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L’étrange été de Lucie Castets, candidate du PNF au poste de Premier ministre

France Inter, 8h20, 24 juillet. La matinale la plus écoutée du pays accueille une voix inconnue des Français, la directrice des finances de la ville de Paris, fervente défenseuse des services publics. Mais depuis la veille, Lucie Castets a une autre ligne à ajouter à son CV : elle a été désignée par le Nouveau Front populaire (NFP) pour être sa candidate à Matignon. Après seize jours d’intenses négociations, les chefs des partis de gauche, arrivés en tête des législatives anticipées, mais sans obtenir la majorité absolue à l’Assemblée nationale, se sont mis d’accord sur son nom.

Si Lucie Castets est déjà apparue dans les médias, cette interview est d’une toute autre dimension pour celle qui a été approchée par Olivier Faure, le patron du PS, pour représenter le NFP. « L’idée de devenir Premier ministre ne m’avait jamais traversé l’esprit, même quand je me brossais les dents », elle se confie à la Monde. Dans les couloirs de la radio, on se souvient d’une Lucie Castets qui « lire ses cartes » ce matin-là et qui était « très, très stressé au début », avant d’être « un peu plus à l’aise à la fin de l’entretien. » Ce qui ne l’empêche pas de tenter d’imposer un bras de fer à Emmanuel Macron. « Je demande au Président de la République de prendre ses responsabilités et de me nommer Premier ministre »dit-elle avec assurance.

Le chef de l’Etat a néanmoins fermé la porte à cette éventualité. Une heure après la désignation de Lucie Castets par la gauche, Emmanuel Macron est sur le plateau de France 2, le 23 juillet au soir, pour évoquer la situation politique, mais aussi les Jeux olympiques qui débutent dans quelques jours. « Le sujet n’est pas là. Le sujet n’est pas un nom donné par un parti politique »réagit le président, sans même nommer Lucie Castets. « Il est clair que jusqu’à la mi-août, nous devons nous concentrer sur les Jeux et ensuite, en fonction de l’avancement des discussions, ce sera ma responsabilité de nommer un Premier ministre. »il poursuit. Dans les rangs macronistes, au même moment, le choix de Lucie Castets est fustigé, « pas du tout sérieux ». « On a vraiment l’impression qu’ils ont choisi un jeune diplômé de l’ENA au hasard juste pour dire qu’ils avaient trouvé un nom »critique un conseiller du gouvernement. « Connaissiez-vous Lucie Castets ? »dit ironiquement un député de la Renaissance.

Ces critiques sur le manque de notoriété du trentenaire agacent profondément la gauche. « Qui a connu Jean Castex avant sa nomination ? Ou même Emmanuel Macron, deux ans avant qu’il ne devienne président ? »s’emporte le député écologiste Benjamin Lucas. Face au refus du chef de l’Etat, Lucie Castets passe en mode campagne. La gauche espère que « pression populaire » finira par s’imposer à Emmanuel Macron.

« Face à cette situation extraordinaire, on invente des choses. C’est le président qui nous oblige à faire campagne. »

Benjamin Lucas, député vert

à franceinfo

Après France Inter, la voici, le 25 juillet au matin, sur le plateau de BFM où elle promet de signer, dès son arrivée à Matignon, un décret reporter la mise en œuvre de la réforme portant l’âge légal de la retraite à 64 ans. Soucieuse de ne froisser aucune composante du NFP, elle esquive certains sujets, comme le nucléaire ou la présence d’athlètes israéliens aux Jeux olympiques. « Elle est le point de convergence de toutes les gauches, elle doit rassembler, c’est ce qu’elle cherche à faire et c’est pour cela qu’elle pèse ses mots »défend le député PS Arthur Delaporte.

Deux jours plus tard, Lucie Castets se rendait à Lille pour sa première sortie de terrain. La séquence, organisée à la va-vite, s’est déroulée sans anicroche. « Elle était plutôt à l’aise et souriante, pas trop stressée, mais très contrôlée. »se souvient un journaliste présent sur les lieux.

Lucie Castets en visite à Lille le 27 juillet 2024, aux côtés de la cheffe des écologistes, Marine Tondelier, et du député LFI du Nord, Aurélien Le Coq. (FRANCOIS LO PRESTI / AFP)

A ses côtés, Marine Tondelier ne la quitte pas une seconde. « À partir de maintenant, s’il (Emmanuel Macron) refuse de nommer Lucie Castets, c’est du sabotage »« , déclare le chef des écologistes. Aurélien Lecoq, député LFI de la région, passe son temps à se présenter aux quelques 200 personnes présentes. Lucie Castets dans le rôle de « notre candidat à Matignon »Outre quelques curieux, ce sont surtout des militants qui se pressent autour de la nouvelle figure de la gauche.

La presse est présente, mais l’intérêt des médias est ailleurs. Après des semaines entièrement consacrées aux soubresauts de la vie politique française, les caméras se tournent vers un événement planétaire qui a débuté la veille avec la cérémonie d’ouverture : les Jeux olympiques. A partir de ce moment, la campagne de Lucie Castets à Matignon passe au second plan. « La période est largement dominée par les Jeux Olympiques et laisse peu de place à l’actualité politique »reconnaît Arthur Delaporte. « Il est difficile de démontrer la pression populaire en plein mois d’août et en plein Jeux Olympiques »mais « Lucie Castets signe une très belle séquence dans ce contexte médiatique difficile »qualifie Benjamin Lucas. Les dirigeants du NFP, comme le patron du PCF, affichent également leur confiance.

