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Les vraies raisons des vagues de départs de salariés français

Bien que largement absente des débats lors des élections européennes et législatives, la mobilité professionnelle est pourtant au cœur des préoccupations des salariés. Aux États-Unis, des vagues massives de démissions ont inondé le marché professionnel au lendemain de la pandémie. Après les multiples confinements, des millions de salariés avaient claqué la porte de leur entreprise alors que le virus continuait de faire rage dans le pays.

Outre-Atlantique, les observateurs n’hésitent pas à parler de « Grande Démission » («Grand Quitter »). Abasourdis, les employeurs ont tiré la sonnette d’alarme sur la pénurie criante de travailleurs au moment où l’économie américaine avait besoin d’être relancée. En France, les entreprises privées et publiques ont également enregistré des vagues de départs ces dernières années. Certains commentateurs n’ont pas hésité à parler d’une « épidémie de paresse ». Accusés de travailler moins d’heures et d’être moins impliqués, les Français ont subi « une perte de motivation » pour leur travail.

« Pas de grande démission »

Derrière ces mouvements soudains de salariés, il y a en réalité des raisons plus complexes à décrypter. Dans sa publication annuelle phare sur l’emploi dévoilée ce lundi 22 juillet, l’Insee et la Dares (le service statistique du ministère du Travail) ont passé au crible les motivations des salariés prêts à quitter leur entreprise et déboulonné certaines idées reçues. La mobilité des salariés a augmenté par rapport à la période précédant la crise sanitaire « , explique à La galerie, Vladimir Passeron, chef du département Emploi à l’Insee. L’année dernière, nous avons constaté qu’une plus grande proportion de salariés avait changé d’entreprise. Un an plus tard, cela se confirme. La plus grande mobilité semble se poursuivre. « , ajoute-t-il. Pour résumer, le statisticien affirme que  » Ce n’est pas un gros départ, c’est plutôt un gros changement de direction qu’une grosse démission. « .

En France, le « grand turnover » des salariés provoque des perturbations majeures sur le marché du travail

Les augmentations de salaire, principale raison des départs…

Comment expliquer cette volonté de changer d’entreprise ? 26 % des salariés interrogés en 2023 ont répondu vouloir d’abord augmenter leurs revenus. Cette proportion a augmenté de 4,1 points par rapport à 2021. Sous pression d’une inflation galopante, de nombreux salariés ont perdu du pouvoir d’achat depuis la guerre en Ukraine compte tenu de la désindexation des salaires (à l’exception du SMIC). Les augmentations de salaires n’ont pas toujours été celles attendues dans le secteur privé « , souligne Vladimir Passeron.

Certaines entreprises ont accordé des primes mais elles n’ont pas suffi à compenser la perte de salaire réel, c’est-à-dire en tenant compte de l’inflation. En 2023, les salaires réels ont baissé de 0,8% dans le secteur privé après une forte baisse en 2022 (-1,9%). Changer d’entreprise est finalement un moyen de limiter cette perte de pouvoir d’achat.

La deuxième raison en hausse citée par les salariés concerne l’amélioration des conditions de travail. En 2023, 26 % des salariés du secteur privé (contre 25 % en 2018) souhaiteraient avoir des horaires de travail plus adaptés, une réduction du temps de trajet ou encore une meilleure ambiance sur leur lieu de travail. La pandémie a certes pesé sur la santé mentale de nombreux Français mais a aussi permis des économies de temps de trajet avec le télétravail et un meilleur équilibre entre vie personnelle et professionnelle. Parmi les autres grandes raisons évoquées pour justifier la mobilité, on trouve le changement d’emploi, de secteur ou d’employeur (13 %). L’autre résultat marquant de l’enquête est que toutes les catégories socioprofessionnelles sont concernées par cette mobilité, à l’exception des ouvriers qualifiés et non qualifiés.

…mais les salariés ne sont pas forcément gagnants dès la première année

Le premier facteur de mobilité correspond à la recherche d’un salaire plus élevé, mais les salariés qui ont changé d’entreprise ne sont pas forcément tous gagnants, surtout la première année. Les salariés qui ont changé d’entreprise entre 2021 et 2022 ont obtenu une augmentation de salaire de 2,9 % dans leur nouvel emploi contre 5,7 % pour ceux qui sont restés. En moyenne, les salariés qui changent d’entreprise subissent une perte de salaire mais il peut y avoir des gains à moyen terme. « , se souvient Vladimir Passeron.

Comment expliquer cela ? Il y a principalement « deux motifs ». « Le changement n’est pas forcément volontaire. Il peut être imposé, comme dans le cas d’un CDD ou d’un licenciement », Le statisticien pointe du doigt. Perdre son emploi peut parfois conduire à s’inscrire à France Travail ou à s’éloigner du marché professionnel. Par ailleurs, certaines primes ou dispositifs (intéressement et participation) sont liés à l’ancienneté dans l’entreprise. Or, la plupart des salariés ne bénéficient pas de ces leviers la première année de prise de fonction. Le chef de l’État Emmanuel Macron a souvent promu des dispositifs de partage de la valeur (prime, participation, intéressement). Ces outils défiscalisés et non sociaux ont permis aux entreprises de donner un coup de pouce à leurs salariés. Mais en période de forte inflation, de nombreux salariés, notamment dans les TPE et PME, ont ignoré ces mécanismes. Cela a pu représenter des difficultés pour beaucoup d’entre eux face à l’envolée des factures d’énergie ou du prix des produits d’épicerie dans les supermarchés.

Bas salaires : des progrès très limités en dix ans

Les salariés en bas de l’échelle salariale n’ont que très peu progressé au cours de la décennie 2010-2020. Selon des chiffres marquants révélés par l’Insee, la moitié des salariés qui avaient un faible revenu en 2011 sont dans la même situation 8 ans plus tard. Dans le même temps, 43 % ont quitté ces bas salaires mais la majorité d’entre eux restent bloqués dans la première moitié de l’échelle salariale.

Début 2024, le Premier ministre démissionnaire Gabriel Attal avait promis de s’attaquer à la « smicardisation » de la société française. L’objectif était d’enrayer la baisse des salaires en France. En effet, l’indexation du Smic en France limite le risque de pauvreté, mais d’autres catégories de travailleurs ont souvent connu des augmentations de salaire inférieures à l’indice des prix à la consommation. Cela a provoqué une stagnation du niveau de vie des classes moyennes.