Divertissement

«Limonov. La Ballade », de Kirill Serebrennikov, voyage gratuit chez un méchant

COMPÉTITION – Loin de l’empathie présente dans le roman d’Emmanuel Carrère, le film de Kirill Serebrennikov dresse avec brio le portrait d’un dandy mysanthrope, mi-bâtard, mi-héros. Une mise en scène abondante mais qui manque parfois de souffle.

Ben Whishaw, parfait en tête brûlée acérée, équivoque, trash et narcissique, dans « Limonov.  La Ballade », de Kirill Serebrennikov.

Ben Whishaw, parfait en tête brûlée acérée, équivoque, trash et narcissique, dans « Limonov. La Ballade », de Kirill Serebrennikov. Photo Andrejs Strokins/Wildside/Chapitre 2/Fremantle Espagne/Hype Studios/France 3 Cinéma

Par Jacques Morice

Publié le 20 mai 2024 à 10h39

Ôouvrier, écrivain, créateur de mode, activiste, punk, communiste, fasciste. Tel était Edouard Limonov (1943-2020), un bloc de contradictions exigeant de faire du roman. Il y en avait aussi un, intitulé Limonov, écrit par Emmanuel Carrère, consultant sur le film dans lequel il fait une brève apparition. Le vrai Limonov fut le premier à vouloir faire de sa vie une sorte de roman vécu, ce qui lui permit ensuite d’écrire des ouvrages autobiographiques, grâce auxquels il acquit une certaine renommée, au cours des années 1980. Son fou voyage commence à Kharkov (Kharkiv, aujourd’hui), une ville d’Ukraine encore dans le bloc soviétique, où il commence à se faire remarquer comme poète dans les milieux bohèmes clandestins. S’il a réussi à quitter l’URSS, ce n’est pas en farouche opposant au régime, mais plutôt en opportuniste. La dissidence n’est pas son combat. Il préfère la décadence et le plaisir. A New York, il prenait un grand plaisir à forniquer devant les images de Soljenitsyne à la télévision.

Peu sympathique, l’escogriffe aux lunettes intellectuelles. L’empathie et la fascination qu’il pouvait parfois y avoir dans le livre de Carrère, Kirill Serebrennikov a mis de côté. Limonov, maussade, ne sourit presque jamais. Le réalisateur souligne sa part de misanthropie doublée de dandysme masochiste. C’est un méchant, mais il a du cran, un certain panache dans la pure provocation. Invité dans une émission de radio à Paris, il se déclare à maintes reprises soviétique, agaçant les invités, enfants bien trop gâtés du capitalisme. Après la chute du mur, de retour dans son pays, il a confirmé lors d’une conférence de presse avoir eu des relations sexuelles avec un homme noir, comme il le raconte dans un de ses livres. Et invitez tout le monde à vivre l’expérience.

Action !

Faire de Limonov un coquin héroïque, tel est le principe directeur de cette ballade libre, foisonnante et chatoyante. Où les transitions, entre époques et séquences, sont époustouflantes. Reste que la mise en scène, un peu moins inspirée que dans Léto Ou La fièvre de Petrov, survole parfois des situationssur l’adhésion du personnage à l’idéologie rouge-brun à la fin de sa vie, le film va trop vite. Autre défaut : l’usage de la langue anglaise, gênante pour cette histoire foncièrement russe où, à travers le destin de Limonov, on peut aussi bien sûr lire une partie du destin national. Ben Whishaw est malgré tout une tête brûlée, équivoque à souhait, trash et narcissique, ouverte à toutes les déviations. Quel que soit l’objet de ses convictions et de ses passions, il illustre le mouvement permanent.  » Action ! » : tel est le premier et le dernier mot du film.

q Limonov. La ballade, de Kirill Serebrennikov (Italie/France/Espagne, 2h18). Scénario : Pawel Pawlikowski, Ben Hopkins, Kirill Serebrennikov. Avec Ben Wishaw, Masha Mashkova, Viktoria Miroshnichenko. Concours. En attente de la date de sortie.

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Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.
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