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« L’expérience belge doit amener le Palais Bourbon à la prudence »

FIGAROVOX/TRIBUNE – Le projet de loi « fin de vie » est arrivé à l’Assemblée lundi 27, après un mois d’examen préliminaire en commission spéciale. Pour le sénateur honoraire belge Alain Destexhe, il faut faire preuve de prudence sur un sujet aussi sensible, compte tenu des dérives observées en Belgique au cours des 20 dernières années.

Alain Destexhe est un médecin, essayiste et sénateur honoraire belge. Il était membre de la commission spéciale qui a légalisé l’euthanasie en Belgique.


Depuis l’annonce par le président Emmanuel Macron en mars d’un projet de loi sur la fin de vie, l’Assemblée nationale semble vouloir légiférer à toute vitesse. Sur un sujet aussi grave, le calendrier pose question. Dépôt du projet de loi le 10 avril, examen en commission spéciale pendant à peine un mois, modifications substantielles du texte initial et, depuis le 27 mai, examen du texte en séance plénière pour déboucher prochainement sur un vote.

Sur un sujet aussi sensible, en pleine campagne pour les élections européennes, près de 20 ans après l’adoption de la loi Leonetti, on voit mal ce qui justifie une telle précipitation.

Le législateur belge a pris son temps. Déposé fin 1999 au Sénat, le projet de loi visant à légaliser l’euthanasie émanait de parlementaires socialistes et libéraux. L’Assemblée s’est donnée plus d’un an pour parvenir à une conclusion, procédant chaque semaine à de longues auditions, auprès d’un total d’une cinquantaine de personnes, représentant la quasi-totalité des acteurs concernés par la fin de vie (soignants, juristes, militants, mouvements philosophiques ).

A l’issue des auditions, les premiers auteurs ont soumis un nouveau texte qui, sans remettre en cause leur volonté initiale de légaliser l’euthanasie, a largement tenu compte des auditions. Même si la nécessité de légiférer n’a pas fait l’unanimité, les travaux se sont déroulés dans une ambiance sérieuse et sereine. Le texte final a été approuvé à une large majorité à l’exception des deux partis sociaux-chrétiens. Au total, avant son adoption définitive par la Chambre des représentants, le processus a duré plus de deux ans.

Vingt ans plus tard, l’euthanasie n’est pas remise en cause et aucun parti n’envisage de rouvrir le débat. Les parlementaires français gagneraient cependant à étudier l’expérience belge, qui pose question.


Sur la fin de vie, plus encore que sur d’autres questions de société, « il faut donner du temps au temps ».

Alain Destexhe

Le nombre annuel d’euthanasies en Belgique est en constante augmentation. En 2023, 21 % des interventions ont été réalisées alors que le décès n’était pas attendu à court terme, une catégorie qui augmente fortement d’année en année (4 % en 2012). Les conditions de la loi ne sont pas toujours respectées. Les personnes atteintes d’une maladie grave et incurable, mais qui peuvent encore vivre des mois, voire des années, demandent l’euthanasie qui leur est rarement refusée.

89 personnes ont été euthanasiées en 2023 en raison de troubles psychologiques. La notion de souffrance psychologique »constant, insupportable, inapaisable » prévue par la loi est sujette à de multiples interprétations. Une jeune femme de 23 ans, victime des attentats islamistes de mars 2016, a été euthanasiée car elle ne s’était jamais remise du syndrome post-traumatique. Auparavant, une autre femme de 24 ans souffrant de dépression profonde avait été considérée comme remplissant les conditions de la loi. Seize ans après avoir tué ses cinq enfants, Geneviève Lhermitte, 57 ans, a été euthanasiée en prison en raison de ses souffrances psychologiques. Ce sont encore des cas qui ont été rendus publics. Certains estiment que l’euthanasie clandestine est encore pratiquée en Belgique. La Commission fédérale de contrôle est davantage une chambre d’enregistrement qu’une véritable chambre de contrôle. La Belgique a également été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) pour le manque d’indépendance de cette commission. En vingt ans d’existence, sur 33 613 euthanasies déclarées, un seul dossier a été transmis au parquet.

En 2014, les militants de l’euthanasie ont réussi à étendre le cadre législatif aux mineurs même si les médecins directement confrontés à ces situations dramatiques n’y étaient pas favorables. En 2020, la clause de conscience des médecins a été limitée et les établissements ont interdiction de s’opposer à la pratique de l’euthanasie dans leurs murs.

La Belgique et les Pays-Bas ayant vingt ans d’expérience en la matière, le législateur français gagnerait à analyser en profondeur les expériences des pays voisins. Rien ne justifie la ruée actuelle vers le Palais Bourbon et il faut espérer que, dans leur sagesse, les sénateurs adopteront une autre méthode. Sur la fin de vie, plus encore que sur d’autres questions de société, « il faut donner du temps au temps ».

Ray Richard

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