Les universités de Valérie Dréville
Réputée à juste titre pour sa présence scénique violemment poétique, Valérie Dréville publie Art du débutant (1). Elle raconte très précisément les étapes successives de son travail sur elle-même, au contact de ceux qu’elle appelle « maîtrise ». Et quels maîtres ! Il s’agit d’Antoine Vitez, Claude Régy, Anatoli Vassiliev, Thomas Ostermeier et Krystian Lupa.
Il ne faut pas s’attendre à des confidences comme celle-ci : « Quand j’avais 5 ans, je n’aimais pas la soupe. » Surtout pas, car ce livre, comme son titre l’annonce fièrement, est celui d’une expérience de vie fondée sur l’étude approfondie et assidue d’un métier – il en est un – qui met sans relâche en jeu les muscles, les nerfs, la respiration, pour ne pas dire dit l’âme. Valérie Dréville se revendique toujours débutante, tout comme Pierre Boulez, compositeur et chef d’orchestre dûment reconnu, a publié au Seuil, en 1966, son Dossiers d’apprentis.
Un chapitre de l’histoire du théâtre vécu dans le corps d’une comédienne d’exception.
Le désir d’apprendre, chez Valérie Dréville, participe ouvertement à une sorte d’ascétisme joyeux. Initialement formée par Vitez et Régy, elle est pensionnaire de la Comédie-Française pendant quatre ans. C’est là notamment dans le bal masquéde Lermontov, mise en scène Vassiliev.
Rencontre capitale : elle part longuement à Moscou, apprend le russe, s’initie aux exercices, à la fois raffinés et secs, qu’impose Vassiliev, dans son atelier aux murs blancs de la rue Povarskaïa. Le récit détaillé de cette aventure véritablement spirituelle occupe la majeure partie de l’ouvrage. Cela constitue un corpus d’informations précieux pour un chapitre de l’histoire du théâtre vécu dans le corps d’une comédienne d’exception.
On connaîtra, en France, les résultats concrets de cet enseignement au vu de deux spectacles mémorables, ô combien nombreux, dans lequel elle s’est montrée souveraine : Médée–Matérielpar Heiner Müller, et Thérèse philosophebasé sur un roman érotique du XVIIIe sièclee siècle. Quant aux souvenirs émouvants qu’offre cette artiste née surdouée et avide de se perfectionner, n’y a-t-il pas, parmi tant d’autres, son apparition dans le rôle de Doña Sept-Épées dans la chaussure en satin, de Claudel, sublimé par Vitez ? Et la Mouettepar Tchekhov, sous le regard d’Ostermeier…
Ce n’est certainement pas le lieu d’établir la nomenclature de toutes les œuvres que Valérie Dréville, avec ou sans ses « maîtres », a su parer de son aura. Quant au cinéma, désolé, Godard, Resnais, Philippe Garrel, Desplechin ont fait appel à elle. L’art du débutant parlera à tout amateur de théâtre et surtout à la foule de jeunes qui rêvent de monter sur scène. Ils trouveront, dans cet ouvrage, matière à méditer sur la longue patience et la foi que cela requiert.
L’art du débutant, de Valérie Dréville, préface de Thomas Ostermeier, éd. Actes Sud, coll. « Le temps du théâtre », 176 pages, 20 euros.