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Les villes inhabitables – Chronique de Pauline Londeix – 6 septembre 2024

La période estivale en Europe est systématiquement marquée par le retour du tourisme de masse. Mais la concentration des visiteurs dans des espaces restreints les rend irrespirables. Cet été, à Monte Argentario, en Italie, la surconsommation d’énergie a même entraîné une panne de courant géante pendant quarante-huit heures coupant tous les systèmes électriques, et entraînant, entre autres, la perte de très grandes quantités de nourriture. Certaines mégalopoles subissent toute l’année les affres du tourisme de masse. Paris, Amsterdam, Rome, les centres de ces villes magnifiques se sont transformés en parcs Disneyland, bondés le jour et morts la nuit.

Une étape supplémentaire après le phénomène de gentrification, car désormais même les classes moyennes sont exclues de ces centres, au profit des spéculateurs sur les marchés immobiliers, investissements massifs de capitaux étrangers, qui transforment des immeubles entiers en logements Airbnb et maisons d’hôtes en tout genre. Ainsi, les politiques de la ville visant à réintroduire des espaces verts et à réduire le trafic automobile sont pertinentes, mais ne s’attaquent pas au cœur du problème : celui des grandes villes vidées de leurs habitants. Les conséquences sont bien plus profondes qu’on ne l’imagine. Car le travail reste, pour l’instant, essentiellement dans ces grandes villes qui sont aussi souvent des capitales ou des centres économiques.

Le statu quo n’est plus possible

Alors où habitent ceux qui travaillent ? Ces institutions et ces services restent figés dans ces centres urbains devenus inaccessibles, du fait de loyers exorbitants, d’une rareté de l’offre de logements, ou encore de transports en commun défaillants et coûteux. Une réflexion de fond sur la politique territoriale doit être menée, à la fois pour réguler au maximum ce qui existe déjà, et pour créer de nouveaux projets. Les grandes compétitions sportives le prouvent, si un État peut consentir des aides importantes pour construire d’immenses stades, alors il peut aussi mener une politique territoriale qui permette aux populations de trouver un logement décent. Le statu quo n’est plus possible. Le mouvement des gilets jaunes l’a montré, les émeutes dans les banlieues aussi, la sociologie des votes selon les territoires aussi : la crise sociale que nous traversons est aussi spatiale, territoriale.

Il s’agit d’une crise urbaine, rurale et périphérique, qui est amplifiée par un sentiment d’éloignement des services publics : hôpitaux, écoles, universités, postes, etc., par l’inaccessibilité de la vie culturelle de la ville et par la défiance envers les élites. Cette disparition des services publics semble inéluctable au vu des coupes budgétaires répétées. C’est l’une des causes de la défiance envers l’État et ses institutions. Car l’État, c’est ce paradoxe que Pierre Bourdieu a très bien décrit.1 C’est à la fois celui qui contrôle et prend d’une main, par l’impôt notamment, et aussi celui qui donne, de l’autre, par les services publics et la protection sociale. Son fonctionnement et la perception qu’en a la population dépendent du maintien de l’équilibre entre ces deux bras. Par exemple, plus on habite loin du centre-ville de Paris en Île-de-France, plus le pass Navigo est cher puisque pour le même prix le service est moins bon. Rapprocher les services publics des individus les plus éloignés des grands centres urbains et repenser les politiques territoriales est absolument crucial, notamment pour répondre au ressentiment général qui se profile.

New Grb1

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
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