« La trêve olympique est un phénomène naturel, bien sûr. Mais cela ne m’inquiète pas (…). Cela ne m’empêche pas de travailler pour préparer l’après-JO. Et l’accélération viendra en temps voulu, autour du 15 août. »

Fabien Roussel, secrétaire national du PCF

à franceinfo

Parmi les partisans d’Emmanuel Macron, on note que Lucie Castets « a disparu ». « Ce n’est pas cette campagne parfois hasardeuse qui changera l’esprit des institutions »assure un proche du chef de l’Etat, qui a à l’esprit l’absence de majorité absolue du NFP. Et le même ajoute : « Un Premier ministre doit pouvoir réunir une majorité large et stable, ce qui n’est pas le cas du NFP, du fait de la position de LFI. » De nombreuses forces politiques, comme LR, RN et Renaissance, ont fait savoir que la présence de membres frondeurs dans un gouvernement entraînerait une motion de censure immédiate.

« Lucie Castets, avant de demander et d’exiger, devrait s’efforcer de comprendre le fonctionnement de notre démocratie et les règles associées.affirme la porte-parole du gouvernement démissionnaire, Prisca Thevenot. Le Premier ministre ne s’impose pas au Président de la République ; c’est ce dernier qui nomme le Premier ministre. Le député Renaissance Mathieu Lefèvre évoque même « une tentative de coup d’État narratif pour imposer aux Français l’idée que (le PFN) serait dans la majorité ».

Malgré le contexte des Jeux Olympiques, Lucie Castets poursuit sa tournée médiatique et ses voyages. Le 28 juillet, elle a accordé une interview à La galeriedans laquelle elle dit « au barycentre du Nouveau Front Populaire » et assure qu’elle le fera « des compromis sauf avec le RN »Le 31 juillet, elle s’est rendue, entourée de plusieurs représentants du NFP, à l’usine Duralex, dont le projet de reprise en SCOP avait été validé par le tribunal de commerce d’Orléans, sauvant 226 emplois.

Lucie Castets en visite à l'usine Duralex dans le Loiret le 31 juillet 2024. (GUILLAUME SOUVANT / AFP)

Une visite de terrain appréciée par les syndicats. « Nous voulions parler de nous et nous savions que si elle venait chez nous, nous parlerions de Duralex» déclare Suliman El Moussaoui, délégué syndical CDFT. Nous avons appris à la connaître, elle est accessible et elle comprend les défis du travail.

Mais, le même jour, Lucie Castets doit faire face à sa première polémique. Le canard enchaîné révèle que la directrice financière de la Ville de Paris a pris un congé payé plutôt qu’un congé, son statut de fonctionnaire lui imposant un devoir de réserve. Le même jour, Des élus de l’opposition parisienne adressent une lettre au procureur de la République de Paris, mentionnant « une violation de son devoir de réserve à travers ses prises de position politiques, ce qui l’expose, au minimum, à une sanction disciplinaire ». Interrogée par l’AFP, Lamia El Aaraje, porte-parole de la maire socialiste Anne Hidalgo, n’y voit rien de mal : « Nos services juridiques et RH ont réalisé une analyse, suite à la demande de Lucie Castets, et n’ont pas identifié de problématique juridique. »

Les partisans d’Emmanuel Macron continuent de suivre le mouvement. « QQuand on est fonctionnaire, on a bien sûr le droit de faire campagne dans un parti, admet Prisca Thevenot. Mais si l’on veut exprimer et porter ses opinions sans réserve, alors ce n’est pas compatible avec le statut de fonctionnaire. A moins de se mettre en congé… Elle préfère prendre congé. Le lendemain, sur RTL, Lucie Castets s’est défendue. « Ma situation personnelle est très claire, et j’ai évidemment veillé à ce que tout soit en ordre, elle assure. Si nécessaire, le moment venu, je me rendrai disponible.

En plein Jeux Olympiques, la polémique n’a pas pris et Lucie Castets a poursuivi sa tournée médiatique. Le 6 août, elle s’est confiée à la presse quotidienne régionale avec une interview à Sud-Ouest dans laquelle elle dit « au travail ». Mais c’est une interview à Paris Match qui est beaucoup plus commentée : elle révèle être mariée à une femme et avoir un enfant. L’hebdomadaire de Vincent Bolloré est souvent choisi par les politiques pour lever le voile sur leur vie privée. Il s’agit de faire, en quelques semaines, « une campagne de notoriété »assure Arthur Delaporte. Est-ce que cela suffira ? « On ne peut pas faire grand chose de plus, on ne peut pas être responsable à la place du chef de l’État »glisse la socialiste. Lucie Castets « espère qu’en nageant le temps d’un été, elle s’imposera à Macron à la rentrée. Et restera la préférence de la gauche. Au risque d’agacer avant même d’être nomméeobserve le spécialiste en communication politique Raphaël Haddad. C’est un pari.

Cammile Bussière

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