« L’Europe perd du terrain » et « le pouvoir d’achat stagne », analyse l’économiste Jean Tirole



Nouvelle Commission européenne à Bruxelles, lle président Ursula von der Leyen a présenté mardi 17 septembre 2024 les 27 nouveaux commissaires aux chefs des groupes politiques du tout nouveau Parlement européen, après les élections du printemps. L’Union européenne est-est-elle à la hauteur des défis économiques auxquels elle est confrontée ?

Jean Tirole, Prix ​​Nobel d’économie, Président d’honneur de l’École d’économie de Toulouse, s’est récemment penché sur la question de l’innovation en Europe, dans un rapport qui fera l’objet d’une conférence mercredi au Collège de France.

franceinfo : Votre constat est alarmant. L’Europe est en retard sur les États-Unis pour plusieurs raisons. Ce n’est pas seulement une question de financements publics. Les budgets sont équivalents en pourcentage du PIB. Mais le secteur privé n’investit pas suffisamment. Est-ce là une partie du problème ?

Jean Tirole: Vous avez raison, la France est en retard et l’Europe est en retard aussi en matière d’innovation. C’est-à-dire que nous sommes absents des grands domaines de la biotechnologie, du logiciel, du matériel, etc. L’intelligence artificielle, nous sommes quasiment absents. Cela se traduit évidemment par relativement peu d’innovation. On voit que sur les 20 plus grandes entreprises technologiques du monde, aucune n’est européenne. Les start-up, c’est la même chose. La conséquence de cela, c’est qu’évidemment le pouvoir d’achat stagne. C’est très grave parce qu’il y a toujours une pression très forte pour avoir un pouvoir d’achat plus élevé.

« La seule façon de créer un pouvoir d’achat durable est, en fin de compte, l’innovation et la compétitivité. »

Jean Tirole

à franceinfo

Ce que vous dites, c’est que lorsque nous investissons, ce n’est pas dans la bonne technologie, ni dans la technologie disruptive. En fait, nous investissons dans l’industrie automobile plutôt que dans l’intelligence artificielle. Cela signifie-t-il que l’Europe sera toujours en retard par rapport aux États-Unis et à la Chine ?

Oui, c’est-à-dire que le déficit de financement de la R&D en Europe, c’est essentiellement le secteur privé : 1,2 % en Europe, 2,3 % aux États-Unis, par rapport au PNB. Donc, on a ce déficit qui vient essentiellement, effectivement, du fait qu’on investit dans ce qu’on appelle le mid-tech, l’automobile notamment, qui apporte moins de valeur ajoutée, c’est-à-dire que les profits sont beaucoup plus faibles. Et effectivement, ce sont des industries qui sont menacées parce qu’on voit très bien l’automobile aujourd’hui avec les voitures sans conducteur, avec les voitures électriques, on a des difficultés.

En Europe, on investit davantage dans les PME et les ETI, c’est-à-dire les entreprises de taille moyenne, alors qu’il faudrait privilégier les start-up. Vous soulignez qu’il y a aussi un problème de gouvernance. Le Conseil européen de l’innovation est dirigé par des politiques quand les ARPA aux États-Unis sont dirigées par des scientifiques. Cela change tout. On a vu que la nouvelle Commission européenne a été présentée tout à l’heure. Cela ne risque-t-il pas de changer ?

Je pense que le rapport Draghi sur la compétitivité a été bien compris, notamment par Ursula von der Leyen et je pense qu’il y aura un changement de ce côté-là, mais encore faut-il que les Européens le veuillent.

En termes de gouvernance ?

En termes de gouvernance, c’est plus compliqué. Il faut d’abord investir dans des innovations disruptives.

« Nous investissons moins de 5 % du budget de la recherche européenne, ce qui est déjà très faible en soi, dans les innovations de rupture. »

Jean Tirole

à franceinfo

Donc, il s’agit essentiellement d’aides aux PME. On n’est pas dans le coup. Il y a des programmes qui fonctionnent très bien, comme le programme du Conseil européen de la recherche, qui fonctionne un peu comme la DARPA aux États-Unis.

Espérez-vous que cela va changer avec la nouvelle Commission européenne ?

Oui, si nous en avons la volonté politique.

La volonté politique est-elle là ?

C’est divisé. Il y a beaucoup de gens qui sont pour que les choses changent parce qu’on se rend compte qu’on n’avance pas sur les questions d’innovation, on est très en retard. Après, il faut aussi accepter que ce sont les scientifiques qui distribuent l’argent, comme c’est le cas pour la santé ou la défense aux États-Unis. Ce sont les scientifiques, pas les politiques qui distribuent l’argent, parce que ce sont eux qui savent quels projets sont prometteurs ou pas. Les politiques sont automatiquement soumis à une forte pression.

Ce que vous dites aussi, c’est qu’il faudrait verser l’argent au niveau central. Donc, à Bruxelles par exemple, et pas à Paris et Berlin, cela permet d’éviter le clientélisme, de miser sur la technologie et l’innovation qui vont apporter des emplois dans son propre pays. Sauf que là, c’est une rupture totale.

