L’ampleur de l’épidémie de coqueluche est inhabituelle. Selon Santé publique France, treize nourrissons de moins de deux mois sont décédés de cette maladie en 2024, notamment aux CHU de Limoges et de Poitiers. Parmi eux se trouvait Julia, le bébé de Virginie et Fabien. Ce couple originaire de Haute-Vienne a souhaité témoigner du drame qu’il traverse.
Le 11 avril 2024, Julia pousse son premier cri à la clinique des Émailleurs, à Limoges. « Un bébé de 2,890 kilos, né par césarienne et sorti de la maternité en très bonne santé », se souviennent ses parents Virginie, 39 ans, et Fabien, 36 ans. Un peu plus d’un mois plus tard, le 15 mai, la petite fille décède des suites d’une coqueluche à l’hôpital.
Choc, tristesse, incompréhension, colère, culpabilité… : le couple de Verneuil-sur-Vienne (Haute-Vienne) traverse des sentiments contradictoires face à ce deuil qu’il n’aurait pas pu (dû ?) affronter. Une épreuve terrible, « évitable », insistent-ils, qu’ils ont souhaité médiatiser, en répondant à un appel à témoignages lancé sur notre site.
À un âge où les nourrissons ne sont pas vaccinés
Car Julia, cette petite fille tant attendue par Virginie et Fabien, déjà parents d’un petit garçon de cinq ans, est l’une des victimes d’une flambée épidémique de coqueluche, une infection bactérienne respiratoire, dont « la taille du pic et la durée du cycle (…) ne sont pas prévisibles », selon le bulletin diffusé par Santé publique France le 28 juin. En moyenne, la France déplore trois décès annuels causés par la coqueluche
.
Selon le bilan provisoire établi fin juin (**), 17 personnes en sont mortes en 2024, dont 14 enfants. L’un d’eux avait quatre ans, les 13 autres avaient tous entre un et deux mois. Il s’agit d’un âge où les nourrissons ne sont pas encore concernés par la vaccination obligatoire qui débute à deux mois, avec des rappels à quatre mois et onze mois.
Le seul moyen de protéger les tout-petits des formes graves, des hospitalisations et des décès ? Vacciner les mères pendant la grossesse. Le fœtus « bénéficie du passage transplacentaire des anticorps anticoquelucheux qui permettent de protéger l’enfant jusqu’à l’obtention d’une protection vaccinale individuelle », rappelle Santé publique France.
Manque d’information mis en évidence
Ou Virginie, quand elle était enceinte, et son mari Fabien – qui était « là, à chaque rendez-vous » – n’ont pas eu cette information. Selon le couple, personne ne les a prévenus ni conseillés pendant la grossesse. « On nous a parlé des vaccins contre la grippe, des vaccins contre le Covid, mais jamais de celui contre la coqueluche. »
Dans les salles d’attente, Virginie se souvient avoir vu sur les murs des campagnes prônant le « zéro alcool ou zéro cigarette », mais aucune affiche incitant à se protéger contre cette maladie hautement contagieuse et potentiellement mortelle pour les nouveau-nés…
« Lors du suivi chez le gynécologue ou la sage-femme pour la préparation à l’accouchement, on vérifie si on est immunisée contre la toxoplasmose et on m’a même fait un dépistage pour une infection à cytomégalovirus, mais à aucun moment mon statut vaccinal n’a été évoqué. » Un sujet… « oublié ».
Symptômes chez la mère et la fille
« Pourquoi nous ? », « Pourquoi moi ? », « Pourquoi n’y a-t-il pas eu plus de prévention ? » : les questions continuent de se bousculer dans la tête de Virginie et Fabien. Ils formulent aussi des « pourquoi » dans la prise en charge de Julia. En cabinet privé, aux urgences et à l’hôpital, le diagnostic a mis du temps à être posé. Car les rendez-vous se sont enchaînés, y compris pour Virginie, dont les propres symptômes auraient pu être un signe avant-coureur.
« Ma toux a commencé fin avril, deux semaines après la naissance de Julia, et le 26, on m’a prescrit des antihistaminiques », raconte Virginie. Le 4 mai, son état s’est aggravé.
Pendant la nuit, je n’ai pas pu arrêter de tousser jusqu’à avoir l’impression de m’étouffer et de vomir.
Cette fois, on lui administre de l’amoxicilline. Mais personne ne soupçonne une coqueluche. « Alors que tout le monde a fait un test de dépistage du Covid, pourquoi n’ai-je pas été testée moi-même ? », se demande-t-elle encore.
Julia, de son côté, régurgite son lait : le pédiatre qui l’ausculte détecte une simple rhinopharyngite et lui prescrit du paracétamol et de la cortisone. A la fin de ce même week-end de début mai, les parents, toujours inquiets, emmènent leur bébé à l’hôpital mère-enfant de Limoges. Du lundi au mercredi, la petite fille est sous surveillance et passe même une nuit sous oxygène. Puis la famille ressort, plutôt rassurée. Toujours un « rhino », avec « lavage de nez » recommandé.
