Les touristes LGBT contraints de repenser leurs vacances face à l’homophobie
Itinéraire, hébergement, moyens de transport… Préparer un séjour à l’étranger n’est pas une mince affaire pour personne. Mais la tâche est encore plus fastidieuse pour les personnes LGBT+, qui ne peuvent voyager partout sans risque. Ce qui contraint certains à cacher leur orientation sexuelle dans certaines destinations.
À 29 ans, Émeric est un passionné de voyages. Seul, entre amis ou en couple : dès qu’il peut partir à l’autre bout du monde, le jeune homme achète ses billets et saute dans un avion. Ce Parisien est pourtant bien conscient des limites de son désir de découverte : en tant qu’homosexuel, il sait que toutes les régions du monde ne sont pas prêtes à l’accueillir à bras ouverts.
« Un voyage quand on est gay demande un temps de préparation un peu particulier. Il y a des questions qu’il faut se poser car on ne peut pas mettre les pieds partout », demande cet ingénieur informatique.
À ce jour, l’homosexualité est illégale dans une soixantaine de pays et la transidentité n’est toujours pas reconnue dans une grande partie du monde, selon les chiffres d’Ilga, association LGBT de référence. Dans un certain nombre de pays d’Afrique, du Moyen-Orient ou encore d’Asie du Sud-Est, les personnes LGBT+ sont passibles de peines de prison, voire de la peine de mort.
« La base, c’est de vérifier »
C’est pourquoi, avant chaque déplacement, Émeric prend le temps de vérifier les risques qu’il court en tant que membre de la communauté LGBT+. La première étape consiste à bien rechercher la destination qui l’intéresse : d’une part, la législation en vigueur dans le pays et la région, et d’autre part, l’ouverture d’esprit et les mentalités de la population locale.
« L’essentiel est de vérifier si l’on va atterrir en territoire ami ou non », résume-t-il. « Je vérifie d’abord si en cas de problème, les autorités locales seraient de mon côté ou non, puis si les gens sur place le tolèrent ou non, afin d’avoir une idée de la manière de se comporter. »
« La sécurité est une réelle préoccupation pour les personnes LGBT qui voyagent », déclare Danny Kronström, créateur du guide de voyage en ligne Voyageur gay« La sécurité est un sujet très récurrent », commente ce Canadien de 43 ans, également à l’origine du podcast. Queer ou pas ? sur le même thème.
Son site Internet, créé en 2014, guide les voyageurs queers et francophones dans leurs choix de destinations et d’hébergement aux quatre coins du monde, en plus de prodiguer des conseils et autres recommandations utiles.
Des ressources précieuses existent pour préparer un voyage, comme les cartes interactives sur le site Égaldex qui cartographient les progrès des droits LGBTQ+ à travers le monde. Et de plus en plus de plateformes de réservation comme Airbnb, Misterb&b ou le site Everywhere is queer référencent des établissements LGBT-friendly.
Avant de partir, Marine L. a également pris l’habitude de consulter les sites Internet des ambassades des pays dans lesquels elle envisage de se rendre et les recommandations du ministère des Affaires étrangères. Outre le bouche à oreille, cette journaliste lesbienne de 35 ans, basée à Paris, s’enquiert également sur les sites Internet des guides touristiques comme le Routard ou Lonely Planet, qui tiennent une page sur les droits LGBT+ dans leurs destinations.
« Une semaine sur place m’a suffi »
Cela ne l’empêche toutefois pas de connaître quelques déceptions. Il y a deux ans, elle et sa copine sont parties passer une semaine au soleil près d’Agadir, au Maroc, mais elles ne sont pas sûres de répéter l’expérience. A la plage, dans la rue et même à l’hôtel, Marine se souvient ne pas être vraiment à l’aise, au point de se sentir « hyper soulagée » à son retour en France.
D’autant qu’un incident est venu perturber leur voyage, puisqu’un membre du personnel de l’hôtel est entré par inadvertance dans leur chambre d’hôtel à un moment inopportun… déclenchant un moment de panique chez les deux femmes, qui ignoraient à l’époque quelles conséquences pouvait avoir une telle mésaventure.
Au Maroc, les « actes indécents ou contre nature envers une personne du même sexe » sont punis d’une peine de 3 ans de prison et d’une amende. Et la loi est toujours appliquée selon Ilga, qui a enregistré plusieurs condamnations ces dernières années.
« J’avais l’impression d’avoir passé une semaine en détention, ce qui n’est pas très confortable », confie Marine, qui avoue qu’« une semaine sur place lui a suffi ».
