l’histoire de ses funérailles
C’est tout Alain Delon : vendre du rêve même le jour de ses obsèques. « Quand on est arrivé, il y avait un arc-en-ciel, la lumière passait entre les arbres. On avait l’impression qu’Alain nous parlait de là-haut. »
C’est ce qu’atteste sa filleule, Géraldine Danon, comédienne, navigatrice et réalisatrice (« Flo »). Samedi 24 août, dans l’après-midi, pas plus d’une cinquantaine d’amis proches ont assisté à l’enterrement de la star dans sa propriété de Douchy. « Des gens de cœur triés sur le volet », selon Nicole Calfan, qui a rencontré Delon sur « Borsalino », avant de retravailler avec lui pour « Le gang » et la série télévisée « Frank Riva ».
Triés et surtout adoubés par les enfants, Anouchka, Anthony et Alain-Fabien : il a suffi que l’un d’eux mette son veto au nom d’un invité pour que ce dernier devienne persona non grata. Déclarant une trêve dans la bataille qu’ils se livrent médiatiquement depuis l’hiver dernier, ils étaient ce week-end « unis dans la douleur », selon Nicole Calfan.
Elle est arrivée la première sur les lieux, vers 13 h 30. Tôt donc, car la cérémonie religieuse, présidée par Mgr Jean-Michel di Falco, était prévue à 16 heures. Le portail principal, devant lequel se trouvaient de plus en plus de fans et un parterre de fleurs, était inaccessible. On pénétrait dans le domaine par une porte dérobée, attenante à la maison du gardien. Celle par laquelle Hiromi Rollin, la compagne écartée par les enfants en juillet 2023, a tenté de rentrer.
Nicole Calfan est accueillie par Anouchka qui l’invite à prendre un café dans la cuisine, où des photos de famille rappellent des jours heureux. Au fil du temps, les invités arrivent, filtrés par la gendarmerie au niveau départemental. Les policiers ont reçu des instructions précises : une liste leur a été remise avec les numéros d’immatriculation des véhicules autorisés et l’identité de leurs propriétaires. Une fois le portail franchi, chacun est prié de laisser son téléphone portable, pour respecter l’intimité des personnes en deuil.
Le panel est représentatif de l’univers de Delon. Le cinéma, à travers le producteur Alain Terzian, qui l’a notamment accompagné sur ses deux films en tant que réalisateur, « Pour la peau d’un flic » et « Le battu », Vincent Lindon qui a débuté aux côtés de la star dans « Notre histoire », ou encore Thierry Frémaux, délégué général du Festival de Cannes qui a œuvré pour décerner une Palme d’or d’honneur à l’acteur en 2019.
La peinture et surtout la sculpture, avec le marchand d’art Didier Imbert et le commissaire-priseur Arnaud Cornette de Saint Cyr. La politique, avec Valérie Pécresse, dont Delon a soutenu la campagne présidentielle, et Rachida Dati, pour laquelle il avait une véritable admiration. La gastronomie italienne, avec Toni et Marco Faiola, propriétaires de sa cantine préférée, le restaurant La Stresa, dans le 8e arrondissement de Paris.
Les femmes, bien sûr, avec Rosalie van Breemen, la mère d’Anouchka et Alain-Fabien, Patricia Kaas, avec qui il entretenait une relation aussi platonique que particulière… Il y avait aussi Marie et Sarah Poniatowski, filles de Jean-Stanislas Poniatowski, ancien patron du magazine « Vogue », décédé au printemps dernier, qui avait présenté Alain à Nathalie, la seule femme qu’il ait épousée.
« Pas de célébrité ni de show-biz : c’était juste de l’amour et de l’amitié », insiste Nicole Calfan. Elle, comme les autres, est allée s’incliner sur le lit du mort. Ce lit de cuir installé dans la « fourmilière » qu’il avait construite en prévision de ce jour.
