Nouvelles locales

« L’Europe vit une révolution culturelle avec l’émergence d’une société multireligieuse »

La mémoire collective conserve le souvenir du rôle décisif, dans les années d’après-guerre, des hommes d’État chrétiens, Konrad Adenauer, Alcide De Gasperi, Robert Schuman – et des interventions de Pie XII – dans la construction d’une nouvelle Europe dont l’Unité empêcherait le retour de l’Europe. esprit de guerre. Plus près de nous, certains aspects du traité de Maastricht (le principe de subsidiarité tiré de la doctrine sociale de l’Église), l’action forte de personnalités catholiques, de Jacques Delors à Helmut Kohl et Romano Prodi, ont renforcé l’idée que l’Europe construite après la guerre doit beaucoup aux chrétiens.

En 2004, le débat sur la Constitution européenne a été détourné par la question des racines chrétiennes de l’Europe. Le préambule du projet de constitution mentionne enfin « le patrimoine culturel, religieux et humaniste de l’Europe ». La formule était aseptisée et ne voulait pas dire grand-chose. On pourrait y voir un débat religieux sur la place du christianisme dans la culture européenne. L’historien ne peut que souligner le rôle majeur des Églises chrétiennes dans la culture européenne et l’inspiration chrétienne du projet européen après 1945, ce qui n’exclut pas la complexité.

Racines plurielles

Le Pape Paul VI disait que l’Europe est née de la Croix, du Livre et de la Charrue, un triptyque qui rappelle le travail des monastères, notamment bénédictins, sur le plan spirituel, culturel et économique : le « Ora et labora » du monachisme médiéval, c’est-à-dire la conjonction de la contemplation, de l’action sociale et du travail intellectuel qui a sauvé la culture antique, dans une tradition héritée du judaïsme et de l’antiquité gréco-romaine.

Paul Valéry a résumé ainsi l’Europe : « Il est une Europe où les influences de Rome sur l’administration, de la Grèce sur la pensée, du christianisme sur la vie intérieure sont toutes présentes. » Pour Benoît XVI, c’est la rencontre entre Jérusalem, Athènes et Rome, « entre la foi en Dieu d’Israël, la raison philosophique des Grecs et la pensée juridique de Rome, qui constitue l’identité profonde de l’Europe »comme il l’a dit dans son discours devant le Bundestag à Berlin en septembre 2011.

D’un point de vue religieux, l’Europe s’appuie sur des racines plurielles. Elle a une mémoire chrétienne et même des souvenirs chrétiens divers. Jean-Paul II n’invitait-il pas l’Europe à respirer à la fois avec ses poumons occidentaux et orientaux ? Elle a une mémoire juive, faite de la douleur des persécutions antisémites toujours répétées au fil des siècles, mais aussi faite de tant de contributions d’érudits, d’artistes et d’intellectuels juifs à la culture commune. Elle possède également une mémoire musulmane faite de nombreux contacts souvent conflictuels mais aussi culturels.

Émergence de nouvelles craintes

Le moment est venu d’accentuer la diversification des cultures et en même temps de se replier sur soi en termes d’identité. L’Europe est plus que jamais une terre de pluralisme religieux, et de ce point de vue elle connaît une véritable révolution culturelle avec l’émergence rapide d’une société multiculturelle et multireligieuse liée aux migrations de masse, mais avec pour conséquence l’émergence de nouvelles peurs, de néonationalisme, de populisme. , qui tendent à exacerber les frontières, et à manipuler un christianisme qui serait seul fondateur de l’Europe. Avec aussi l’affirmation d’un nouveau fondamentalisme laïc qui voudrait gommer toutes les références religieuses, notamment chrétiennes. On se souvient qu’en décembre 2021, la Commission européenne avait produit un document recommandant d’interdire le mot Noël au nom d’une « communication inclusive ».

En réalité, l’Europe constitue au monde l’espace de rencontre le plus dense entre les peuples et les traditions culturelles, dans le cadre de l’unité donnée par le judéo-christianisme, enrichi par la diversité. Edgar Morin parle de « bouillon de culture », de tourbillon culturel. Denis de Rougemont note dans son Écrits sur l’Europeun « état de controverse permanente » qui pourrait conduire à des conflits dramatiques, mais qui contraindrait aussi « les élites et donc la partie active des masses européennes, à développer les trois vertus cardinales de l’Europe : le sens de la vérité objective, le sens de la responsabilité personnelle et le sens de la liberté. »

La personne est centrale

On peut en effet distinguer un patrimoine commun qui, malgré la diversité européenne, ou paradoxalement nourri par cette diversité, conduit à une véritable unité, à une identité européenne constamment confrontée aux identités nationales et aux identités culturelles propres à chaque groupe. Cet héritage se résume à une conception issue de son héritage judéo-chrétien, celui de la personne. Paul VI disait en 1977 au Conseil de l’Europe : « (L’Europe) a une responsabilité particulière de témoigner, dans l’intérêt de tous, de valeurs essentielles telles que la liberté, la justice, la dignité personnelle, la solidarité, l’amour universel et réciproque. » Il est facile de multiplier les exemples de déclarations de tous les papes jusqu’à François, sur ce thème : l’Europe comme berceau des idées de personne et de liberté.

La « personne humaine », chère à Emmanuel Mounier et Jacques Maritain, traduit la vocation « personnelle » de tout être humain, fils de Dieu, et insiste sur sa dignité parce qu’éclairée par la foi trinitaire et christologique, parce qu’elle est à l’image de Dieu et trouve sa fin dans la vision de Dieu. La personne est centrale dans la construction européenne. Là Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne du 7 décembre 2000 le dit clairement dans son préambule : « L’Union place l’humain au cœur de son action. »

William Dupuy

Independent political analyst working in this field for 14 years, I analyze political events from a different angle.
Bouton retour en haut de la page