Nouvelles locales

Les talibans censurent les missions diplomatiques fidèles à l’ancien régime

Tout document émis par les ambassades afghanes, qui, comme celle de Paris, n’ont jamais reconnu l’autorité des islamistes mais ont maintenu une activité consulaire, est désormais considéré comme invalide par les autorités de Kaboul.

Sous le régime taliban, toute forme de résistance, quelle qu’elle soit, est une cible. Celle menée par les missions diplomatiques afghanes restées fidèles à l’ancien régime ne fait pas exception. Les maîtres de Kaboul, au pouvoir depuis août 2021 en Afghanistan, ont lancé une nouvelle offensive pour prendre le contrôle des ambassades qui n’ont pas reconnu leur autorité. Le 30 juillet, dans un communiqué publié sur X, le ministère des Affaires étrangères du gouvernement islamiste a annoncé ne plus reconnaître les missions diplomatiques mises en place par l’ancien gouvernement en exil.

« Attention, chers compatriotes vivant dans les pays européens ! »a prévenu le ministère en préambule, avant d’expliquer que tout passeport, visa ou autre document délivré par les représentations afghanes basées à Londres, Berlin, Belgique, Oslo, Vienne, Rome, Ottawa ou Genève est désormais considéré comme invalide.

Ambassades tierces

Les citoyens afghans résidant dans les pays touchés et les étrangers souhaitant se rendre en Afghanistan doivent se référer aux ambassades et consulats contrôlés par l’administration talibane, sous l’autorité de l’armée.« Émirat islamique d’Afghanistan »En Europe, il s’agit de la Bulgarie, de la République tchèque, de Munich en Allemagne, de l’Espagne et des Pays-Bas. En octobre, dans ces deux derniers pays, des représentations afghanes ont annoncé qu’elles collaboraient avec les autorités talibanes de Kaboul.

« Ils ont craqué à cause de soucis financiers »affirme à la Figaro L’ambassadeur d’Afghanistan en France, Humayoon Azizi. Le diplomate, lui, continue de résister. Depuis 3 ans, le consulat situé dans le 16e arrondissement de Paris maintient certaines activités. Il délivre des actes de naissance, des certificats de mariage, des visas, et accorde des prolongations de passeport à ceux dont la documenta arrive à expiration, s’il ne peut en accorder une nouvelle. Les revenus de ces activités permettent de rémunérer la petite équipe de deux diplomates et huit employés qui dirigent la mission.

« Allons-nous les laisser contrôler progressivement toutes nos missions ? Cela ne sera pas sans conséquences »prévient l’ambassadeur. Les talibans, explique-t-il, auraient ainsi accès à toutes les données des personnes enregistrées, dont de nombreux réfugiés ayant fui le régime islamiste, ce qui ferait courir à leur entourage des risques de représailles. Ils auraient également la possibilité d’authentifier et de légaliser des documents sensibles pour leurs sympathisants, comme des extraits de casier judiciaire, « avec les conséquences que cela implique pour la sécurité des Français »souligne Humayoon Azizi.

Soutien occidental

Enfin, les données des Occidentaux voyageant en Afghanistan seraient à la merci des renseignements afghans, les exposant davantage au risque d’enlèvement, assure le diplomate. Suite à cette décision des talibans, une quinzaine d’ambassadeurs, ainsi que le chargé d’affaires afghan auprès de l’ONU à New York, ont adressé le 16 août une note verbale à Niclas Kvarnström, directeur général pour l’Asie et le Pacifique au Service européen pour l’action extérieure. Dans cette lettre, qui Le Figaro pouvant se consulter, les diplomates expriment d’abord leur gratitude aux pays européens qui continuent de les reconnaître, rappelant qu’ils sont les seules missions « légitime » En vertu du droit international. Car l’ONU et les pays occidentaux n’ont jamais reconnu l’autorité des talibans. La Russie, l’Iran, le Qatar et la Chine ont pour leur part accueilli des ambassadeurs envoyés par les talibans et entretiennent des relations diplomatiques avec le régime islamiste.

Les ambassadeurs signataires appellent également au lancement d’un dialogue plus approfondi avec l’Union européenne pour trouver « des solutions concrètes » à la décision du régime taliban. Une plus grande coopération serait à l’avantage des pays d’accueil, explique l’ambassadeur afghan en France, mettant en avant les enjeux sécuritaires autour de la diaspora. Près d’un demi-million de réfugiés afghans se trouvent en France, selon les chiffres de l’Ofpra.

Or, l’une des activités de la mission à Paris consiste justement à assister les autorités françaises en cas de doutes sur les profils des demandeurs d’asile. « Beaucoup se présentent comme Afghans pour obtenir le statut de réfugié. Quand l’OFPRA a des doutes, il demande à la préfecture d’enquêter et celle-ci fait parfois appel à nous. Nous avons un processus qui nous permet de détecter des incohérences dans leur récit. »explique Humayoon Azizi, montrant des profils Facebook affichant des photos en keffieh et kalachnikov à la main, avec des messages de soutien aux islamistes. « Nous restons fonctionnels »assure l’ambassadeur, « Et nous continuerons, en lien avec l’Unesco (dont le siège est à Paris, NDLR), à représenter et défendre la diaspora et à sauvegarder la culture afghane en danger. Nous espérons que la France résistera à la pression des talibans, mais nous n’en doutons pas. ».

Humayoon Azizi, ambassadeur d’Afghanistan à Paris, dans son bureau en août 2022.
Sébastien SORIANO

Gérard Truchon

An experienced journalist in internal and global political affairs, she tackles political issues from all sides
Bouton retour en haut de la page