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Liban : « Le Hezbollah voit son image de force et d’invulnérabilité gravement ternie »

Des dizaines de membres du Hezbollah éliminés, tués cette semaine par Israël avec l’explosion de bips, de talkies-walkies et une frappe qui a tué au moins deux hauts commandants militaires du mouvement chiite libanais, vendredi 20 septembre. Le Hezbollah a-t-il encore aujourd’hui les moyens de faire la guerre à Israël ? Entretien avec Joseph Bahout, politologue à l’Université américaine de Beyrouth.

RFI : Le haut commandement militaire du Hezbollah a-t-il été décapité, ou du moins est-il gravement affecté ?

Joseph Bahout : LE Hezbollah Le parti subit depuis un certain temps des coups qui me semblent très forts et très dommageables pour son organigramme et son organisation. Quant à savoir précisément ce que cela signifie en termes de vulnérabilité pour le parti, en termes de dommages, je pense qu’il nous faut vraiment avoir beaucoup plus d’informations.

Mais ce qui est sûr aujourd’hui, c’est qu’il y a des dégâts physiques, organisationnels et probablement moraux. D’abord parce que le parti voit son image de force et d’invulnérabilité, établie auprès de sa base depuis un certain temps, très sérieusement écornée. Et puis aujourd’hui, le parti chiite, stratégiquement, n’a pas beaucoup de marge de manœuvre pour répondre à tout cela. Il ne veut pas aller vers une guerre totale, donc une réponse très forte qui serait à la hauteur des coups qu’il encaisse, et qui risquerait de l’entraîner dans cette guerre totale. Le Premier ministre israélien Netanyahou Il le veut, mais il ne le veut pas. Et ne rien faire, ou faire quelque chose en dessous du seuil qui serait capable de restaurer sa dissuasion, serait perçu, en partie par sa base et par ses adversaires, comme une sorte de capitulation ou d’incapacité à réagir.

Je pense donc que le Hezbollah va continuer à encaisser des coups pendant un certain temps. C’est la stratégie israélienne actuelle : porter des coups très forts qui ne sont pas des coups de guerre classiques, conventionnels, mais des coups de guerre du renseignement. Nous devons probablement nous attendre à des assassinats encore plus ciblés, à la destruction des dépôts d’armes du Hezbollah, peut-être aussi de ses centres de commandement et de contrôle.

Nous sommes donc dans une guerre d’usure, mais qui prend une dimension très forte, avec peut-être, dans le calcul israélien, la volonté de forcer le parti à céder, et de le pousser à accepter un cessez-le-feu ou une solution négociée au Sud-Liban, la région située au nord d’Israël, ce qui n’est pas à l’avantage du parti, et qui signifiera probablement quelque peu son déclin sur la scène régionale et libanaise.

Vous parliez de «  d’une réponse possible » Le Hezbollah dispose-t-il encore aujourd’hui des moyens d’une éventuelle riposte ?

Je pense que oui. Mais là, encore une fois, il faut vraiment être dans le monde du renseignement, savoir exactement ce qu’il a en stock, etc. Ce qui est sûr, c’est que sa capacité de tir conventionnel, c’est-à-dire ses fameux missiles de précision, n’est pas affectée. Il peut toujours les tirer, mais ça ne veut pas dire grand-chose. Ce qui est important à savoir, c’est si le cerveau du Hezbollah, compte tenu des quinze cadres qui ont été éliminés vendredi 20 septembre, du chef d’état-major il y a deux mois, de l’affaire des bips, etc., est-ce qu’aujourd’hui, ce  » cerveau  » est capable d’entrer en guerre ?

Aujourd’hui, il est capable de tirer Israëlà Tel-Aviv. Il peut faire des dégâts considérables. Mais cela restera une bravade sans suite s’il n’est pas ensuite capable de mener une vraie guerre en l’absence de ce que nous ne connaissons pas encore, à savoir une bonne partie de son organigramme militaire, des renseignements ? On sait qui est mort au sein du Hezbollah, on sait qui a été touché, mais on ne sait pas qui peut les remplacer, s’ils sont remplaçables, s’ils ont déjà été remplacés.