Une série d’arrêts cardiorespiratoires
« Nous n’avons pas senti le danger. C’était le week-end de l’Ascension. Malgré notre fatigue, nous avons rejoint notre famille à La Palmyre, qui nous a proposé de nous aider à prendre soin de la petite fille. »
Sur place, le bébé avait parfois des spasmes. « Je la voyais serrer ses petites mains et son visage devenir rouge. Je ne comprenais pas que c’était un problème respiratoire. Je la serrais contre moi, elle se sentait mieux. »
Dans la nuit de vendredi à samedi, Julia est devenue violette, a fait un premier arrêt cardiorespiratoire, puis un deuxième. « Elle ne répondait plus. Elle était toute molle. Ma sœur a pu lui prodiguer les premiers soins », raconte Fabien. Le couple, en ligne avec 15, était sous le choc. Dans les heures qui ont suivi, le bébé a connu plusieurs autres arrêts, lors de son transport par les pompiers à l’hôpital de Rochefort, aux urgences de Rochefort et lors d’une radio du thorax.
Un diagnostic officiellement posé le 13 mai
Virginie, « hébétée », et son bébé sont ensuite transférés par hélicoptère au CHU de Poitiers, où Julia est emmenée en réanimation. Dimanche, l’état de la petite fille semble stabilisé, et les parents reprennent espoir. « J’ai même pu avoir un contact peau à peau avec elle », se souvient la maman avec émotion. « Sans me rendre compte que c’était le dernier moment que je passerais avec elle… »
Lundi 13 mai, les résultats du prélèvement naso-pharyngé sont revenus : il s’agissait d’une coqueluche. Un traitement antibiotique adapté a été administré. Mais au fil des heures, les crises se sont aggravées, et l’espoir s’est estompé. « J’ai vu que Julia souffrait, c’était très dur. » Un transfert à l’hôpital Necker, à Paris, a été envisagé, mais il n’a pas pu avoir lieu. Julia est finalement décédée au CHU de Poitiers mercredi 15 mai « à 15h58 » d’une coqueluche dite « maligne », la forme la plus grave de la maladie, où la détresse respiratoire entraîne la défaillance d’autres organes.
Plus de deux mois plus tard, Virginie et Fabien sont toujours incrédules :
Ça nous ronge… On se revoit le film.
Il aurait suffi d’une petite injection pour la sauver.
« Et au-delà du vaccin, on ne comprend pas pourquoi les professionnels de santé n’ont pas pris en compte cette maladie. »
Malgré la douleur, le couple a choisi de prendre la parole et d’informer les futurs parents. Car « on ne peut pas imaginer qu’en 2024, on puisse mourir de la coqueluche, car on ne sait pas qu’il n’existe aucun traitement pour un nouveau-né. Ce n’est pas normal de perdre un bébé, notre bébé, dans ces circonstances… »
Dans les années 1950, avant la vaccination, la coqueluche causait entre 800 et 1 000 décès par an en France.
(**) Rapport basé sur les données nationales du Centre d’épidémiologie sur les causes médicales de décès-Inserm.
Un décès à l’hôpital de la mère et de l’enfant également
A l’Hôpital Mère-Enfant (HME) de Limoges, selon Vincent Guigonis, chef du service de pédiatrie, « c’est inhabituel de voir autant de cas de coqueluche, mais contrairement à la bronchiolite, le problème est différent et nous sommes équipés pour y faire face ».
L’épidémie se poursuit et des cas sont encore recensés au MCH début juillet. Entre avril et juin, le CHU de Limoges a enregistré 35 cas positifs de coqueluche : 6 chez des bébés de 1 an ou moins, 18 chez des enfants de plus d’un an et de moins de 18 ans et 11 adultes.
Un nourrisson est malheureusement décédé en réanimation. « La coqueluche est dangereuse et grave pour les bébés de moins de quatre mois, qui n’ont pas eu les deux injections de vaccin, poursuit le spécialiste. Elle est moins risquée pour les enfants plus âgés, mais reste fatigante et gênante. »
Le Pr Guigonis souligne également l’importance de la vaccination chez la femme enceinte, qui protège le bébé à naître en transmettant les anticorps maternels. Cette recommandation de la Haute Autorité de Santé (HAS) date d’avril 2022. « On se rend compte que beaucoup de parents ne sont pas au courant de cette vaccination pendant la grossesse, soit parce que le message n’a pas été relayé lors du suivi – mais ici, à l’HME, on le dit systématiquement –, soit parce qu’il est noyé dans le flux d’informations qu’ils reçoivent. »
Les drames qui se déroulent dans certaines unités de soins intensifs nous incitent à réitérer cette recommandation, encore trop souvent ignorée.
Au niveau national, le réseau RENACOQ (42 hôpitaux) rapporte pour 2024 un nombre cumulé de 80 nourrissons de moins de 12 mois hospitalisés pour coqueluche, soit en cinq mois deux fois plus qu’en 2023.Hélène Pommier