« L’histoire de Ioulia Mykytenko est un journal de guerre, le portrait d’une patriote au grand cœur et une leçon de morale »
J.Janvier 2024, village de Zakyne, front du Donbass, Ukraine. « Hier soir, j’ai dit à mon équipe de quitter le front. Nous étions sous le feu des tirs depuis vingt-quatre heures. Nous ne pouvions même pas lancer un drone pour voir d’où venaient les tirs. (…) Pas besoin d’y rester. » Le lieutenant sait ce qu’elle fait. Elle a de l’expérience, déjà plusieurs années en première ligne. Elle commande une section de reconnaissance aérienne de 25 hommes équipés de drones – « nos oiseaux », « nos bébés ».
Le nom de la jeune femme de 28 ans est Yulia Mykytenko. Elle s’est entretenue avec la journaliste franco-américaine Lara Marlowe. Et, de ce long témoignage, le chroniqueur vedette duTemps irlandais de Dublin a produit un livre clé pour comprendre ce qu’est la guerre en Ukraine : Comme c’est bon, je n’ai pas peur de mourir (« Heureusement, je n’ai pas peur de mourir », éd. Head of Zeus, Londres, 2024, non traduit). Faites défiler ici, page après page, une histoire de bravoure, un journal de guerre, le portrait d’un patriote au grand cœur, une leçon de morale, un morceau de l’histoire politique de l’Ukraine. En bref, et magistralement expliquée, la réponse à cette question simple : pourquoi les Ukrainiens meurent-ils ?
Il y a une guerre de tranchées. La section de Yulia patrouille sur 50 kilomètres sur un front de 1 200 personnes. Plus d’un siècle après la Première Guerre mondiale, la vie dans les tranchées n’a guère changé : le froid, la boue, le manque de sommeil, les rats qui pullulent et viennent se nourrir des cadavres – russes et ukrainiens. Ensemble, le gilet pare-balles et le casque pèsent plus de 10 kilos. « Chacun de nos drones peut détecter les mouvements ennemis dans un rayon de 10 à 15 kilomètresdit le lieutenant Mykytenko. Nous surveillons les lignes russes, les mouvements qui annoncent un assaut sur nos tranchées. Les tirs de l’artillerie ukrainienne sont dirigés. Une grande partie de notre mission consiste également à récupérer nos morts et nos blessés. (…) Il faut décider du bon moment, c’est ma responsabilité de choisir qui part, et je les accompagne souvent. »
Échapper à la botte russe
En permission fin octobre, Yulia est venue présenter son livre à Paris. Traits fins, pommettes saillantes, visage adolescent, voix douce, tenue militaire ajustée à la taille, mèche de cheveux bleus étincelants, elle raconte sa guerre sans vantardise. Elle fait une pause, les mots se murmurent, deviennent à peine audibles, lorsqu’elle évoque sa mort. Un mari, Illia, tué au combat, ainsi qu’une vingtaine d’amis proches. Elle a vu toute la sauvagerie de la guerre dite de « haute intensité ». Elle est née en 1995, quatre ans après l’indépendance de l’Ukraine. Pauvre famille de la région de Kiev : nous parlons russe et lisons Pouchkine et Lermontov à la maison, mais nous avons le patriotisme ukrainien dans notre cœur.
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