L’autre question est de savoir si le Hezbollah peut aujourd’hui riposter à des coups de même nature. Est-il capable aujourd’hui de viser des rangs équivalents dans l’armée israélienne, d’éliminer des commandants de l’armée et des corps de sécurité israéliens, de frapper le système de communication israélien, cybernétique ou autre, etc. ? Telles sont les véritables questions d’aujourd’hui. La question n’est pas militaire.

Y a-t-il encore des lignes qui ont été franchies ces derniers jours pour le Hezbollah ?

Au-delà de l’aspect militaire et sécuritaire, c’est-à-dire des personnalités visées, la ligne qui est franchie et qui est très difficile à accepter pour le mouvement chiite libanais, c’est celle d’un bombardement dans la banlieue sud. Le Hezbollah a toujours dit qu’il acceptait les règles d’engagement, même des coups très forts peuvent être échangés dans le sud ou ailleurs. Mais frapper la banlieue sud de Beyrouth, qui est le bastion civil du Hezbollah (c’est là que vivent les familles, c’est au milieu de Beyrouth), c’est une ligne rouge pour eux.

Le problème est que cette ligne rouge a été franchie il y a deux mois, quand Israël a éliminé Fouad Shoqr lors d’un raid ciblé dans le sud de Beyrouth. Le Hezbollah a riposté, mais sa réponse a mis un mois à se développer et elle n’a pas été à la hauteur de ce que la plupart des gens acceptaient ou attendaient.

Aujourd’hui, il y a un deuxième franchissement de cette ligne rouge de manière plus forte. Il y a encore un immeuble entier, haut de huit étages, qui a été démoli, un autre immeuble qui est pratiquement à terre, avec 30 morts annoncés le 21 septembre. En plus des quinze chefs militaires du Hezbollah, il y a quinze civils qui ont probablement été tués ou blessés. Cela, dans le lexique traditionnel du Hezbollah, était une ligne rouge absolue, et qui conduirait, selon ce qu’il disait à l’époque, à une frappe sur Tel-Aviv, sur Haïfa, etc. Aujourd’hui, on ne sait pas si le parti va réagir de cette façon.

Le peuple libanais est-il inquiet aujourd’hui ?

Oui, Beyrouth est très tendue, le pays est très inquiet. D’abord, il est très inquiet depuis huit mois. On vit une sorte de yo-yo, est-ce qu’on bascule dans la guerre, ou est-ce qu’on continue dans cette espèce de guerre étrange avec des échanges de coups étouffés. Depuis l’opération bipeur, il y a une inquiétude très forte, il y a même presque un sentiment de vulnérabilité dans la société, dans des segments qui n’ont rien à voir avec le Hezbollah.

On se demande si les panneaux solaires ne vont pas exploser, si nos téléphones portables ne vont pas nous jouer des tours, etc. Il y a une sorte d’anxiété diffuse et il y a aussi le fait de savoir si aujourd’hui le Hezbollah, qui est encore un énorme appareil sociologique, en plus d’être un appareil militaire, qui vit en société avec tout le monde, ne va pas aussi être exposé aux coups israéliens touchant des gens qui n’ont rien à voir avec tout cela. En plus de l’anxiété, évidemment, de voir éclater la guerre, la vraie guerre, c’est-à-dire la guerre du type 2006, du type 1982 avec une invasion israélienne qui ferait tomber ce qui reste de l’économie et du système social libanais, qui est très abîmé depuis un moment.

Eleon Lass

Eleanor - 28 years I have 5 years experience in journalism, and I care about news, celebrity news, technical news, as well as fashion, and was published in many international electronic magazines, and I live in Paris - France, and you can write to me: eleanor@newstoday.fr
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