«L’événement est si intense qu’on n’en trouve pas d’analogues dans nos bases de données»
Un climatologue du CNRS décrypte les précipitations sans précédent qui ont provoqué des inondations spectaculaires à Dubaï et dans plusieurs États des Émirats.
Des orages d’une rare intensité accompagnés de pluies torrentielles ont frappé mardi la péninsule arabique. En 24 heures à Dubaï, les routes, les centres commerciaux et les stations de métro ont été envahis par des torrents d’eau. L’aéroport international de Dubaï, l’un des plus fréquentés au monde, a détourné certains vols mardi. Les violentes tempêtes ont également touché Bahreïn, plusieurs régions du Qatar et d’Oman, où au moins 19 personnes sont mortes dans les inondations.
Davide Faranda est directeur de recherche en climatologie au CNRS.
LE FIGARO. – Avons-nous déjà un premier bilan de l’ampleur des précipitations tombées sur Dubaï ce mardi ?
DAVID FARANDA. – Nous disposons déjà de quelques données préliminaires : celles de l’aéroport de Dubaï et celles collectées par les satellites et les radars. La combinaison de toutes ces données sera intégrée aux statistiques dans quelques jours pour fournir un bilan complet de ce qui s’est passé. À l’heure actuelle, nous savons que l’essentiel des précipitations est tombé dans un rayon de 150 à 200 kilomètres centré sur la zone métropolitaine de Dubaï et en direction d’Abu Dhabi.
Comment expliquer ce phénomène météorologique ?
À partir de lundi, une zone dépressionnaire s’est développée sur le centre de l’Arabie Saoudite, puis s’est lentement déplacée vers l’est le lendemain. Le développement de cette dépression cyclonique a été associé à la présence d’un jet core tropical, un courant de vent de haute altitude qui renforce le mouvement vertical, favorisant la formation d’orages. De très fortes tempêtes se sont formées sur les pays du Golfe, provoquant une série impressionnante de précipitations et de vents. Cette configuration de pression est sans précédent.
L’événement est-il historique ?
Un phénomène d’une telle ampleur, oui, on peut dire que c’est historique. Le consortium international ClimaMeter (dont fait partie le CNRS, qui réalise des mesures sur les événements extrêmes dus au réchauffement climatique, NDLR) étudie l’événement. Cependant, elle est si intense et sans précédent que nous ne pouvons trouver d’événements similaires dans nos bases de données, qui remontent à 1979 !
Certains médias parlent de l’équivalent de deux années de précipitations tombant en 24 heures. Est-ce correct ?
En effet, à Al Ain, à la frontière entre Oman et Abu Dhabi, il est tombé jusqu’à 254 mm en moins de 24 heures, ce qui correspond à environ deux années de précipitations pour la région. Il s’agit de la plus grande quantité de pluie jamais enregistrée depuis le début des mesures en 1949. À Oman, à Bahreïn ou au Qatar, même si les quantités de pluie ont pu être plus faibles, on pourrait avoir ce qu’on appelle « crues éclair », débordement d’eau important dû à un sol très sec. L’impact peut être plus important sur certaines zones alors qu’il y a moins de pluie, selon la géographie du sol.
Est-ce dû au réchauffement climatique ?
La région connaît en effet un réchauffement climatique, avec des températures en hausse et des vents plus forts. Cela a pour effet de charger l’atmosphère avec davantage d’eau précipitable. Mais les analyses statistiques ne peuvent pas trouver d’événements similaires pour dire qu’il s’agit d’un événement directement lié au réchauffement, ni dire si ce phénomène se reproduira dans le futur.
D’une manière générale, ce que l’on peut dire sur cette zone, à partir des rapports du GIEC, c’est que le réchauffement modifie la variabilité climatique : de plus en plus, de longues périodes de sécheresse seront ponctuées par des pluies torrentielles plus intenses. dans cette zone. Des précipitations extrêmes se produiront plus souvent. Cela compliquera la gestion des ressources en eau. S’il y a trop d’eau d’un coup et moins au fil du temps, le stockage constitue un défi.
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Certains évoquent l’hypothèse d’une conséquence des pluies artificielles que les Emirats utilisent en période de sécheresse…
C’est peu probable. Il est vrai que les autorités procèdent parfois à ces pluies artificielles, en injectant dans l’atmosphère des particules hydrophiles qui forment des noyaux de condensation pour la pluie. Parce que la pluie n’est pas seulement constituée d’eau, elle se forme autour de particules solides. Mais l’origine du phénomène se situe assez loin de la zone de précipitation. Donc si ces chutes artificielles ont eu une quelconque influence, elle était sûrement faible. De toute évidence, ce n’était pas le facteur principal.