonna. « J’entends : « bonjour, c’est Jean-Jacques ». Je n’ai pas bien compris car je n’ai pas de Jean-Jacques à mon répertoire. Puis j’ai frappé», se souvient-elle, toujours émue. Pendant plus d’une demi-heure, le professeur et le chanteur discutent »l’école et les valeurs de la République« . « Il m’a dit qu’il avait été très ému par le spectacle», poursuit Nadia. Quelques jours plus tard, cette dernière recevait la chanson avec un message de la chanteuse lui disant que «C’était juste une suggestion« . « C’est fou de dire ça au vu de son parcours. Et la chanson est si belle« . Enfin, une vidéo est organisée entre Jean-Jacques Goldman et les étudiants pour travailler le texte. Une chanson dans laquelle ce dernier lit le début de la lettre du résistant arménien Missak Manouchian avant que les étudiants ne chantent ses paroles.
Changer la vie
Si ce projet a pu voir le jour, c’est aussi parce que le professeur et le chanteur partagent de nombreuses valeurs communes. « Quand on écoute ses chansons, il est assez facile de comprendre comment il travaille. Il écrit sur des destins brisés et des rendez-vous manqués. Je crois que ce sont des thèmes qui le hantent et qu’il a la profonde conviction qu’une rencontre peut tout changer. C’est peut-être pour ça qu’il a accepté de travailler avec nous», analyse Nadia qui a déjeuné avec le chanteur fin 2022 et qui avoue elle-même qu’elle doit tout à un professeur de français et un professeur de mathématiques qui «ont déterminé leur chemin« .
Mais l’aventure de l’enseignante et de sa classe, dont les élèves sont désormais en 4e, ne s’est pas arrêté là. Depuis, tout le monde continue de se voir pour participer aux commémorations et poursuivre son travail pour la Résistance. « Je remercie leurs parents qui sont présents et me font confiance pour faire en sorte que ce projet perdure. Ce n’est pas facile pour toutes les familles rattrapées par le quotidien, mais malgré tout, elles sont là et savent que l’école est importante pour leurs enfants.», assure-t-elle.
Avec toujours en toile de fond, cette envie pour Nadia de labourer ce sillon républicain à Vénissieux, la ville où ses parents, originaires d’Algérie, sont arrivés entre 1954 et 1960. »J’ai grandi ici dans les années 70/80. Je connaissais cette ville dans toute sa diversité. C’était vraiment magnifique. Aujourd’hui, je vois ces mêmes quartiers marqués par la pauvreté et la circulation. Ça me brise le coeur. C’est pourquoi je veux être utile. L’école de la République est le lieu de l’altérité. De la rencontre avec l’autre avec ses différences. C’est ce que nous faisons avec ce spectacle.», poursuit Nadia, qui explique avoir discuté avec la chanteuse de sa peur de voir certaines personnes s’organiser «un concours de mémoires qui ouvre la voie à tous les extrémismes« . « Il m’a répondu qu’il partageait cette peur de voir de la concurrence de tout», souffle le professeur.
Elle se reconnaît dans les mots de Churchill qu’elle paraphrase : «Si le présent juge le passé, il perd le futur« . « Il n’y a pas de hiérarchie dans l’horreur. C’est le cœur de mon combat. Si on ne s’en sort pas, on hypothèque l’avenir», conclut Nadia. L’année prochaine, son groupe d’étudiants visitera avec elle New York, Athènes et Brême pour poursuivre ce travail de mémoire. À sa manière, Nadia a effectivement changé la vie de ses élèves.