« L’Etat perd 4 milliards d’euros »
22 octobre 2024 à 9h28
Mis à jour le 22 octobre 2024 à 12h12
Temps de lecture : 6 minutes
Utiliser sa voiture de société pour emmener ses enfants à l’école, partir en week-end ou en vacances fait perdre de l’argent à l’Etat. C’est ce que dénonce Transports & Environnement dans une étude publiée le 21 octobre.ONGqui défend les transports propres en Europe, établit pour la première fois un calcul des réductions d’impôts bénéficiant aux 1,1 million de voitures de société « fossiles »c’est-à-dire fonctionnant au diesel, à l’essence ou en hybride. Ces véhicules sont mentionnés dans les contrats de travail et peuvent être utilisés aussi bien pour les besoins professionnels du salarié que aussi et surtout pour ses besoins privés.
Conclusion de cette étude : niches fiscales et sociales « brunes » appliquée à ces véhicules permettrait d’éviter 4 milliards d’euros de taxes par an. Léo Larivière, responsable du plaidoyer pour la transition automobile chezONGnous explique les mécanismes qui conduisent à une telle mauvaise gestion.
Reporterre — Pourquoi les voitures de société font perdre 4 milliards d’euros chaque année à l’État et à la Sécurité sociale ?
Léo Larivière — Cette perte est liée à la fois au système fiscal, qui est assez complexe, et à la réalité de l’usage de la voiture. D’un point de vue administratif, une voiture de société est utilisée pour certains déplacements professionnels ou pour des besoins privés. La part qui correspond aux besoins privés du salarié est considérée par l’Urssaf comme un équivalent de salaire. Logiquement, l’employeur devrait différencier les coûts liés aux déplacements professionnels de ceux correspondant aux déplacements privés. Ceux-ci apparaissent sur la fiche de paie sous la forme de« avantage en nature »imposés au moyen des cotisations patronales et salariales et via impôt sur le revenu.
C’est la théorie. En réalité, on ne sait pas (ou mal) isoler exactement la part qui est privée de celle qui est professionnelle. Les données privées du salarié sont en effet protégées via le RGPD (le règlement général sur la protection des données)et tout est un peu mélangé : le salarié va aller travailler, puis voir un client au retour, puis faire ses courses. Ne pouvant évaluer précisément ces déplacements, l’administration a créé « forfaits fiscaux » qui sont réputés représenter en moyenne la part des dépenses liées aux voyages privés.
Ces forfaits sont fixés à 9 % du coût d’achat de la voiture lorsque le salarié paie le carburant pour des déplacements privés, et 12 % si c’est l’employeur qui les paie. Quand la voiture est dedans location (location avec option d’achat) — c’est le cas d’environ 6 voitures de société sur 10 — la taxe est fixée à 30 % du coût de la location si le salarié paie lui-même son carburant ou 40 % s’il s’agit de l’employeur. Ces taux sont appliqués sur la fiche de paie.
Pour l’instant, tout semble normal…
Oui, mais ces moyennes correspondent à l’hypothèse selon laquelle les voitures de société sont utilisées majoritairement pour des besoins professionnels et minoritairement pour des besoins privés. Mais en réalité, c’est le contraire ! La majorité des usages des voitures de société sont privés, comme le montrent des études non publiques réalisées auprès des entreprises. location que nous avons pu utiliser, ainsi que des études réalisées aux Pays-Bas, en Belgique et au Royaume-Uni. Voitures statutaires (pour les cadres supérieurs) sont même utilisés à 100 % en privé. Nous avons évalué la part de l’usage privé à 65 en moyenne. %.
« Cela crée une niche fiscale et sociale »
Cette différence entre les paquets fiscaux et la réalité de l’usage de la voiture crée une niche fiscale et sociale : au lieu de lui verser un salaire, l’entreprise en offre à son salarié l’équivalent dans une voiture de fonction. . En conséquence, le salarié sera imposé sur une assiette bien inférieure – à 9 ou 12 heures. %, ou à 30 ou 40 % — uniquement sur un salaire imposé à 100 %. Nous avons intégré un autre élément dans le calcul : la dépréciation du véhicule de société. Celle-ci étant légalement considérée comme une charge, l’entreprise peut déduire son coût de son résultat fiscal grâce aux règles d’amortissement, et donc bénéficier d’une réduction d’impôt sur les sociétés. Là encore, il s’agit d’une sorte de niche fiscale.
Selon nos calculs, la conjonction de ces deux mécanismes génère une perte de 4 milliards d’euros chaque année pour la Sécurité sociale et l’État. Nous avons pris le pire exemple, à savoir le cas d’un BMW X3, un véhicule très cher, assemblé et importé des Etats-Unis. Dans l’hypothèse d’un recours légal, c’est-à-dire uniquement dans le secteur privé, le manque à gagner pour l’Etat et la Sécurité sociale s’élève à 23.200 euros par an. Nous avons également observé que les voitures de société sont généralement plus grandes et plus « SUVifié » que ceux achetés par les ménages.
Quelles sont les conséquences de cette fiscalité inadaptée ? ?
On constate aujourd’hui un gros retard des entreprises françaises dans la transition de leurs flottes vers les véhicules électriques. Au premier semestre 2024, il y a eu 25 % de part de marché en électrique côté particulier, et seulement 11 % du côté des entreprises. C’est une tendance que nous observons depuis maintenant cinq ans. Une partie de ce retard peut être attribuée à notre système de taxation des voitures de société. Avoir un thermique ou un hybride reste bien plus intéressant que d’avoir un salaire, tant pour l’employeur que pour le salarié.
Le Royaume-Uni a modifié ses règles fiscales sur les voitures de société en 2021. Depuis lors, la part de marché électrique des voitures de société a considérablement augmenté. Dans tous les pays qui ont réussi à organiser une transition rapide de leurs entreprises vers l’électricité, on retrouve soit des subventions ou une fiscalité très favorables à l’électricité soit, à l’inverse, des taxes qui ont pesé plus lourdement sur le thermique des entreprises. Les entreprises organisent la transition lorsqu’elles commencent à payer trop cher.
Quelles mesures préconisez-vous pour sortir de cet écueil en France ? ?
Nous réclamons une réduction de l’écart fiscal, qui est trop important. Cela signifie augmenter les prestations en nature : au lieu d’être à 9 et 12 heures % de taxation sur les nouveaux achats, on passerait au 18 et au 24 %, et au lieu de 30 et 40 % dans locationnous devrions passer à 50 et 60 %. Cela nous rapprocherait de la réalité de l’utilisation d’une voiture de société. Il faut aussi conserver un avantage spécifique sur l’électrique pour qu’il soit plus intéressant que d’avoir du thermique. Enfin, l’employeur doit être tenu de justifier que la voiture de société est réellement utile à ce travail afin de pouvoir être attribuée à un salarié. Ici, nous ciblons spécifiquement « salaires des voitures » dont on sait qu’elles n’ont pas de réelle utilité professionnelle, et qu’il s’agit simplement d’un avantage fiscal indu.
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