Le 19 août, c’est là que la maison funéraire l’a déposé, vêtu d’un de ses costumes. « Il avait retrouvé la sérénité et perdu trente ans », témoigne Alain Terzian. A la sortie de la morgue, sous un ciel incertain mais doux, les témoins parlent doucement, presque à voix basse, encouragés par une mélodie dont ils ignorent l’origine, mais d’une douceur infinie. Ils se dirigent ensuite vers un chapiteau sous lequel a été dressé un autel, installé face à la chapelle trop petite pour accueillir cette assemblée pourtant réduite.
Le thème du « Clan des Siciliens », composé par Ennio Morricone, résonne alors qu’Anouchka, Anthony et Alain-Fabien avancent. Aidés des pompes funèbres, ils portent le cercueil noir qui vient de se refermer sur la légende. S’ensuit un prélude de Chopin pour accompagner une méditation commune. Anouchka est la première à prendre la parole, ponctuant son ultime déclaration d’amour de citations d’Alfred de Musset, à qui l’acteur a voulu emprunter en guise d’épitaphe la célèbre tirade d’« On ne badine pas avec l’amour » : « J’ai souvent souffert, j’ai commis des erreurs parfois, mais j’ai aimé. C’est moi qui ai vécu et non un être factice créé par mon orgueil et mon ennui. »
Après les adieux de sa fille adorée, Vincent Lindon a rappelé, dans une lettre adressée à la star décédée, toute son admiration. C’est sans note qu’Antoine lui a succédé. « Tous ceux qui sont ici sont ses amis, et il vous a tous aimés de manière différente, avec des codes différents », dira-t-il notamment. Alain-Fabien, lui, a choisi de lire un extrait de l’Épître aux Corinthiens de saint Paul, auquel il a ajouté quelques mots personnels, étouffés par l’émotion. Pour clore l’homélie de Mgr di Falco, un adagio de Bach.
Ceux qui le souhaitent sont invités à communier au son de la musique de « Deux hommes dans la ville », composée par Philippe Sarde. Depuis le début de la cérémonie, Loubo, le fidèle malinois d’Alain Delon, va et vient. « Il a réconforté et soigné chacun d’entre nous, raconte Géraldine Danon. Il a rendu chaque personne unique, comme Alain savait le faire, avec magie et magnétisme. » A la fin de cette messe d’adieu, on écoute religieusement l’« Ave Maria » interprété par Maria Callas. Alors que l’évêque bénit le cercueil, une averse s’abat sur Douchy, chassé par un arc-en-ciel. « On parle souvent du hasard, mais le hasard est le mot utilisé par Dieu pour rester incognito », murmure l’une des personnalités présentes.
C’est sur « Mon chemin » que le cercueil est porté jusqu’à la chapelle où un caveau l’attend depuis des années. Chacun y jette une rose blanche en guise d’adieu. Un « monsieur du coin » recommandé par les pompes funèbres de Château-Renard chante un « Je vous salue Marie ». Rien d’ostentatoire, donc. Nicole Calfan s’arrête un instant sur la tombe de Jado, le Malinois qui a joué avec elle et Alain Delon dans « La Bande ».
Jusqu’au bout, le souhait de l’acteur, qui ne souhaitait pas d’hommage national, a été respecté. « Cette cérémonie a été exceptionnelle, car émouvante et imprégnée de tout ce qu’Alain désirait et avait grandement défini, fidèlement mis en œuvre par ses enfants », reconnaît Alain Terzian.
Nicole Calfan confirme : « C’était tellement bien organisé que j’ai demandé à Anthony comment il s’y prenait. Il m’a répondu : « Ce n’est pas que moi, mais nous trois. Ensemble. » C’est sans doute ce qu’il faut retenir de ce moment suspendu qui s’est déroulé à l’abri des regards : une famille enfin soudée, comme les doigts d’une main. « Comme si Alain avait encore tout sous contrôle, conclut Géraldine Danon. Lui qui aimait tout contrôler, il a continué grâce à l’organisation gérée par ses enfants. » Que la paix soit avec eux. Et avec l’esprit de leur père.