L’explosion de téléavertisseurs au Liban, une attaque sans précédent par son ampleur mais techniquement testée par Israël
L’État hébreu utilise les téléphones portables et les moyens de communication en général pour traquer et assassiner ses ennemis depuis les années 1970.
En février dernier, le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a exhorté ses partisans à « débarrasser » depuis leur téléphone portable : « Je n’en ai pas. C’est un appareil d’espionnage ! Israël n’a pas besoin de plus que ça ! Jetez-les, enterrez-les ! C’est dangereux ! Le smartphone que vous avez en main est un appareil qui peut être contrôlé. » Mardi 17 septembre, l’explosion simultanée dans tout le Liban de bipeurs utilisés par le mouvement chiite, que ce dernier impute à Israël et qui a fait au moins douze morts et 2.800 blessés, a rappelé au « Parti de Dieu » que l’Etat hébreu traque en permanence ses sympathisants. Tout cela dans un contexte de tensions croissantes entre les milices et Jérusalem sur fond de conflit dans la bande de Gaza.
A chaque fois, les organisations terroristes ont régressé technologiquement, pensant pouvoir passer entre les mailles du filet des services de renseignements israéliens. Mais ces derniers ont toujours trouvé la faille.
Frédérique Schillo, spécialiste d’Israël
Bien que cette attaque soit sans précédent par son ampleur, le modus operandi a déjà été testé à plusieurs reprises par les services israéliens, qui utilisent depuis des décennies les téléphones portables et les moyens de communication en général pour traquer et assassiner leurs ennemis, depuis les années 1970.
«Série d’attaques» sur les téléphones
Selon le Le New York TimesSelon des responsables américains, Israël aurait rempli d’explosifs ces appareils de communication obsolètes après que le Hezbollah les a commandés à une entreprise taïwanaise. L’entreprise affirme que la fabrication a été réalisée par son partenaire hongrois. « Il existe encore une zone d’ombre concernant les préparatifs de cette opération, qui constitue une prouesse technique. Chaque bipeur aurait été chargé de plusieurs dizaines de grammes d’explosifs plastiques de type Semtex. »analyse David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). « Mais en termes de capacités, ce n’est pas entièrement surprenant étant donné l’expertise d’Israël en matière de renseignement et d’infiltration. »ajoute le spécialiste du Moyen-Orient.
Pour Frédérique Schillo, spécialiste d’Israël et co-auteur de La guerre du Kippour n’aura pas lieu (Archipoche, 2023), cette attaque qui restera dans les annales du renseignement hébreu « C’est le dernier épisode d’une longue série d’attaques téléphoniques qui a débuté à Paris en 1972. »En décembre de cette année-là, le Mossad voulait venger le meurtre de 11 athlètes israéliens aux Jeux olympiques de Munich organisés par le groupe terroriste palestinien Septembre Noir.
À travers l’opération « Vengeance de Munich », le Mossad, le service de renseignement extérieur israélien, cible Mahmoud Hamshari, le représentant de l’Organisation de libération de la Palestine (OLP) à Paris, soupçonné d’avoir organisé les attentats en Allemagne. Les services secrets de l’État hébreu reproduisent à l’identique le socle en marbre de son téléphone fixe en y ajoutant des charges explosives. Le 8 décembre, l’homme décroche son téléphone. À proximité, des agents israéliens, après s’être assurés que l’homme à l’autre bout du combiné est bien Mahmoud Hamshari, font exploser la bombe. Il décède des suites de ses blessures un mois plus tard.
Bombe dans une cabine téléphonique
En 1996, sur ordre du Premier ministre Shimon Peres, le Shin Bet, le service de renseignement intérieur, a tué Yahya Ayyash, le « fabricant de bombes » du Hamas, présumé responsable de plusieurs attentats suicides ayant fait des dizaines de morts en Israël. Les espions hébreux avaient remarqué que le terroriste appelait son père tous les vendredis. Ayant réussi à lui procurer un téléphone semblable au sien, un Motorola Alpha, contenant des explosifs, le Shin Bet avait attendu l’appel hebdomadaire pour déclencher l’inculpation.
C’est un choc opérationnel mais aussi psychologique qui frappe les combattants et les cadres intermédiaires du Hezbollah.
David Rigoulet-Roze, chercheur associé à l’Iris
Plus récemment, en 2001, Iyad Hardan, le fabricant de bombes du Jihad islamique en Cisjordanie, était assassiné à Jénine dans l’explosion d’une bombe qui avait été dissimulée sous la cabine téléphonique d’où il communiquait… pour empêcher les services israéliens de l’atteindre en infiltrant son téléphone portable.
Régression technologique
« A chaque fois, les organisations terroristes ont régressé technologiquement, pensant pouvoir passer entre les mailles du filet des services de renseignements israéliens. Mais ces derniers ont toujours trouvé la faille. »note Frédérique Schillo. « Les seuils sautent systématiquementajoute David Rigoulet-Roze. Cette fois, c’est un choc opérationnel mais aussi psychologique qui frappe les combattants et les cadres moyens du Hezbollah. »
Le message adressé au mandataire de l’Iran est donc clair : « Israël leur prouve qu’il n’est pas capable de protéger complètement son système. »Les spécialistes ont analysé avec Le Figaro. Pour Frédérique Schillo, l’attaque de mardi peut même être lue comme un message adressé à l’opinion israélienne : « Le Mossad est de retour après l’échec du 7 octobre. »
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