« Honnêtement, cela m’a coûté de devoir constamment faire attention à mes actes, à mes paroles, à qui nous entourait », explique-t-elle.
De la même manière, Léonie Nogueira et son épouse Pauline font preuve d’une grande prudence au quotidien lors du grand road trip en camping-car qu’elles ont entrepris en février 2023 à travers l’Europe, d’autant qu’elles voyagent avec leur fils de trois ans. Alors quand les deux femmes garent leur véhicule – qui s’orne des pseudonymes de leurs comptes Instagram et Tiktok – dans une zone incertaine quant au niveau d’acceptation des personnes LGBT, elles basculent leurs réseaux sociaux en mode privé.
« Avec un enfant, on ne prend aucun risque en matière de sécurité. On fait confiance à notre instinct, c’est à dire que quand c’est des zones très rurales et reculées, ou juste quand on ne le sent pas à cause des regards, on change automatiquement de déplacement compte privé », explique cette voyageuse lesbienne de 30 ans, originaire de Tours (Indre-et-Loire).
« Ce n’est jamais agréable de devoir retourner dans le placard »
Une technique testée et approuvée par la créatrice de contenu et influenceuse américaine Courtney Vondran, spécialisée dans les voyages pour les personnes LGBT+. Lorsqu’elle s’est rendue en Égypte il y a deux ans, l’influenceuse aux cheveux roses avait retiré tous les drapeaux arc-en-ciel visibles sur ses réseaux sociaux par précaution.
« Ce n’est jamais agréable de devoir retourner dans le placard », admet-elle. « Mais c’est parfois une condition pour voyager dans certains pays du monde. Il vaut mieux le savoir et se couvrir, pour pouvoir être aussi prudent que possible. »
Courtney Vondran sait de quoi elle parle. Il y a trois mois, elle et sa fiancée transgenre Liz devaient passer leur lune de miel au Nicaragua, mais elles se sont vu refuser l’entrée sur le territoire sans raison apparente. Bien qu’elles n’aient pas de preuve formelle, elles attribuent ce refus au fait qu’elles n’ont pas pris les mesures d’autocensure habituelles sur leurs réseaux sociaux.
« On nous l’a annoncé à l’aéroport, sans nous donner de raison, alors que nous nous préparions à embarquer », explique l’influenceur de Chicago, toujours « incroyablement choqué » par cet incident.
Heureusement, Liz et Courtney souscrivent systématiquement une assurance annulation, conscientes du risque d’éventuelles déceptions liées aux réactions que peut provoquer la présence de personnes LGBT+ dans certains lieux. « A vrai dire, si le Nicaragua ne veut pas de nous sur son territoire, je n’ai aucune envie d’insister », conclut l’Américaine.
La recherche d’« espaces sûrs »
C’est pourquoi Émeric refuse désormais le tourisme dans des pays politiquement hostiles à la communauté LGBT. Même si légalement rien ne l’empêche de s’y rendre, il a désormais renoncé aux vacances en Pologne, en Hongrie ou encore en Russie.
« C’est une sorte de boycott par principe, explique-t-il. Je ne donnerai pas un seul centime aux pays qui oppriment les homosexuels, car voyager, c’est soutenir l’économie locale et donc la cautionner indirectement. »
En cas de doute sur sa destination de vacances, le jeune homme prend soin de cacher son homosexualité, même s’il est « fatiguant » de devoir contrôler ses moindres faits et gestes. « En Thaïlande ou au Mexique, j’étais un peu plus sur mes gardes, se souvient-il. Et il m’arrivait très souvent de demander une chambre avec deux lits jumeaux voire deux chambres séparées pour éviter tout soupçon. »
« On développe une sorte de retenue en tant que personne LGBT quand on n’est pas trop sûr de la personne à qui on fait face et dès qu’on n’est pas en territoire conquis – typiquement en voyage – on ouvre les yeux plus que d’habitude », explique-t-il.
C’est pourquoi de nombreuses personnes LGBT+ préfèrent fréquenter les bars, les restaurants, les hébergements et même des villes entières jugées « LGBT-friendly » où elles se sentiront plus à l’aise. « C’est important pour moi de soutenir ces lieux que je trouve encore trop rares et de les soutenir financièrement par ma présence », résume Émeric. « Je sais que certains considèrent cela comme du communautarisme. Je considère que c’est de la survie, un ‘safe place’ (un endroit sûr, un refuge, NDLR) où je sais que j’aurais ma place », défend le Parisien.