Il y a de la friture sur la ligne entre les télécoms et les députés. Une proposition du député Les Républicains Julien Dive bouscule les relations entre les professionnels de la téléphonie et de l’internet (Bouygues, SFR, Orange, Free) et l’Assemblée nationale. Cet amendement à la loi pour le pouvoir d’achat, adopté en première lecture, prévoit de réduire considérablement les frais de résiliation des abonnements téléphoniques et internet de plus d’un an. Les Français, en cas de résiliation avant la deuxième année de leur contrat, n’auraient plus à payer 25 % des frais restants pour cette deuxième année, jusqu’alors en vigueur. Mais les télécoms ne sont pas décidés à laisser faire pour préserver cette partie de leur modèle économique.
Face à ce manque à gagner potentiel, les télécoms expliquent à Défis discuter avec les sénateurs et les députés. Objectif : suivre l’évolution du texte lors de sa navette parlementaire. Selon ces sociétés, la fin des frais de résiliation sur la deuxième année d’abonnement pourrait faire grimper les prix des abonnements – les plus bas d’Europe, notent-ils.
De quoi stopper leur dynamique ? La loi est votée au moment où, après dix ans loin de la croissance, les entreprises de télécoms ont repris leurs couleurs en 2021. Elles ont enregistré une hausse de 2,5 % de leur chiffre d’affaires, à 36,1 milliards d’euros. Bouygues Telecom a même atteint 5% de croissance, et 29% de marge opérationnelle, soit quatre points de plus qu’en 2011, avant l’arrivée de Free sur le marché.
La question des forfaits groupés divise
Les télécoms sont particulièrement concernés par les offres combinant abonnement téléphonique et acquisition d’un mobile. Ces offres sont basées sur le remboursement progressif du prix du terminal mobile par abonnement. Pourtant, au bout d’un an, le prix du téléphone ne serait pas remboursé, selon les télécoms. Le texte proposé par Julien Dive incluait initialement ces forfaits groupés, mais Eric Bothorel, député LREM, les a exclus de l’amendement.
Ses arguments : une incompatibilité avec le droit européen de l’article tel qu’écrit par Julien Dive, mais surtout la mise en danger du modèle économique des abonnements groupés. « Je ne suis pas allé plus loin dans le combat avec Eric Bothorel, soupire Julien Dive. Mais en réalité, au départ, j’ai dit aux télécoms que je ne voulais rien céder. S’il est sincère dans son argumentation sur le prix du téléphone mobile, l’abonné pourrait le restituer en cas de rupture de contrat. »
Les associations de consommateurs ne manquent pas. « Aujourd’hui, l’opérateur est remboursé très largement avant la première année, explique Antoine Autier, responsable des études à l’UFC-Que Choisir. Nous surpayons largement le terminal dans le forfait avec abonnement. De son côté, l’économiste spécialisée dans les télécoms Ambre Nicolle, nuance : « Avec l’arrivée de Free sur le marché en 2012, il y a eu une forte augmentation de la pression concurrentielle. Les télécoms ont dû baisser leurs prix. Dans ce contexte, les 24 mois d’abonnement sont nécessaires pour rembourser la borne », précise l’enseignant-chercheur à l’École nationale de la statistique et de l’analyse de l’information (Ensai).
L’arrivée de Free avait en effet entraîné une forte baisse des tarifs téléphoniques : en 2012, Bouygues avait baissé bon nombre de ses forfaits de 40 %, Orange avait lancé Sosh, tandis que SFR modifiait progressivement son forfait. faible coût RED de 34 euros à 19,99 euros pour tracé sur son nouveau concurrent. De quoi réduire les marges réalisées sur leurs abonnements.
« Résiliation en trois clics »
Ambre Nicolle ne croit pas, en revanche, à la menace brandie par les télécoms d’une éventuelle hausse du prix des abonnements. « Gratuit, leoutsider, ne va pas vouloir augmenter ses prix. Il est donc peu probable que d’autres opérateurs puissent le faire. Julien Dive en convient : « Les abonnements ne peuvent pas augmenter quand il y a une telle concurrence. Sinon, il y a entente, ce qui est illégal. »
Dès lors, pour Ambre Nicolle, le marché de la téléphonie et de l’internet ne devrait pas être bouleversé par la réduction de ces coûts de terminaison : « Pendant des décennies, les consommateurs ont été inertes. Les gens gardent le même plan, parce que cela leur coûte psychologiquement de changer. Seulement entre 2 et 6% du parc mobile change chaque année. »
Mais un autre élément de la loi sur le pouvoir d’achat pourrait mettre le marché en branle, à savoir son septième article. Cela concerne également les autres abonnements, du diffusion à la salle de sport. Elle prévoit la mise à disposition « aux consommateurs d’une fonctionnalité gratuite leur permettant d’effectuer, par voie électronique, la notification et les démarches nécessaires à la résiliation des contrats signés ». Surnommé « la résiliation en trois clics », ce dispositif accélère le processus de désinscription, qui passe souvent par divers appels téléphoniques et courriers recommandés.
« Si les télécoms me cherchent, ils me trouveront »
Là encore, tollé du côté des télécoms, qui jugent que le processus de conservation de son numéro (fixe ou mobile) – au détriment des télécoms lors d’un changement d’opérateur – pourrait être mis à mal par cette résiliation instantanée. Mais les télécoms n’ont-ils pas aussi peur de perdre des abonnés, jusque-là hésitants à l’idée d’effectuer de lourdes démarches administratives en résiliant ?
« Historiquement, c’est dans le secteur des télécoms que nous avons reçu le plus de plaintes sur la difficulté de résilier un abonnement », explique Antoine Autier de l’UFC-Que Choisir. Pour lui, le retard occasionné par la résiliation d’un abonnement par lettre recommandée permettait aux opérateurs de « retarder l’échéance, et de gagner un paiement de quelques jours, soit un paiement d’abonnement mensuel ».
Alors, avec ces deux mesures, le marché du téléphone va-t-il devenir plus fluide ? Ambre Nicolle prévient : « l’inertie va rester forte. En Angleterre, où changer d’opérateur est très facile, les gens conservent leur abonnement. Cependant, s’il y a une augmentation de la fluidité du marché, la pression concurrentielle redeviendra assez importante. Nous allons avoir une nouvelle guerre des prix. « Derrière un amendement discret et un article peu remarqué, ce sont donc peut-être de nouvelles turbulences sur le marché des forfaits téléphoniques et internet qui sont en jeu.
Et aussitôt des turbulences au Parlement. Julien Dive prévient que si son amendement devait être supprimé par le Sénat en raison de la pression télécoms, il la proposerait à nouveau à l’Assemblée dans sa version originale – forfaits groupés compris – et la ferait voter avec le soutien de toute l’opposition : « Si les télécoms me cherchent, ils me trouveront ».
zimonews Fr2En2Fr