Sciences et technologies

Les secrets du nouveau pneu Michelin pour le futur rover lunaire de la NASA

Un étrange buggy avance lentement, ce jeudi matin, au cœur du volcan de Lemptégy, en Auvergne, non loin de Clermont-Ferrand. Ses grandes roues bleues se remarquent immédiatement dans ce paysage ocre, presque lunaire. Et c’est précisément pour cela que les équipes de recherche et développement de Michelin, qui ont conçu l’étrange véhicule, ont investi les lieux.

Le champion français du pneumatique fait partie d’un consortium, Intuitive Machines, sélectionné par la NASA dans le cadre de son programme Artemis. Avec ses partenaires Boeing, Northrop Grumman et AVL, Michelin travaille à la fabrication d’un rover, un nouveau véhicule d’exploration lunaire. L’agence spatiale américaine compte renvoyer des hommes sur la Lune d’ici 2026-2028 en y établissant une base habitée pendant une dizaine d’années. Michelin, de son côté, est chargé de développer des pneus – ou plutôt « roues lunaires » – le rover qui permettra aux astronautes d’explorer le satellite naturel de la Terre.

Le volcan de Lemptégy est un terrain de jeu idéal pour les équipes Michelin. « Il y a ici des hauts et des bas qui ressemblent à ceux que l’on trouve sur la Lune. »« Le sol volcanique a l’avantage d’être proche du régolithe, un matériau extrêmement léger, poussiéreux et meuble qui recouvre le sol lunaire », explique Julien Souquieres, responsable des essais du prototype de roue lunaire. Le buggy rudimentaire qu’il a conçu – et qui n’a rien à voir avec la forme et l’esthétique finales du rover – lui permet d’étudier le comportement des pneus et de comprendre ce qui doit être amélioré. « C’est quelque chose qui ressemble à de la farine, comme du talc. »explique Julien Souquieres. Les flancs du volcan sont aussi riches en poudrière, une roche rouge particulièrement abrasive, qui permet de tester la résistance des pneus. Michelin souhaite qu’ils puissent parcourir 10 000 km avant de rendre l’âme. A titre de comparaison, les rovers des missions Apollo des années 1970 n’avaient parcouru au total que 37 km.

Un pneu sans air

La conception de cette roue lunaire représente un immense défi. Son développement n’a rien à voir avec celle d’un pneu classique. Le choix des matériaux est un premier casse-tête. Il est par exemple impossible d’utiliser du caoutchouc. Au pôle Sud de la Lune, où la NASA prévoit d’installer sa base, « Les températures varient de moins 243°C à plus de 100°C »explique Sylvain Barthet, responsable du programme Vision, en charge du développement du pneu du futur de Michelin. « Lorsque les températures sont aussi basses, le caoutchouc devient aussi cassant que le verre. »explique-t-il. C’est pourquoi Michelin a choisi de développer un pneu sans air, « avec une structure en plastique haute performance pour supporter la charge »continue le gérant. Cette roue lunaire devra également résister « au rayonnement solaire et galactique », affirme Sylvain Barthet. « Nous devons utiliser des matériaux qui ne subissent pas le vieillissement accéléré associé à ce type de conditions. »dit le gérant.

Au centre de recherche et développement de Michelin à Ladoux, près de Clermont-Ferrand, l’équipe en charge de ce projet unique en son genre multiplie les tests et expérimentations. Elle conduit par exemple son buggy sur une piste de sable pour s’assurer que les prototypes de pneus ne s’enfoncent pas. Les équipes de Julien Souquieres ont notamment construit une nouvelle machine qui applique de la flexion sur différents matériaux, tout en les plongeant dans un bain d’azote liquide à -196°C, pour étudier leur résistance. Dans une autre salle, une machine teste l’endurance du pneu en le faisant rouler pendant des heures, parfois jusqu’à sa destruction, à différentes vitesses et facteurs de charge. L’objectif est ici de se rapprocher au plus près des conditions auxquelles devra faire face la roue lunaire sur la Lune, où la gravité est six fois moindre que sur Terre.

Un accélérateur d’innovation

Aux yeux de Michelin, sa participation au programme Artemis est autant une opportunité de mettre en lumière son savoir-faire qu’un accélérateur d’innovation. L’intérêt de travailler avec des spécifications aussi difficiles nécessite « changer l’angle d’attaque pour résoudre les problèmes »« C’est un plaisir de travailler avec Michelin, explique Sylvain Barthet, qui rappelle que Michelin développe depuis longtemps la technologie des pneus sans air. C’est aussi, selon lui, la raison pour laquelle le manufacturier participe à diverses compétitions sportives, comme les 24 Heures du Mans ou le MotoGP.

« Cela nous oblige à travailler aux limites de ce que nous savons faire.il ajouta. Ce n’est pas facile tous les jours car, soyons clairs, nous n’avons pas toujours de bons résultats. Mais c’est comme ça que nous apprenons de nouvelles choses. »

Les chercheurs et ingénieurs de Michelin ont encore beaucoup de travail pour achever leur roue lunaire. Tous espèrent que leur consortium, en compétition avec deux autres équipes internationales, remportera le prix en avril 2025, date à laquelle la NASA fera son choix final. Voir un tandem d’astronautes conduire des Michelin sur la Lune n’est pas une opportunité qui se présente tous les jours.