C’est une rupture totale. On a réussi à le faire efficacement pour la recherche fondamentale avec l’ERC, le Conseil européen de la recherche. Mais c’est vrai qu’il y a beaucoup de gens qui ne veulent pas arrêter de distribuer des chocolats d’une certaine manière. Mais ça va être inévitable. Aux États-Unis, la recherche est distribuée essentiellement au niveau fédéral, pas au niveau des États.

Nous avons désormais un Premier ministre, Michel Barnier. Mais nous attendons toujours un budget et un gouvernement. Si vous aviez un conseil à donner au nouveau Premier ministre en matière de politique économique, quel serait-il ?

Je n’ai pas de conseil à donner, mais il va falloir qu’on change un peu notre façon de travailler ensemble. Là, je réunis toute la classe politique. Ce qui me frappe lors des élections législatives et européennes, c’est qu’on a parlé de deux choses : l’immigration et le pouvoir d’achat. Je laisse l’immigration de côté. Le pouvoir d’achat, je comprends bien que les plus pauvres s’inquiètent de leur pouvoir d’achat. Mais quand tout un pays, finalement, ne parle que de pouvoir d’achat et ne parle pas du tout de l’avenir… C’est-à-dire que pendant ces campagnes, on n’a pas du tout parlé d’éducation, on n’a pas parlé du changement climatique, on n’a pas parlé d’innovation, ni de compétitivité. Donc, tout ce qui va créer à terme de la richesse et du bien-être dans le futur. On a parlé de partager le gâteau. C’est une pensée à somme nulle. C’est-à-dire qu’on ne pense qu’à partager le gâteau et pas à le créer.

Sauf qu’aujourd’hui, il faut avancer. La France fait l’objet d’une procédure pour déficit excessif à Bruxelles. Faut-il faire plus d’économies ou augmenter les impôts ?

On peut faire les deux. C’est un choix politique. Les économies se trouvent à droite, à gauche.

Avec des coups de rabot ?

Il ne faut surtout pas faire de coupes uniformes, car dans ce cas, il ne faut pas toucher à des choses cruciales comme l’innovation et l’éducation.

Notamment le crédit d’impôt recherche ?

Le crédit d’impôt recherche peut aussi être un peu mieux géré, c’est-à-dire que, pour l’instant, il bénéficie vraiment aux secteurs de l’aéronautique, de l’automobile, etc. Il faudrait le conditionner un peu plus à l’innovation de rupture. On revient toujours au même sujet, mais disons qu’il faudra qu’il y ait un consensus politique et là, il faut une union des partis qui sont aujourd’hui opposés pour croire en l’avenir de la France.

Faut-il augmenter les impôts ? Dans le rapport que vous avez coordonné pour France Stratégie avec Olivier Blanchard, vous dénoncez une taxation du travail toujours supérieure à celle du capital. Êtes-vous toujours de cet avis ?

Effectivement, en France, on a beaucoup taxé le travail. On pense notamment aux cotisations sociales, mais pas seulement. Donc, cela pose un problème parce que cela incite effectivement les entreprises à automatiser et à robotiser. On a fait ça parce qu’on avait du mal à taxer le capital, parce que le capital est beaucoup plus mobile. On peut partir à l’étranger avec son capital, on peut décider de produire dans un autre pays, etc. Donc, là, il faut un accord au niveau international. Et là, la fiscalité est encourageante quand même.

Ce n’est donc pas quelque chose qui devrait être fait au niveau français ?

C’est très difficile parce que, dans ce cas, ce sont des entreprises qui partent. On le voit déjà au niveau des start-up, il y a beaucoup de licornes françaises qui partent.

Vous n’êtes pas favorable à une taxation plus élevée du capital, ni des plus riches, ni des héritages ou des successions ?

On parle de l’héritage dans le rapport avec Olivier Blanchard. Il vaut mieux avoir un organisme européen et, si possible, mondial sur la fiscalité du capital, parce que sinon le pays qui le taxe va perdre son industrie, va perdre les plus riches et donc les emplois et les impôts qui vont avec. Donc, on peut faire mieux bien sûr, ce n’est pas le sujet. On voit qu’il y a trop de moyens d’échapper à l’impôt : l’impôt sur le revenu, l’impôt sur la fortune, quand il y en a. Mais disons que l’idée de départ de taxer aussi, par exemple, l’immobilier ne me choque pas, parce que l’immobilier n’est pas mobile, il ne part pas, donc c’est une bonne chose. Sur l’héritage, ce qu’on dit dans le rapport avec Olivier Blanchard, c’est que c’est une bonne chose. Après tout, c’est un des facteurs d’inégalités. Mais ce ne sont pas les taux en France qui posent problème. Les taux sont parmi les plus élevés du monde. C’est plutôt l’application de ces taux qui pose problème. Donc il faut enfin mettre en œuvre ce qui a été voté.

francetvinfo

Malagigi Boutot

A final year student studying sports and local and world sports news and a good supporter of all sports and Olympic activities and events.

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